Un autre texte des années 2000 où apparaît Mireille DARC : LE COLLOQUE
« Il
nous semblait que la profession avait été injuste envers Alain
DELON. Chacun s’était moqué de lui lorsqu’il avait employé des
structures grammaticales à la troisième personne, « Alan
DELON pense que … », « Alain DELON estime que … »,
peut-être y aurait-il fallu y percevoir une grande délicatesse, la
tendre attention d’une personne n’osant plus utiliser un « je »
identifiable et appropriable, conscient que ce qu’il dit ne
concerne sans doute plus que lui. Oui, la profession avait été
injuste envers Alain DELON… »
Le
critique ouvrait ce colloque sur Alain DELON. L’idée était
sienne, il avait planché deux ans à l’organisation de ce
séminaire de deux jours et depuis la veille, il doutait. A
l’enthousiasme des préparatifs et à l’assurance de la bonne foi
de sa mission, prenait place le soupçon que tout cela n’avait été
que palliatif à l’ennui et recherche de nouvelles raisons. Alain
DELON en jeune Rocco et ses frères, Samouraï puissant et
silencieux, avait dû traverser son imagination à un moment de
vacance et point magique de l’identification, perche intellectuelle
et conceptuelle, notre critique s’y était accroché comme certains
s’accrochent au Messie. Et voilà, ce travail de réhabilitation
parvenant à sa réalisation, l’insatisfaction originelle, telle
une mauvaise herbe, réapparaissaît dans son humeur et sabotait
toute possibilité de savourer le travail accompli. « Car oui,
bon, d’accord, la profession avait été injuste envers Alain
DELON, toutefois cela justifiait-il des films comme Pour la peau
d’un flic ? Ou Mort d’un Pourri ? », « Son
interprétation de Fabio Montale consacrait-il sa carrière d’acteur
ou confirmait la nécessité économique d’exister à la télé ? »
Notre
crique se critique déjà lui-même en connaisseur des gouffres de
l’absence de fond et du problème kaléidoscopique de toute
possibilité d’énoncé. En grand masochiste de lui-même, il
fournit toujours d’avance le bâton avec lequel on pourra le
frapper. Ainsi, la décoration de la salle du colloque affichait sans
hypocrisie les photos des plus nanars des nanars dans lesquels Alain
DELON, son nouveau héros christique, avait œuvré. Les affiches les
plus compromettantes quant à la virtu de l’acteur consacré
s’y étalaient ostensiblement. « Tout le monde a le droit à
l’erreur, ou peut-être tout le monde est contraint par la
force des choses à commettre des erreurs. » Méditait
notre critique.
Notre
critique avait également ouvert le colloque au sujet connexe de la
marque commerciale ALAIN DELON, afin d’y saluer son talent
visionnaire : dès 1978, Alain DELON met en œuvre la marque de
lui-même et de nos jours être le VRP de la marque de
soi-même serait devenu quasi-obligation. Un spécialiste
es-merchandising culturel, ex-punk recyclé et celle d’un
sociologue à la mode, spécialiste en dédouanement de culpabilité
quant à la marchandisation de soi avaient été invités sur ce
sujet, avec humour et diaporama.
Et
voilà, si près du but, notre critique se met à douter et soupçonne
qu’il a encore perdu son temps. C’est ainsi, notre critique,
comme tout un chacun est toujours menacé par le retournement de ses
propres certitudes, délitement de la foi en quoi que ce soit ou en
qui que ce fût. Notre critique est en cela résolument moderne.
« Car
la vie même d’Alain DELON n’est-elle pas emblématique de la vie
réelle de l’Homme moderne : jeune plein de fougue et de
talent, et puis la maturité errante et trébuchante, choix cornélien
quant au désir de progresser et celui de s’installer, volonté de
continuer bien que défait sous les cris des foules hystériques,
ECCE HOMO … »
Cependant, hormis cette crise de
foi(e) passagère en son héraut provisoire, notre critique est
préoccupé : il travaille d’arrache-pied et poing liés sur
ce colloque depuis deux ans et durant ces deux années, il n’avait
pu obtenir aucun rendez-vous avec l’animal, Alain DELON s’entend.
