Mes textes sont si peu lus qu'il n'est pas superflu de les replacer dans le flux : Dans les années 80 : le Luna Park, un texte de 2013.
Au début des années 80, je suis
allée plusieurs fois au Luna Park de Lausanne qui devait se tenir en
mai ou juin ou peut-être avril.
(Information pratique pour les
lecteurs se trouvant à Lausanne dans les années 80 au printemps et
qui voudraient aller faire un tour de manège : Le Luna Park se
situe à Ouchy,,lorsque vous êtes à côté du grand jeu d'échec
avec le lac dans votre dos alors prenez la direction de votre
gauche).
Je me souviens notamment d'une fois
où avec F et sa sœur F, nous étions passées devant un manège qui
ressemblait à une grande roue qui irait de l'horizontal à la
verticale et tournerait si vite que les sièges se retournerait
lorsqu'en haut de par les forces centrifuge et centripète si bien
que les personnes dans les sièges ont la tête en bas. Avec F, la
sœur de F, nous avions regardé et dit « ah c'est chouette
cela ! On devrait y aller ! » F. qui avait été
opéré pour un souffle au cœur et nous montrait de temps en temps
la cicatrice en arc de cercle qu'elle avait dans le dos pour nous
faire peur, (mais, bon,à l'internat, une autre fille G avait eu un
souffle au cœur et avait été, elle, opéré à cœur ouvert et là,
la cicatrice faisait vraiment peur,c'était tel un crucifix imprimé
sur le thorax), donc F, qui avait été opéré d'un souffle au cœur
et se servait de ce prétexte pour ne pas faire un tas de trucs sans
qu'il ne soit possible de savoir si du lard ou du marcassin, donc F.
dit que pour elle, ce n'était pas possible parce que ce manège
était beaucoup trop violent. Avec F, la sœur de F, nous nous sommes
dit que nous nous voulions y aller, donc nous prenons un ticket, nous
nous installons dans les sièges qui étaient individuels,
ressemblaient à des cabines de petits avions ou peut-être à des
canoës kayack. Un type est passé trois fois vérifier les barrières
de sécurité qui nous tenaient bien maintenues sur notre siège.
J'étais devant et F, la sœur de F, était derrière, et dès que je
me retournais pour la voir, mon siège balançait de gauche à
droite. F. était devant le manège, nous regardait et était toute
blanche de peur. Nous nous moquions d'elle, « eh, c'est nous
qui sommes sur le manège, ce n'est pas toi, de quoi t'as peur ? »
« Vous êtes complétement folles ! nous disait F, vous
ne vous rendez pas compte de ce que vous faites ! » « eh
va-z-y, mémé ! » et avec F, la sœur de F., nous riions
comme des imbéciles. Puis le manège a démarré avec ce bruit qui
ressemblait à celui d'un télésiège et alors, comme le dit si bien
cette expression que je ne connaissais à l'époque, alors, à ce
moment-là, la peur a changé de
camp. D'ailleurs, lorsque j'entends cette expression, ma
compréhension me renvoie à ce moment : la peur, qui était
chez F et nous regardait de l'extérieur, est entrée d'un seul coup
dans nos corps. Le manège s'est mis en branle et soudain, nous ne
comprenions plus du tout pourquoi nous étions monté là dedans,
tout à coup, nous nous souvenons que lorsque nous avions regardé le
manège en disant « Oh ! cela a l'air chouette » il
y avait des gens qui hurlaient de peur dans le manège, et
maintenant, c'est nous qui y sommes, nous avons payé, nous avons
pris place dans le manège de notre plein gré et cela va être
affreux. Tout à coup, nous nous souvenons du type qui est venu
vérifier par trois fois les barrières de sécurité, mais oui,
c'est dangereux ce manège, F. a raison, nous sommes complètement
cinglées d'être la dedans. Toute cette prise de conscience se
déroule en des fractions de seconde. J'ai entendu F. la sœur
de F. dire « je vais mourir »Puis ensuite ce furent des
cris.
Cela va tellement vite, que nous ne
voyions rien de l'extérieur, en fait c'est juste la cabine et celle
de devant qui sont à peu prés visible, le corps est pris dans la
vitesse et une forte pression s'exerce sur lui ; dans la
descente, c'est juste l'impression d'aller s'écraser au sol puis le
manège remonte et là nous avons la tête en bas puis c'est à
nouveau cette descente et il faut hurler sinon ce n'est pas possible,
il faut hurler pour ne pas se laisser écraser, comme si le corps
hurle pour faire contrepoint au poids de la pression. Les personnes
qui payent des fortunes dans des stages pour trouver leur cri primal
ferait mieux de se payer un tour de ce type de manège. Puis le
manège ralentit, et nous reprenons peu à peu forme, notre corps
redevient solide et consistant, les formes et paysages aux alentours
reprennent leur contour familier. Le monde n'a pas été modifié
d'un iota. Et alors, le truc s'inverse, au lieu d'être soulagée que
cet enfer s'arrête, nous sommes déjà en train de regretter de ne
plus être traversé par l'intensité. Nous sommes déjà
nostalgique. C'est un peu comme un certain type de baise, en fait.
Mais c'est plus sûr d'aller au manège.
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