Forum « Noli me tangere ».
- T'as entendu parler du boycott de l'oeuvre d'une peintre dans un musée aux Etats-Unis d'Amérique du Nord ?
- J'ai lu un truc dans Libé à ce sujet. Bon, faudrait voir le tableau (Open Casket de Dana SCHUTZ), ceci dit, lorsque je lis « machine a voulu représenter la douleur d'une victime des effets du racisme et a peint le visage d'une personne noire lynchée par des crétins et identifiée médiatiquement, blabla », je n'ai à priori pas envie de voir le tableau tant cela n'a rien à voir avec la peinture. Cela me semble putassier puissance 10 000. C'est peut-être idiot, le tableau est peut-être intéressant par ailleurs et en lui-même.
- La meuf a du travailler depuis des photos, c'est forcément de la merdre ! Le principe de la peinture est quand même de transposer dans le plan ce qui est donné à voir dans l'espace et parce qu'il n'est pas sûr que deux personnes qui regardent voient la même chose alors la peinture est une exploration passionnante.
- Je voudrais élaborer une théorie sur les traces de la matière noire dans la peinture.
- Tu parles de la peinture de quel siècle ?
- Il s'agit bien de peinture figurative dans le cas du tableau dont tu nous parles ! Il a été boycotté par ceux et celles qui estimaient que c'était un spectacle gratuit et à peu de frais de la violence, bref c'est une exploitation de la violence. De la même veine de celle des forains exposant des « monstres » tel « Elephant man » ou autres « freaks ».
- En fait, non, ce serait, je cite l'article d e Libé « une reproduction dans un style cubiste de la célèbre photo d'Emmet TILL, adolescent, victime d'un lynchage en 1955 ».
- Cela me semble totalement ridicule. Si c'est un style cubiste, alors pourquoi ne pas parler juste de corps lynché ou victime de violences, pourquoi préciser qu'il s'agit de violences racistes ?... De toutes les façons, c'est ridicule, tu ne peux pas faire une reproduction de style cubiste d'après une photo ! Le cubisme met toutes les vues qui seraient issus de différentes perspectives dans un seul plan. C'est ridicule ! C'est du marketing ! C'est de la putasserie !
- L'article de Libé que j'ai lu parlait justement d'exploitation d'images de la violence pour justifier le boycott de film de La BIGELOW sur les émeutes dites « raciales » qui se sont déroulées aux Etats-unis à la fin des années 60. Certains et certaines estiment que ce n'est pas à la BIGELOW, si j'ai bien compris fille de WASP hautement privilégiée, de raconter cette histoire-là, parce qu'elle n'est pas légitime pour la raconter.
- La question est mal posée. BIGELOW, bien que peut-être fille de WASP hautement privilégiée, aurait tout à fait le droit de raconter cette histoire dès lors que les enfants et petits-enfants des émeutiers de l'époque auraient la possibilité de le faire. Or, pour ce que j'en comprends, le problème est que cela n'est pas. Ceux et celles qui ont accès aux moyens de construire des représentations qui seront diffusées dans le monde doivent montrer « patte blanche » si j'ose dire...
- Avec internet ou avec un stylo, les petits-fils et les fils d'émeutiers ont malgré tout moyen de faire quelque chose ... la question serait plutôt celle de l'impact des block busters du cinéma hollywoodien sur les imaginaires collectifs mondiaux.
- Ouais, mais je crois qu'aux Etats-Unis, l'école publique est dans un tel état de délabrement qu'il y a aussi un problème d'accès à l'éducation pour les enfant et petits-enfants des émeutiers avant même celui de l'accès à la mise en représentations.
- L'éducation est une mise en représentations.
- Je ne comprends pas.
- Si le film de la BIGELOW est vu dans le monde par un grand nombre de personnes, ensuite quand quelqu'un évoquera les émeutes dites raciales de la fin des années 60 aux Etats-Unis d'Amérique du Nord, les uns et les autres penseront aux images du film de la BIGELOW, le film aura remplacé l'événement réel !