Pas de problèmes pour des informations précises et documentées de
la part de la ALAIN DELON S.A. : « L’acteur est ému,
attentif, charmé par votre projet » , susurraient les
secrétaires, affirmaient les chefs de projets. Cependant, au grand
jamais, notre critique n’avait pu ni le rencontrer, ni lui parler.
Il y avait bien sûr une sorte de puérilité dans ce désir de
rencontrer Alain DELON, mais bon, l’organisation d’un colloque de
deux jours légitimait à ses yeux le caprice d’approcher son icône
pour de vrai. Notre critique méditait : « N’oublions
jamais que nous sommes devenus critiques parce que notre souci était
de ne plus avoir à payer les places de cinéma et en fan stupide de
pouvoir converser avec nos idoles. Cependant, à l’époque, les
groupies à peine masqués que nous étions, investissions réellement
pour donner le change et ainsi nous devenions réellement de
critiques. Par nécessité de cacher l’imposture ou par difficulté
à assumer une libido d’adulte, nous travaillions très
sérieusement dans le développement de la critique, de la théorie,
de la défense de l’art cinématographique, etc. Et puis, on ne
sait pas très bien ce qui s’est passé, il y a dû avoir enflure,
engelure, la critique a ensuite cédé la place à la critique
d’auteur, puis à l’élucubration dangereuse d’écrivains
ratés. Le nouveau journalisme avait en ce sens fait beaucoup
de tort, en vendant la mèche. Et puis, bien sûr, l’Organisation
Hollywoodienne, les dossiers de presse, les pré-machés et les
boites à cirer … Notre critique se disait que le métier
n’existait plus, et il s’était rappelé les anciens cordonniers,
à la fin des années 70, expliquant à sa grand-mère la disparition
de leur métier concurrencé par les machines styles KRISS ou autre
FICHET. Oui, aujourd’hui, l’industrialisation avait atteint la
production intellectuelle et « brosse à reluire » ou
« animateur de supermarché culturel » définissait aussi
bien son métier. Cependant, il résistait, il cherchait à maintenir
le feu de la fièvre. D’où sans doute ce désir de colloque au
sujet d’Alain DELON. Un contre-alto tonal évident dans sa carrière
de critique méritant, une ode à une icône commerciale qui pourtant
…
Bref,
notre critique n’avait encore rencontré Alain DELON et il le
regrettait. Le staff de la ALAIN DELON S.A lui avait expliqué que
l’acteur assisterait sans doute au colloque par visioconférence
et ferait une allocution en clôture. « Sera-t-il présent
physiquement ? » avait demandé notre critique. « Nous
ne le savons pas encore », avait répondu le staff qui avait
cependant exigé l’étage d’un hôtel parisien de renom pour y
installer personnel, ordinateurs et mystérieux équipements. Et
notre critique, outre ses problèmes existentiels permanents à
croire à ce qu’il faisait, de se sentir frappé par une angoisse
vertigineuse : « Alain DELON existe-t-il réellement ? »
« …
Ce colloque permettra à titre paradigmatique de poser en
contre-point une question à l’industrie cinématographique :
qu’avez-vous fait de vos talents ? Qu’avez-vous fait des
passionnés ? Qu’avez-vous fait des inspirés ?
Qu’avez-vous fait des doux rêveurs ? Vous avez critiqué
Alain DELON, mais dîtes-moi qui d’autre que lui a incarné si bien
le destin du cinéma pour le meilleur et pour le pire ? Ce que
vous critiquez chez Alain DELON n’est-il pas précisément ce que
vous ne voulez savoir de ce que vous êtes… »
La
veille, il dînait dans un de ses cafés-théâtres sordides qu’il
affectionnait, y trouvant là une image du spectacle, celle où le
rêve ne parvient pas à masquer la triste réalité qui dépasse.
son pote le serveur lui avait expliqué qu’il avait tout raté car
la veille, ils avaient organisé un casting de sosie d’Alain
DELON. Intrigué, il avait essayé d’en savoir plus auprès de la
caissière qui était aussi anecdotiquement secrétaire, comptable,
éclairagiste, et prête-nom pour les responsabilités légales dans
le cas où il faudrait aller en prison en raison des magouilles du
patron. D’habitude, la jeune femme était assez affable, deux,
trois blagues, une oeillade, et hop ! Elle vous donnait le bon
Dieu sans confession c’est-à-dire toutes les histoires de diables
en action. Cependant, ce soir-là notre critique put constater
qu’elle avait du être sérieusement briefée : elle esquivait
toutes les attaques, riait à peine aux blagues et puis au fond des
yeux, il y avait lu la peur.
