Josette, espionne rousse du réel, nouvel épisode.
Josette,
espionne rousse du réel, lisait « la Rive Gauche »
d'Herbert R. LOTTMAN, un livre que lui avait prêté Tata YOYO « Je
ne l'ai pas fini, ce doit être mon grand âge, j'ai de la peine à
finir les livres, j'ai l'impression que je mourrais à la fin ! »
Josette avait éclaté de rire et prit le livre avec plaisir :
un livre qui vous est prêté par quelqu'un de connu est toujours
plus sympathique à lire, la personne qui vous l'a prêté est avec
vous pendant la lecture, il fait moins froid, c'est moins aride. Même
si parfois cela peut complétement biaiser la lecture ! « de
toutes les façons, une lecture objective n'existe pas !, se
disait Josette en haussant les épaules. Josette ouvrit le livre au
hasard et tomba sur le chapitre huit « Malraux et la guerre des
intellectuels », page que tata YOYO avait cornée.
« Dans
les années trente, l'homme à suivre était André MALRAUX, le plus
engagé quand il s'engageait, et le plus détaché quand il se
détachait. André et Lucie CHAMSON le regardèrent s'envoler en
février 1934, tandis que tous ses amis mobilisaient leurs forces et
leurs talents pour bouter le fascisme hors de France, à destination
de la légendaire capitale de la reine de SABA, dans les déserts
d'Arabie, dans une aventure commanditée par un grand quotidien
populaire. A Moscou aussi bien qu'à Paris, MALRAUX, pouvait
consacrer tout un discours dans les meetings à sa passion
personnelle pour l'art comparé – à la confusion du public qui
attendait ardemment un message. En vérité, MALRAUX avait commencé
d'écrire sur la lutte antifasciste avant le moment de la vivre. Du
fait que ses véritables conceptions et ses centres d'intérêt se
trouvaient fort éloignés de la France, il était réputé expert
dans les questions étrangères et par la suite parut toujours plus à
son aise pour combattre les fascistes à l'étranger qu'en France.
On
pourrait, en manquant à la charité, définir les mémoires de
MALRAUX ( les « Antimémoires ») comme une œuvre
de fiction. Peut-être a t'il vécu sa vie comme un roman dont il
aurait été le héros. Certes, on a qualifié « L'espoir »
de document sur la guerre d'Espagne, et Troski lui-même prit les
romans sur la Chine pour des témoignages vécus, ainsi que MALRAUX
encourageait le lecteur à le faire. Un autre écrivain et combattant
de l'époque affirmera que MALRAUX n'éprouvait tout simplement aucun
intérêt pourla politique. Il aimait d'abord « parler »et
ne se préoccupait pas vraiment des idées. Si l'on demandait à
MALRAUX, après une conversation qu'il avait dominée, ce qu'il avait
voulu dire en proférant telle ou telle remarque, il pouvait désarmer
son auditeur en avouant qu'il avait totalement oublié ce qu'il
venait de dire. Tel était le revers des célèbres discours
précipités de l'auteur de la Condition humaine. » »
Josette,
de par sa conditon d'espionne rousse du réel, ne voyait pas de
contradictions entre le fait de dominer une conversation et le fait
de ne pas se souvenir ce qu'on y a dit puisque parfois (bien souvent)
il s'agit surtout de vaincre la haine. « C'est pour cela que
l'enregistrement des débats est une avancée pratique pour les idées
intellectuelles. Telle personne qui éblouit pendant les
conversations pourra s'avérer pâle à la réécoute des contenus.
Et inversement. Le langage a au moins deux versants. » puis
Josette chercha « Malraux, andré » dans l'index du livre
et lut un autre extrait de l'ouvrage :
« En
1897, Daniel HALEVY emménagea avec ses parents dans l'hotel
particulier des Bréguet (sa mère était une Bréguet, suisse
protestante). C'était une haute maison située sur le quai de
l'Horloge, à proximité du Pont-Neuf : pas vraiment la rive
gauche, mais à quelques pas de là. Dans les années vingt, HALéVY
lança la collection Cahiers verts aux éditions Bernard GRASSET ;
il en fit un véhicule pour la publication d'auteurs débutants,
souvent avec des textes brefs. De nombreuses personnalités
littéraires et politiques de l'époque y avaient été publiées,
quand elles n'y avaient pas même été présentées au public pour
la première fois. Dans les seules années vingt, les Cahiers verts
publièrent Julien BENDA, Emmanuel BERL, André CHAMSON, Pierre DRIEU
LA ROCHELLE, Albert FABRE-LUCE, Jean GIONO, Jean GIRAUDOUX, Jean
GuéHENNO, André MALRAUX, Gabriel MARCEL, François MAURIAC, Charles
MAURRAS, Henry de MONTHERLANT, Paul MORAND et Albert THIBAUDET, pour
ne mentionner que les noms les plus souvent cités dans le présent
ouvrage. Il s'agissait souvent des premières œuvres publiées par
ces auteurs, des œuvres qui allaient bientôt les faire connaître
du public qui comptait : la République des Lettres.
Bien
qu'il pût publier un MALRAUX ou un CHAMSON, HALéVY, dans ses
propres écrits, apparaissait comme un adversaire du Front Populaire,
et même de la Troisième République ; puis, lorsqu'il alla
jusqu'à approuver le régime de Vichy, il perdit son rôle de mentor
des jeunes de la rive gauche. André CHAMSON a écrit que, en 1934,
l'année des émeutes de l'extrême droite et des réactions de la
gauche, HALévY cessa d'apparaitre comme un hôte désirable pour
ceux qui partageaient les idées de CHAMSON.
