Josette, espionne rousse du réel, lit un livre sur les mythologies celtes publié en 2009
« Cette
définition de l'écriture comme morte, en contraste avec l'oralité
vivante donne la clef d'une logique très différente de la nôtre
mais, d'une certaine façon, aussi rigoureuse et respectable.
Nous
n'imaginons guère de littérature autre qu'écrite ; nous
voulons des textes de loi fixées par l'écriture et consultables
pour pouvoir nous y référer précisément et pour vérifier que le
même, dans les mêmes termes, est strictement applicable à tous. La
logique des cultures orales n'est néanmoins pas si infondée que
cela.
Ainsi,
nous sommes fiers de notre patrimoine littéraire et de sa richesse
depuis la Chanson de Roland jusqu'à nos jours. A juste titre …
mais cette belle Chanson de Roland est-elle vraiment « nôtre » ?
Ecrite en vieux français archaïque, n'est-elle pas devenue
largement étrangère pour la plupart d'entre nous, qui n'y avons
plus accès qu'à travers une « traduction » en français
moderne ? Comparons-lui un conte remontant de la même époque :
le Petit Chaperon Rouge. La tradition orale l'a adapté : cela
n'affecte en rien la fidélité de l'histoire à son scénario
originel, ni les leçons qu'elle transmet.
Les
lois écrites elles-mêmes ne sont pas exemptes de pièges ;
Combien de formules légales ne sont plus aujourd'hui qu'un jargon
juridique qu'il faut traduire pour le citoyen ordinaire ?
Il
apparaît donc bien qu'il a pu y avoir un certain sens à refuser de
fixer par écrit ce qui reste en s'adaptant oralement – sous la
garantie d'une tradition reçue toutefois – à chaque époque et à
chaque circonstance.
Cela
explique que, selon cette mentalité, la transmission du savoir –
lois,légendes, mythes, rites, invocations ...- s'est faite
traditionnellement par l'apprentissage par cœur de très grandes
quantités de textes figés, soit sous formes de formules
mnémotechniques telles les triades, soit surtout de mélopées ou de
chants que leur mélodie et leur prosodie aident à mémoriser ;
par l'exercice constant de leur récitation encadrée par la
présentation libre de leur contexte ; par des disputes
herméneutiques subtiles … Tous exercices préparés par de longues
méditations solitaires et silencieuses.
Selon
César – ou plutôt Posidonnius d'Apamé – les études druidiques
duraient vingt ans. Les lois irlandaises du Moyen âge abondent dans
le même sens, imposant aux impétrants de connaître notamment
jusqu'à trois cent cinquante histoires complexes avec tous leurs
détails et les noms de tous les personnages, de tous les lieux, de
tous les objets même …
L'efficacité
de ces méthodes est telle qu'il a été possible de retrouver non
seulement des scénarios comparables mais même des métriques et des
formules poétiques – métaphores et expressions formulaires –
communes à des traditions indo-européennes aussi éloignées dans
le temps et l'espace que celles des Indiens, des Grecs, des Celtes et
d'autres, ce qui implique évidemment qu'il s'agit là d'héritages
communs reçus des temps très lointains de l'unité
pro-indo-européenne. »
« Ouais,
m'enfin, il y a aussi l'unité terrestre, se disait Josette qui
n'était pas convaincue par le texte qu'elle venait de lire. Je
dirais que ce n'est pas si simple, que parfois le vivant peut aller
se loger dans l'écrit dans une période où l'oralité aura été
corrompue pour pouvoir renaître et réciproquement lorsque c'est
l'écrit qui est corrompue et parfois concomitamment. Le bon outil
pour mesurer tout cela serait le corps de chacun et chacune qui ne
doit donc pas être asservi. Il faudrait bien sûr réfléchir
sur le siècle écoulé qui a vu éclore et proliférer les images
animées figées et mortes soit le cinématographe, Mais une autre
fois et pas maintenant. » »
Josette
respira. Elle redevenait joyeuse.
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