« N’est-il
pas un être unique ayant reçu l’acting en héritage ? Acteur
aimé des grands de ce cinéma que nous aimions, Visconti,
Melville, Losey, etc. N’a-t-il pas dû souffrir dans sa chair de
ne plus être guidée par de tels pairs par la suite, des
réalisateurs à la hauteur de son tempérament ? Sa tirade dans
le discutable Les Acteurs de Bertrand BLIER, ne dit-elle pas
simplement que ses amis sont disparus et qu’il reste tel un simple
vestige parmi les fauteuils vides d’une ambition cinématographique
qui aurait disparu ? … »
Ce
matin, pourtant notre critique avait réussi à coincer entre deux
portes la donzelle qui apparemment dirigeait l’impressionnant staff
de la ALAIN DELON S.A.
- Alors, lui avait-il dit, puis-je annoncer tout à l’heure la présence de monsieur Alain DELON ?
- Ecoutez, c’est délicat, pourriez-vous simplement contourner le sujet ?
- Mais enfin le sujet de ces deux jours est Alain DELON, comment voulez-vous que je le contourne ?
- Je veux dire simplement la question de sa présence.
- (..)
- Ecoutez, Alain DELON n’est pas encore décidé. Quoiqu’il en soit, il a prévu une intervention pour la clôture. Nous avons une copie VHS.
- Sont-ce des images de synthèse ?
La femme l’avait regardé
dubitativement. Il avait ainsi remarquer sa ressemblance à une
actrice connue.
« … Oui, la profession
avait été injuste envers Alain DELON, comme la profession avait été
injuste envers elle-même. Ce colloque pourrait peut-être modifier
… »
A présent, la voix hésitante,
il ânonnait avec conviction et prestance ce texte qu’il trouvait,
toutefois, ma foi, un peu grandiloquent. Il voyait bien que tous les
invités de prestige dans la salle, les compagnons de route et de
déroute de celui avec qui la profession avait été injuste
n’écoutaient rien et ne faisaient qu’attendre Alain DELON. En
effet, il avait pu comprendre, lors du lancement des invitations au
quota de V.I.P nécessaire et suffisant à l’obtention de sponsors,
que depuis près de trois ans, personne n’avait vu Alain DELON.
Le contexte de début de
siècle rendait possible ce type d’événements sans que
personne ne s’en étonnât. L’époque connaissait une sorte de
« secte-arisation » de la société sous la forme d’une
politique de l’amicale guerre de clans. Une sorte de moyen-âge,
futur antérieur où tribus et clans se prêtaient au jeu des guerres
d’économie libidinale ou d’argent sonnant et trébuchant. Le
politique œcuménique, laïque et d’intérêt général,
vieux chercheur des harmonies fouriéristes globales, peinait à se
faire entendre dans ces concerts de conflits d’intérêt où les
arbitres eux-mêmes avaient perdu leur latin. Malaise dans la
civilisation ? Pas de civilisation, pas de malaise ? Notre
critique, quant à lui, éternel absent des problèmes sociaux,
moraux et conviviaux, percevait ces questions par le filtre des
œuvres cinématographiques et des modalités de mise en œuvre des
festivals et autre congrès pour spécialistes. Le monde change, rien
de nouveau sous le soleil, en ce qui le concernait, il était
toujours question de continuer à faire ce qu’il lui plaisait,
soit aller au cinéma et écrire des papiers, créer du sens en son
absence : pour le reste, il revêtait la peau du caméléon pour
passer inaperçu. Il avait bien remarqué quelques comportements
mutants, des forces et des fous téléphonant, cependant il ne se
sentait nullement concerné. Il s’en fichait royalement. Car pour
le reste, il avait ses habitudes chez les prostitués. Cinéma,
Papiers imprimés et Amour tarifé, par-delà ça, comme tout être
solitaire, il avait des repères solides, les siens, dont notamment
l’existence d’Alain DELON. Et voilà que ce type de repère
solide dans cette sorte de foi particulière, que nourrit de façon
complexe et sans le savoir tout critique d’art et d’essai,
semblait s’évanouir : le « et si Alain DELON n’existait
pas ? » résonnait tel le « Et si Dieu
n’existait pas ? » des contemporains de Nietzsche ou
Dostoïevski.
