PAPY MEUJOT passe son master II à l'Université.
Papy
MEUJOT voulait en avoir le cœur net. Il voulait relire le texte
« Français, encore un effort pour être républicain »
écrit par le Marquis de SADE au sein de sa philosophie du boudoir,
où, pour ce qu'en Papy MEUJOT s'en souvenait, SADE explique
qu'après la mort de Dieu, si les hommes ne croient plus en rien, ils
pourront alors se massacrer les uns les autres sans crainte car
d'ailleurs ils n'auront rien d'autre à faire. Papy MEUJOT voulait
vérifier que sa mémoire n'avait pas falsifié les propos du marquis
ou si, avec l'âge et les expériences, il y lirait autre chose. En
recherchant le texte dans un fatras amoncelé de livres et de
feuilles imprimées format A4 que Papy MEUJOT avait placé dans un
carton un jour de juillet 2004 afin de les classer le jour suivant,
Papy MEUJOT retrouva des photocopies de la préface écrite par
Pierre KLOSSOWSKI à son propre ouvrage « Sade, mon
prochain ». Papy MEUJOT, debout, se mit à lire :
« L'on se propose d'aborder ici l'expérience de SADE telle
qu'elle s'est traduite dans l'écriture.
Auparavant
l'on essayera de définir la position philosophique qu'il a prise ou
feint de prendre dans ses romans. A cet égard que signifie pour SADE
le fait de penser et d'écrire relativement au fait de sentir et
d'agir ?
SADE
lui-même, pour désavouer définitivement sa
Justine, déclare que tous les personnages « philosophes »
de ses « propres » ouvrages ne sont que des « honnêtes
gens », alors que « par une impardonnable maladresse pour
brouiller l'auteur (de Justine)
avec les sages et avec les fous », tous les « personnages
philosophes de ce roman sont gangrenés de scélératesse. »
Cette
confrontation du philosophe « honnête homme » et du
philosophe « scélérat » remonte à Platon. Le
philosophe honnête homme se prévaut du fait de penser comme de la
seule activité valable de son être. Le scélérat qui philosophe
n'accorde à la pensée d'autre valeur que de favoriser l'activité
de la passion la plus forte ; laquelle aux yeux de l'honnête
homme n'est jamais qu'un manque d'être. Mais si la plus grande
scélératesse consiste à déguiser sa passion en pensée, le
scélérat ne voit jamais dans la pensée de l'honnête homme que le
déguisement d'une passion
impuissante.
Si
l'on veut rendre justice à SADE, il faut prendre au sérieux cette
« philosophie scélérate ». Car telle que celle-ci se
prodigue dans une œuvre immense, elle trace un sinistre point
d'interrogation sur le parti de penser et d'écrire, et
particulièrement de penser et d'écrire un acte,
au lieu de le commettre.
Parti
pris qui ne tranche pas pour autant le dilemme : comment rendre
compte d'un fond de sensibilité irréductible autrement que par les
actes qui la trahissent ? Irréductible fond qui ne se peut
réfléchir si ressaisir jamais que dans des actes exécutés à
l'extérieur de la pensée – irréfléchis et insaisissables. »
PAPY
MEUJOT s'assit sur le bord d'un autre grand carton et continua sa
lecture :
« LE
FAIT d'ECRIRE chez SADE.
Le
fait proprement humain d'écrire suppose une généralité dont un
cas singulier revendique l'adhésion et par là se comprend soi-même
dans l'appartenance à cette généralité. SADE dans son cas
singulier conçoit lui-même le fait d'écrire comme vérifiant cette
appartenance. L'organe de la généralité à l'époque de SADE est
le langage logiquement structuré de la tradition classique :
par sa structure, ce langage re-produit et reconstitue dans le
domaine du geste communicatif la structure normative de l'espèce
humaine dans les individus. Celle-ci, physiologiquement parlant,
s'exprime par une subordination des fonctions de vivre ,
subordination qui assure la conservation et la propagation de
l'espèce. Le besoin de se reproduire et de se perpétuer qui agit en
chaque individu correspond au besoin de se reproduire et de se
perpétuer par le langage. Ainsi s'établit la réciprocité de
persuasion qui permet l'échange des singularités individuelles dans
le circuit de la généralité. La réciprocité de persuasion ne
s'effectue jamais que selon le principe d’identité ou principe de
non contradiction : lequel fait coïncider le langage
logiquement structuré avec le principe général de l'entendement,
soit la raison universelle. »
PAPY
MEUJOT relut plusieurs fois le paragraphe. Puis il alla s'asseoir à
la table de son bureau où se trouvait un cahier de notes (un carnet
de notes) et un stylo bille. PAPY MEUJOT poursuivit sa lecture :
« C'est
conformément à ce principe de la généralité normative de
l'espèce humaine que SADE veut établir une contre-généralité,
valant cette fois pour la spécificité des perversions, qui puisse
permettre un échange entre les cas singuliers de perversion,
lesquels, selon la généralité normative existante, se définissent
par une absence de structure logique. Ainsi se projette la notion
sadienne de monstruosité intégrale. »
PAPY
MEUJOT entendit vaguement soudain la voix de Marguerite DURAS
expliquant à JAVIER MARIAS (Enrique Villa MATAS), écrivain débutant
au projet de polar d'un livre tueur , PAPY MEUJOT entendit la voix de
Marguerite DURAS expliquant que ce doit être le texte lui-même
qui tue ceux et celles qui le lisent. PAPY MEUJOT se souvint que
cet épisode se situe dans l'ouvrage « PARIS est une Fête »
de Javier MARIAS soit à vrai dire Enrique VILLA MATAS. Nullement
apeuré, PAPY MEUJOT poursuivit sa lecture de la préface de
KLOSSOWSKI à son propre ouvrage « SADE, mon prochain. » :
« Mais
cette contre-généralité valant pour la spécificité de la
perversion, il la suppose déjà implicite à la généralité
existante : pour SADE, l'athéisme proclamé par la raison
normative, au nom de la liberté et de la souveraineté de l'Homme,
est destiné à retourner la généralité existante en cette
contre-généralité.