- C'est horrible ce que tu racontes.
- Non, il faut en être conscient pour ne plus se leurrer soi-même...
- Et est-ce que cela fait la même chose avec les films porno ? Le film porno dans la tête remplacerait l'événement réel de la baise ..
- Je ne sais pas je n'ai jamais encore vu de film porno.
- Et moi, je n'ai jamais « baisé ».
- En fait pour que cela ne soit pas, il faudrait que pleins de films bien distribués dans le monde entier abordant ce thème des émeutes dites « raciales » à la fin des années 60 aux Etats-Unis d'Amérique du Nord soient produit afin d'offir une diversité de regards et de points de vue et que l'événement réel dans sa richesse et sa complexité soit préservé et non pas écrasé par un seul blockbuster hollywoodien.
- Toutes comparaisons gardées, je me souviens qu'il y a fort longtemps deux adaptations du livre de Choderlos Laclos était sorti quasi simultanément. T'avais la version de Stephen FEARS et celle de Milos FORMAN et ainsi l'ouvrage « les liaisons dangereuses » étaient préservé, tu pouvais toi aussi te faire ta version en le lisant ou en le relisant.
- La meuf BIGELOW a, est-il dit, fait un gros boulot de recherches et de documentation, son film est peut-être intéressant d'un point de vue d'historien …
- Je ne suis pas persuadée que le cinéma soit le meilleur allié de la recherche historique mais dans le cas du film de la BIGELOW, pour ce que j'en comprends, il y a une scène de violence dans le film qui serait complaisante quant à la violence et quant au racisme, scène qui donnerait à voir quelque chose dans une forme qui pourrait être jouissive dans sa réception par le spectateur, ce serait une sorte de mise en scène pornographique de violences racistes : si c'est le cas c'est un gros gros gros problème qui mérite à lui seul le boycott.
- Je ne comprends pas.
- Ok, je vais te raconter autre chose. Quand j'étais petite, les femmes avaient le droit de vote presque partout, elles avaient peut à peu cessé d'être des mineurs juridiquement, les écoles dans leur grande majorité étaient mixtes et nous trouvions des habits dans les magasins qui étaient dits unisexe. Pour moi, j'étais l'égal des garçons, cela ne faisait aucun doute, c'est-à-dire je ne le formulais même pas. Pourtant, à la télé, nous étions, dans les séries américaines, abreuvées d'images de femmes qui se faisaient agressées, attaquées, violées, c'était comme un conditionnement mental. Je n'ai pas souvenir voir, étant petite, une femme à la télé donner, par exemple, un coup de pied dans les roubignolles d'un mec pour se défendre, etc... Les représentations étaient en retard sur la société, véhiculaient les poncifs d'une société patriarcale et continuaient à imprégner les êtres humains en devenir.
- N'est-ce pas plutôt que, dans les années 70, étaient diffusées dans les télés ouest-européennes les séries américaines des années 60 ?
- Bonne remarque. Mais c'est faux. Je ne crois pas que « Starsky et Hutch » ou « les mystères de l'ouest » soient des séries des années 60.
- J'ai un vague souvenir d'un film avec Annie GIRARDOT où elle ne se laisse pas faire. Il me semble que c'est un film plutôt comique avec Mireille DARC.
- En France, il y a quelques années, peut-être deux ou trois ans, des personnes avaient réalisé une exposition afin, disaient-elles, de sensibiliser les uns et les autres aux conditions de vie des esclaves (cf. « Papy MEUJOT passe son master II à l'université », épisode 4, novembre 2014). Si je me souviens bien, il s'agissait de « tableaux vivants » où tu voyais des personnes avec des fers aux pieds ou à la gorge, etc.. Bon, tu aurais vu des personnes de toutes les couleurs de peau, cela aurait pu passer et faire rigoler les sado-masochistes mais il n'y avait que des personnes de couleur de peau noire mises dans ces situations, l'imagerie perpétuait dans l'oeil les images de l'esclavage des personnes de peau noire qui s'est déroulée au XVIIIe siècle.. Comme si cette exposition ne servait qu'à poursuivre d'imprimer dans les esprits que les personnes ayant la peau noire ont des fers aux pieds ou à la gorge, etc...C'était totalement ridicule !