« Alain DELON est né le
8 novembre 1935. Ses parents se séparent en 1939. Il sera dès lors
confié à une famille d’accueil avant d’être mis en pension
dans un institut catholique. A dix-sept ans, il s’engage dans la
marine et part pour l’Indochine. En 1956, de retour en France, il
fait plusieurs « petits métiers » avant d’être
remarqué en 1957 par Yves ALLEGRET qui lui propose un rôle dans
Quand la femme s’en mêle. Nous pourrions ériger ce
parcours en type idéal d’une période où le cinéma n’était
encore entièrement calibré par l’industrie. Alain DELON devint
acteur par hasard, son tempérament et son allure dans la vie fit
qu’un réalisateur le choisit. Il y avait à cette époque entre la
fabrique des images et la vie un rapport contenu-contenant qui se
serait inversé depuis. Aujourd’hui, nous aurions tendance à
croire que la vraie vie n’est accessible que si nous participons à
sa représentation, ainsi Star Academy, ainsi Voici, faire
son cinéma n’est-il pas devenu mot d’ordre éreintant ?
… »
Notre critique fumait cigarettes
sur cigarettes en écoutant d’une oreille distraite l’intervention
suivante et poursuivait des pensées en roue libre : « Et
si Alain DELON n’existait pas, se disait-il, ce colloque serait une
sorte de Vatican II ? Il convient de préciser ici au lecteur
que depuis les deux ans où notre critique s’acharne sur ce
colloque, le staff de la ALAIN DELON S.A. l’a prodigalement fourni
en produits dérivés du Saint- Patron. Ainsi, il fume de l’Alain
DELON, il s’essuie le corps après le bain avec de l’Alain DELON,
Alain DELON protège ses yeux du soleil et maintient son pantalon,
Alain DELON parfume ses aisselles. Petit à petit, ce halo d’Alain
DELON l’avait rendu plus sensible à ce qu’il avait souvent
oublié de travailler : son style dans la vie. Ses
copines habituelles, occasionnelles et tarifées le lui avaient fait
remarquer : « Tu es plus sûr de toi, non ? »,
« Dis, tu deviens élégant, tu as une petite amie ? »,
« Quelle allure, tu te métamorphoses, ou quoi ? »
Eh ! Oui, sous le voile protecteur des produits estampillés
Alain DELON s’opérait une alchimie de charme, le critique devenait
un rien plus homme du monde.
« Il y rencontre Romy
SCHNEIDER. Cette histoire d’amour est restée dans nos mémoires
collectives et peut-être, malgré nous, ce que nous reprochons
indéfiniment à l’acteur est ce que nous reprochons inconsciemment
à l’homme : ne pas avoir su rendre Romy SCHNEIDER heureuse.
C’est ainsi que nous sommes … »
Notre critique rallume sa
cinquième cigarette d’affilée. Très occupé de ses pensées, il
ne voit ni les personnes baillant ou quittant la salle, ni son
assistante effectuer des signes désespérés désespérément à
moins que d’un désespérant désespoir. Le jogging mental de notre
critique continuait son allure : « ainsi donc, tel le
corps d’Osiris, Alain DELON se serait dissous, et ne resterait que
ce corps disloqué, saint suaire démultiplié, costume de ses
disciples, revêtant les produits de sa marque … »
Son assistante lui tapa dans le
dos.
- Monsieur, Monsieur !
- Ah ! Annabelle, alors, ça roule ?
- Monsieur, monsieur, il y a là la police qui demande à parler à Monsieur Alain DELON.
- Bon dieu, il ne manquait plus que cela. Allez me chercher la jeune demoiselle du staff Alain DELON S.A., vous savez celle qui ressemble à Greta GARBO, ou plutôt Kim NOVAK.
- Vous voulez dire celle qui ressemble à Rita HAYWORTH ?
- Oui, voilà, c’est cela, qu’elle me rejoigne auprès de ces messieurs.
Notre critique allume sa sixième
cigarette. Dans le hall.