Ainsi
l'athéisme, acte suprême de la raison normative, doit instituer le
règne de l'absence totale des normes. En choisissant pour témoignage
de l'acte de raison qu'est l'athéisme la façon perverse de sentir
et d'agir, dépourvue de logique, SADE remet immédiatement en cause
d'une part la raison universelle en tant qu'il la rend contradictoire
dans sa propre application ; d'autre part le comportement humain
en tant qu'il découle de la subordination des fonctions de vivre.
CRITIQUE
DE L'ATHEISME par SADE.
Comment
la raison en vient-elle à l’athéisme ? Du fait qu’elle
décide que la notion de DIEU altérait encore de façon illogique,
donc monstrueuse, sa propre autonomie : c'est, déclare-t'elle,
de la notion de DIEU, en soi arbitraire, que découle tout
comportement arbitraire, pervers et monstrueux. Désormais, si
l'athéisme peut prévaloir comme décision de la raison autonome,
c'est que cette autonomie prétend à elle seule maintenir les normes
de l'espèce dans l'individu et ainsi, par la subordination des
fonctions du vivre en chacun pour l'égalité et la liberté de tous,
assurer un comportement humain selon ces normes. Comment
inclurait-elle des phénomènes contraires à la conservation de
l'espèce, étrangers à sa structure, si elle-même ne se renouvelle
pas dans son propre concept ? Mais c'est là précisément que
SADE exerce de façon implicite une critique de la raison normative.
Pour SADE, cet athéisme-là n'est encore rien d'autre qu'un
monothéisme inversé et apparemment purifié d'idolâtrie, qui le
distingue à peine du déisme, puisqu'au même titre que la notion de
Dieu, il garantit le moi responsable, sa propriété, l'identité
individuelle. Afin que l'athéisme se purifie lui-même de ce
monothéisme inversé, il faut qu'il soit intégral. Mais alors quel
sera le comportement humain ? On croit que SADE va répondre :
Voyez mes monstres : et sans doute a-t-il lui-même brouillé
les cartes suffisamment pour qu'on le suppose capable d'une réponse
aussi naïve.
S'exprimant
selon le concept de raison universelle, SADE ne peut jamais rendre
compte du contenu positif de la perversion, soit de la sensibilité
polymorphe autrement que par des concepts négatifs découlant de
cette raison ; et, ainsi, aux antipodes des « suppôts de
la tonsure », il ne peut éviter de soulever la réprobation
des athées bien-pensants : jamais ceux-ci ne lui pardonneront
d'avoir rejoint la monstruosité de l'arbitraire divin, par le détour
de l'athéisme. La raison se voulait affranchie de DIEU. SADE -mais
très sourdement- veut affranchir la pensée de toute raison
normative préétablie : l'athéisme intégral sera la fin de la
raison anthropomorphe. Nonobstant cette obscure volonté, SADE ne
distingue ni ne cherche non plus à distinguer le fait de penser du
fait de se référer à la raison universelle hypostasiée dans son
concept de nature. Cette distinction ne s'exprime que dans les actes
aberrants qu'il décrit, pour autant que la pensée ait ici une
portée expérimentale. Soit insouciance, soit malin plaisir aux
situation contradictoires, en tant que romancier il donne à ses
personnages des allures de « philosophes gangrenés de
scélératesse ».
Car
si ceux-là réfèrent à cette raison normative leurs agissements
dictés par l'anomalie, c'est pour ruiner l'autonomie de la raison
dont ils se moquent et dont ils démontrent la vanité quand, par son
acte suprême, l'athéisme, elle prétend garantir le comportement
humain. L'athéisme, s'il n'est pas repensé à partir des phénomènes
que la raison rejette, consolide encore les institutions existantes
basées sur les normes anthropomorphes. Il en résulte le dilemme
suivant : ou bien la raison même est exclue de sa décision
autonome (l'athéisme) qui devait prévenir la monstruosité dans
l'homme, ou bien la monstruosité s'exclut à nouveau de toute
argumentation possible.