- Si l'on veut vraiment aborder intellectuellement le problème de l'esclavage, il faudrait pouvoir l'aborder non pas au travers du prisme commode que s'était donné les esclavagistes soit « ce sont des personnes noires, elles ne sont pas comme nous », mais au travers du prisme « des humains déshumanisent d'autres humains pour qu'ils les servent et travaillent à leurs seuls intérêts ». Pourquoi font-ils cela ? Et sommes-nous si sûres que cette forme de pensée et d'action a été eradiquée de nos sociétés ? De nos mentalités ?
- Je comprends ce que tu dis. Du moins, il me semble le comprendre. Dans cet article de Libé, au sujet du tableau de la miss machin soit Dana SCHUTZ , était mentionné un article intitulé « à qui appartient la douleur noire ? » évoquant le boycott de l'oeuvre. Je n'ai pas encore lu l'article, mais son titre me choque. Que des associations qui luttent pour le respect des droit civiques des populations noires-américaines s'insurgent contre un tableau qui visiblement exploite à peu de frais le malheur des populations dites noires américaines pour faire du buzz est totalement compréhensible mais parler de « douleur noire », c'est être du côté des racistes, les hommes et les femmes qui sont victimes du racisme sont des êtres humains comme toi et moi, leur douleur n'est pas noire ou jaune ou verte ou rose ou blanche ou arc-en-ciel, leur douleur est humaine, ce sont des êtres humains qui ont péri à Auschwitz, ce sont des êtres humains qui ont été lynchés et pendus aux Etats-unis d'amérique du Nord, ce sont des êtres humains qui ont été passés à la machette à Kigali, ce sont des êtres humains qui meurent noyés dans la méditerrannée, etc, etc.. Et rien, ni personne ne peut justifier ces crimes. Et il est vraiment difficile de nous en croire totalement innocent.
- L'enfer est pavé de bonnes intentions !
- Je ne sais pas ce que serait un enfer des représentations, en principe ce serait juste une poubelle, rien de diabolique là dedans, ni de démoniaque, mais il est vrai qu'il n'y a pas pire merdre en art que des dites œuvres issues d'une dite bonne intention. De notre point de vue, l'absence totale d'intention est une condition nécessaire … Mais de nos jours avec les conditionnements mentaux élaborées par le marketing, la publicité et les médias, les appareils de production qui doivent abreuver les médias d'histoires et d'anecdotes, l'idéologie des dits « médiateurs » qui expliquent aux publics ce qu'ils doivent voir, sentir et penser de ce qui leur est donné à voir et/ ou le containement social attendu des animations culturelles dans les espaces urbains, il n'est pas rare de voir croûtes et navets célébrés tels des chefs d'oeuvre !
- Amen.
Cf :
article « Cause noire : Bigelow bute sur les nouveauxtabous américains. » Libé 12 et 13 août 2017.
voir
aussi « à qui appartient la douleur noire ? » ZadieSMITH, Harper's magazine ou critique du film de BIGELOW par RichardBORDY New Yorker.
[Notes
du 18 août 2017 : alors l'article de Zadie SMITH c'est un peu
de la branlette de bourge pour magazine féminin mais dans la
longueur il y a des trucs pas totalement dépourvus d'intérêt, si le
tableau de Dana SCHUTZ est celui qui apparait dans l'article du monde http://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2017/04/03/aux-etats-unis-colere-noire-contre-une-artiste-blanche_5104873_4497271.html c'est de la merdre et alors aucun rapport avec le cubisme.
Palme
d'or à la critique de cinématographe de Richard BORDY (le mec BORDY
est un critique de cinématographe, il ne se touche pas en écrivant
son texte, contrairement à la meuf SMITH, mais nous parle vraiment
des problèmes d'écriture cinématographique du film de la BIGELOW
et il analyse l'idéologie qui y est véhiculée)
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