- Bonjour, Messieurs, que puis-je pour vous ?
- Vous êtes Monsieur Alain DELON ?
- Est-ce que je suis Monsieur Alain DELON ?
- Oui, est-ce que vous êtes Monsieur Alain DELON ? Insista l’homme en uniforme.
Notre critique eut quelques
instants la révélation d’un autre monde possible, non pas un
monde où Alain DELON n’existe pas, mais nuance, un monde
où Alain DELON n’a jamais existé.
- Non, désolé, mon nom est KLEIN, monsieur KLEIN, je suis l’organisateur de ce colloque. Que puis-je pour vous ?
- Nous sommes chargés de remettre en main propre un document concernant Monsieur Alain DELON. C’est important.
- Eh ! bien, mes mains sont propres, je pourrais lui transmettre dès qu’il aura lavé les siennes !
- (…)
- Bien sûr, bien sûr, je comprends, voyez-vous je ne suis que l’organisateur de ce colloque et en quelque sorte, ce colloque est dédié à Alain DELON, et , ah ! Mais voilà quelqu’un qui pourra vous aider ;
- De quoi s’agit-il ?,Demanda la responsable de la Alain DELON S.A qui avait en fait un faux-air de Judith GARLAND.
Le
flic commença à expliquer l’affaire et cependant notre critique
ne se souvient plus de rien. Il s’est retrouvé ensuite à la
tribune à annoncer une projection de quelques extraits de films. Une
sorte de trou de mémoire, de blanc métaphysique. Un peu surpris par
cette sorte de montage dans sa vie, il poursuivait avec assurance le
texte qu’il avait en main, tout en cherchant des yeux cette femme
qui ressemblait plutôt à Bette DAVIS.
« Et
maintenant trêve de bavardages, et place aux images, je vous laisse
savourer le talent de cet acteur rare, quel que soit le carcan.. »
En
regagnant les coulisses, bien décidé à faire la lumière sur ce
mystérieux oubli d’un pan de sa vie récente, il se trouve en fait
distrait par son pote de lycée, Albert devenu lui critique de rock
[à chacun ses idoles]. Ils se serrèrent la main selon un rituel
compliqué.
- Qu’est-ce tu fous là ?
- On va boire un café ? proposa Albert.
- Oui, si tu veux, lui dit Maurice, [de son prénom, notre critique]
Notre
critique, donc Maurice, put constater que la buvette était déjà
bien remplie et les personnes déjà bien éméchées. « C’est
toujours pareil, se disait-il, on organise des colloques, des
festivals, que sais-je encore ? Et ce, tout en sachant
pertinemment que l’essentiel est ailleurs, à la buvette, dans les
toilettes, où sais-je encore … » Maurice raconta en quelques
mots son histoire de trou de mémoire à son pote.
- Bon, tu sais, moi plus rien ne m’étonne, aujourd’hui, avec les musiciens dans la techno, tu n’as pas idée de tous les trucs bizarres. Ce n’est plus du tout sex, drug, and rock’n roll. C’est toujours des trucs du genre Sculder, Mully et money for nothing.
- Sculder et Mully, le truc de science-fiction ?
- Ouais, tu sais, George, notre troisième larron, critique littéraire, et les trois font la paire,
- Et vive LAGARDERE ! Oui et alors ?
- Georges m’a expliqué qu’aujourd’hui, nous vivons dans un monde de fictions, les trucs ne se passent plus d’un point de vue politique ou économique, ou je ne sais quoi. Non, d’après lui, le monde est piloté par des forces mentales.
- Je ne comprends pas.
- Et bien, si tu veux, pour te donner un exemple, ton colloque sur Alain DELON, ben peut-être que tu l’as fait parce que Mireille DARC avait envie de revoir Alain DELON, et son mental a utilisé le tien pour organiser ce colloque. Tu me suis ?
- Et toi, alors t’es là pour quoi ? demanda Maurice complètement vexé.
- Je suis là parce que j’t’m Maurice, quelle question ! Bon, ben on boit quoi ?
Et
là Maurice ne répondit pas car bouche bée, il voyait Alain DELON
se diriger vers lui d’un pas ferme et charmant, le sourire aux
lèvres, un sourire non pas réel mais sincère. Sincère,
un vrai truc de science-fiction.
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