LA
DESCRIPTION DE L’EXPÉRIENCE SADIENNE PAR SADE.
La
description que Sade donne de sa propre expérience à travers ses
personnages recouvre une double expérimentation : 1. celle de
la représentation du sensible dans l'acte aberrant ; 2. celle
de la représentation décrite.
Chez
SADE, cette écriture n'est pas purement descriptive (objective),
mais interprétative : en interprétant l'acte aberrant comme
une coïncidence de la nature sensible et de la raison, SADE humilie
à la fois la raison par le sensible, et le sensible « raisonnable »
par une raison perverse. La raison perverse n'en est pas moins la
réplique de la raison censurant le sensible : en tant que
réplique de la censure, la raison perverse retient celle-là pour
réintroduire dans le sensible « raisonnable » la
sanction punitive en tant qu'Outrage – par quoi SADE entend
la transgression des normes.
Pour
SADE, il n'y a pas à justifier le fait du sentir en soi,
irréductible de la perversion. C'est l'acte aberrant qui en découle
que SADE veut moraliser : aberrant aux yeux de SADE même, tant
que la raison ne peut s'y reconnaître, fût-elle athée.
Le
sensible ne se décrit chez SADE que sous la forme d'une propension à
agir. De sa description SADE passe progressivement à l'explication
morale de l'acte. Ainsi il établit entre la façon perverse de
sentir et la façon perverse d'agir le double rapport que
l'expression de son intériorité propre entretient d'une part avec
l'extériorité de l'acte aberrant ; d'autre part avec
l'extériorité de la raison normative. En sorte que la
distinction ente le sadisme réfléchi et l'acte irréfléchi ne peut
jamais s'effectuer que l’intermédiaire de la raison normative. Il
en résulte un tout indissoluble où le sensible (soit l'expérience
propre à SADE) s’obscurcit à mesure que le discours doit
justifier l'acte.
C'est
à partir de sa façon de penser l'acte, qui découle de la façon
perverse de sentir, que Sade se déclare athée. Du fait de penser
l'acte pervers comme obéissant à un impératif moral, soit à
l'idée, il repense la sensibilité perverse à partir de cette
idée : donc il réorganise explicitement l'insubordination des
fonctions de vivre à partir de la raison athée ; mais
désorganise implicitement la raison normative à partir de
l'insubordination fonctionnelle.
POURQUOI
SADE N'A PAS RECHERCHé UNE FORMULATION CONCEPTUELLE POSITIVE DE LA
PERVERSION (SOIT DE LA POLYMORPHIE SENSIBLE). DE LA NECESSITE de
L'OUTRAGE.
Si
SADE avait recherché, pour autant qu'il s'en souciât jamais, une
formulation conceptuelle positive de la perversion, il serait
précisément passé à côté de sa propre énigme : il
n'aurait intellectualisé le phénomène du sadisme proprement
dit.Ceci même est dû à un motif plus obscur qui forme le nodus
de l'expérience sadienne. Motif de l'outrage en ce sens que ce qui
est outragé est maintenu pour servir d'appui à la
transgression.
SADE
s' enferme dans la sphère de la raison normative non seulement
parce qu'il reste tributaire du langage logiquement structuré mais
parce que la contrainte exercée par les institutions existantes
vient à s'individuer dans sa propre fatalité.
Si
l'on fait abstraction de l'étroite connivence des forces expressives
avec celles subversives, connivence qui s'établit dans sa conscience
du fait qu'il contraint la
raison à servir de référence à l’anomalie, et
l'anomalie à se
référer à la raison, par le détour de l'athéisme, on ôte à la
transgression la nécessité de l'outrage : elle en devient une
purement intellectuelle confondue avec l'insurrection générale des
esprits à la veille de la Révolution : le sadisme même ne
serait alors qu'une idéologie utopique parmi d'autres.
En
revanche, la nécessité inhérente au phénomène veut que chez
SADE, la transgression l'emporte sur les postulats qui découlent
logiquement de ses déclarations athées. »
- PAPY MEUJOT, ohohoh
Papy
MEUJOT leva le nez du texte lu avec avidité et concentration et
regarda autour de lui : il n'y vit personne.
- Papy MEUJOT, ohohoh, je suis là.
Papy
MEUJOT essaya de se lever de sa chaise mais il n'avait plus de corps.
Pris de panique, il ouvrit les yeux et vit le visage de Josette au
dessus du sien, et de son corps allongé dans un lit d'hôpital. Il
se souvint rapidement d'un malaise, de pompiers et il vit sur sa
table de chevet l'ouvrage « les lois de l'hospitalité »,
trilogie écrite par Pierre KLOSSOWSKI.
- Oh ! Josette ! Et alors ce voyage en bus ?
(à
suivre).
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