HALéVY
recevait ses invités dans un salon second Empire orné de peintures
de DEGAS, au premier étage, au-dessus du quai. Quand il y avait trop
de monde, on ouvrait une vaste bibliothèque à l'étage au-dessus.
On a prétendu qu'il s'agissait d'assemblées masculines, et que
Madame HALéVY se retirait après avoir servi le thé. Mais Lucie
MAZAURIC participait régulièrement à ces réunions et, au cours de
la décennie (1925-1934) où les CHAMSON fréquentèrent le salon des
HaléVY, elle se souvient de la constante présence de l'épouse et
de la mère de HALéVY, ainsi que, parfois de sa fille. Et puis Clara
MALRAUX y accompagnait son mari. Les CHAMSON les y rencontrèrent
pour la première fois à l'issue des aventures indochinoises du
couple. « HALéVY était assez content, selon Madame CHAMSON,
d'enchâsser ce diamant noir au milieu de la guirlande bigarrée de
vedettes qui ornait son salon. » Lors de ses aprés-midi chez
lui, HALéVY ne recevait pas seulement des Parisiens mais des
provinciaux ou des étrangers de passage qui n'étaient pas tous des
gens de lettres. Robert ARON se souvient d'un après-midi des années
trente où un certain colonel Charles de GAULLE expliqua sa
philosophie militaire aux invités rassemblés.
Aucune
des autres scènes où apparaissaient les protagonistes de notre
drame n'était vraiment aussi officielle que le salon HALéVY. Plus
typique des années trente, le salon ou le bureau encombré d'un
auteur plus jeune et fort actif, encore jeune époux ou jeune père,
et tout aussi engagé dans la lutte pour son pain quotidien que la
lutte des classes ou le mouvement antifasciste : tel était le
cas d'André MALRAUX, qui recevait chez lui au 44 de la rue du Bac,
juste en face de son éditeur GALLIMARD, dont la nouvelle Revue
Française constituait en quelque sorte l'étendard .
Parfaitement situé entre le bureau et l'appartement de MALRAUX, se
trouvait l'hôtel Pont-Royal, dont le sous-sol servait de repaire à
la bande de la NRF.
Remarquable
romancier d'idées, MALRAUX avait combattu de manière si
convaincante aux côtés de la révolution chinoise, dans ses romans,
que l'on croyait – et il jouait parfaitement le jeu- qu'il avait
assisté et peut-être même participé aux événements. Il
dissertait avec la même conviction de la psychologie de l'art et, si
ses auditeurs en retiraient le sentiment d'une certaine confusion,
ils ne manquaient cependant jamais de demeurer impressionnés par son
brio. Ce n'était certes pas un intellectuel de salon ; et le
prix GONCOURT décerné en décembre 1933 à « la Condition
humaine » lui conféra une notoriété nationale. « Dans
les vitrines de librairies, on peut voir les couvertures de la 25e
édition » avait relaté EHRENBOURG à ses lecteurs soviétiques
au mois de mai précédent, « et dans les journaux, les
critiques lui consacrent des articles enthousiastes ... »
TROSKI lui même, de son exil, entama le dialogue avec lui, le
reconnaissant pour un camarade, même s'il était mal orienté.
Les
puristes de la NRF ne devaient jamais pardonner à MALRAUX son
éloquence quelque peu obscure - « un Byzantin de bar »,
comme le décrivit sans bonté Paul VALéRY à Maurice MARTIN du
GARD. GIDE déclarait à paul LéAUTAUD que jamais MALRAUX ne serait
un grand écrivain – un grand fasciste ou un grand leader
communiste, peut-être, suivant le parti qui servirait mieux ses
ambitions-, et en effet, après la libération de Paris, GIDE fut
consterné d'apprendre que MALRAUX comptait voir publier son œuvre
dans la Bibliothèque de la Pléiade, collection qui conférait
littéralement à ses auteurs le statut de « classiques ».
Le réfugié antinazi Manès SPERBER, récemment arrivé à Paris,
décrivit ainsi MALRAUX :
« Il
était grand, svelte, les cheveux brun clair, avec une large mèche
qui lui barrait le front … le visage allongé aux traits mobiles,
mais qu'une contraction nerveuse déformait par instants, semblait
changer d'âge au cours d'une conversation … Les grands yeux
gris-verts étaient en harmonie tantôt avec le romantisme du front,
tantôt avec l'éloquence de l'intellectuel qui domine souverainement
ses moyens et qui, d'un regard aigu, en mesure exactement les
effets. »
« Malraux
a un visage de jeune fille », rapporta EHRENBOURG à ses
lecteurs russes. « il est extrêmement nerveux. Dans la
conversation, il ne sait pas écouter. » Mais ERHENBOURG
éprouvait du respect pour la versalité de cet écrivain français :
« il vit au milieu de Bouddhas romans et gothiques, mais cela
ne l'empêche pas de se passionner pour l'économie mondiale. » »
Josette
se souvint alors avoir lu dans le bureau de son père alors qu'à
peine adolescente une préface qu'avait écrite MALRAUX à l'ouvrage
« Gens de DUBLIN » de JOYCE où MALRAUX ne parlait
que du livre racontant une journée d'un Dublinois à Dublin écrit
par JOYCE soit « Ulysse ». Elle se souvenait d'un
texte fiévreux évoquant la création littéraire tel le travail
d'un savant fou, d' un Prospero dressant des cartes et des tables des
matières ; « un texte dense transmettant la maladie
des lettres ». dit Josette tout haut. Elle fut contente de
sa formulation. Et s'endormit sur le livre qui était ouvert devant
elle.
voir ailleurs :
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