MON HISTOIRE DE LA DANSE EST LA SEULE QUE JE COMPRENNE.
Dans
les années 90, Odile DUBOC a organisé un événement en Franche
Comté qui s'appelait 7 Jours-7 villes, qui annonçait l'ouverture du
prochain Centre Chorégraphique de Franche-Comté à Belfort-Sochaux,
se déroulait pendant sept jours du mois de septembre 1992 et dans
sept villes de Franche-Comté, dont Belfort qui avait pour maire,
Jean-Pierre CHEVENEMENT et président du Conseil Général, Christian
PROUST. En tant que contact de la presse, j'avais obtenu un article
dans le journal « Parcours » de la compagnie aérienne
Air INTER distribué gratuitement sur les vols intérieurs, ce qui
aurait presque suffit à ces messieurs-dames qui décident où va
l'argent public des collectivités régionales, départementales ou
communales et qui prennent l'avion pour aller à Paris. L'événement
aurait pu ne pas avoir lieu, ils et elles étaient déjà satisfaits.
Et pourtant l'événement allait avoir lieu et j'avais du faire
signer ou aposer des tampons sur quelques demandes de procurations de
vote pour une poignée de danseurs politisés qui voulaient voter
contre le traité de Maastricht sur lequel MITTERRAND avait jugé bon
de demander leur avis aux Français et que certains dont CHEVENEMENT
estimaient être un mauvais traité pour les intérêts français à
moins que des français. A l'époque, je n'avais pas d'avis,
j'essayais de survivre, de gagner un peu d'argent pour payer mon
loyer et donc de garder mon job bien que l'administratrice de la
compagnie devenue Centre chorégraphique, bien que l'administratrice
engagée après moi cherchait à démontrer l'inutilité de mon poste
basé à Paris. Donc j'étais en ce mois de septembre 1992 restée à
BELFORT où j'avais réussi à squatter un palier dans une maison où
étaient logées des danseuses et un des fils mineurs d'une des
danseuses et où une sorte de canapé acheté à EMMAUS me faisait
office de lit. Le coût de la chambre d'hôtel ne pouvait plus être
un argument pour m'éloigner. Mon mari de l'époque était à Paris
dans notre minuscule appartement et recevrait pendant cette période
une visite de la police chargée de vérifier la réalité de notre
vie maritale faisant suite à sa demande de naturalisation. La vie
des jeunes gens se déroule en milieu hostile mais c'est leur
jeunesse, leurs rêves et leurs espoirs qui leur permettent de ne pas
sentir le souffle de la haine qui les traque ou les guette...
L’événement allait avoir lieu mais finalement seulement sur six jours dans six
villes car le maire de SOCHAUX a eu trouvé le moyen de mourir dans
la nuit qui précédait le jour où les danseurs devaient se rendre
dans sa ville, ce dont je lui suis personnellement reconnaissante car
le matin même Odile m'avait téléphoné en me demandant de trouver
quatre-vingt imperméables transparents pour les danseurs parce qu'il
pleuvait. Alors que je me demandais où je pourrais trouver cela à
BELFORT, le type qui dirigeait le Théâtre et peut-être le service
culturel de la ville de SOCHAUX et devait aussi sans doute avoir un
boulot chez PEUGEOT, bref ce type dont j'ai oublié le nom a
téléphoné pour dire qu'il annulait l'événement en raison de la
mort du maire. C'est toujours affreux de se sentir heureux(se) et
soulagé(e) à l'annonce de la mort de quelqu'un que l'on ne
connaissait pas et en raison d' un motif aussi futile que de ne plus
à avoir à trouver quatre vingt imperméables transparents dans une
ville que l'on ne connait pas, mais la vie est faite ainsi, de
paradoxes moraux.
L'événement
avait lieu et mettait en jeu quarante danseurs dans des mises en
situation fortuites au sein des foules et badauds dans les rues,
places et parcs. voire cafés. Odile DUBOC appelait ce travail des
« Fernands » et l'avait mis au point lorsqu'elle habitait
Aix-en-Provence et y avait une école de danse et un atelier. Deux,
trois, quatre danseurs font la même rapide action au sein des
foules, ce qui, vu du dehors, va soudain structurer l'espace du
regard et ramener l'attention sur ce qui se passe au présent dans
l'environnement que souvent personne ne regarde vraiment comme une
scène de théâtre. Comme disait Merce CUNNINGHAM, ce qu'il veut
montrer sur scène « c'est çà » et il montrait la ville
grouillant et bruissant sous les fenêtres de son studio à New-York.
Dans les « Fernands », les danseurs d'Odile DUBOC ont des
rendez-vous et des parcours et peuvent atteindre le climax d' « un
vol d'oiseau » où soudain une nuée de danseurs s'emparent
d'une place en courant. Ces événements sont par définition
fortuits mais pour des raisons de subventions publiques, il avait été
nécessaire de communiquer sur le sujet en ce mois de septembre à
moins qu'octobre 1992 ce qui par définition nuisait au projet dont
le principe est de surgir dans l'espace de vision des quidams alors
qu' hors d'attente d'un quelconque spectacle et ce, afin de célébrer
le spectacle de la vie quotidienne que nous omettons trop souvent de
regarder.
C'est
le début des années quatre vingt dix du siècle vingt. C'est le
début de la fin du XX siècle. Tim BERNERS-LEE a inventé le HTML et
le Word Wide Web il y a à peine une année et Marc ANDREESSEN est en
train de plancher avec d'autres étudiants d'une université de
l'ILLINOIS sur le logiciel MOSAIC qui permettra les liens
hypertextes.
L'événement
avait lieu et mettait en situation quarante danseurs dont peut-être
vingt étaient salariés par le Centre chorégraphique, les autres
étant des stagiaires défrayés pour leur repas lors des
représentations soit une semaine mais dans mon souvenir pas lors des
répétitions soit les deux semaines précédentes. Les lieux de
« culture » ont été, à ma connaissance, de grands
laboratoires de toutes les trouvailles possibles et imaginables
concernant la flexibilité du droit du travail. L'administratrice de
la compagnie devenue Centre Chorégraphique avait récupéré des
appartements appartenant à la ville de BELFORT habituellement
destinés à des instits ou des profs mais qui n'en voulaient plus
car ne correspondant plus à leur critères de confort nous avait-il
été dit. Pour ce que j'en avais compris. Nous avions réussi à
caser plus ou moins tous les danseurs professionnels selon les normes
syndicales et garder un appartement à destination des stagiaires qui
n 'habitaient pas la région. Le type de la ville avait branché
l'électricité de deux appartements sur les lieux communs de
l'immeuble afin de ne pas avoir à s'emmerder avec EDF pour seulement
trois semaines. Dans mon boulot, j'avais la charge de la
communication avec les danseurs et danseuses, aujourd'hui je pense
que certains utiliseraient le terme de community manager mais à
l'époque ce terme n'existe pas, ce boulot n 'est pas théorisé et,
de toutes les façons, mon travail est plus vaste, je suis
« assistante de production ». HAHAHA. Bref, je faisais le
tour des logements des danseurs pour voir si chacun ou chacune était
peu ou prou satisfait de ses conditions matérielles afin de prévenir
et anticiper des problèmes triviaux qui pourraient pourrir bêtement
les processus créatifs, blabla, donc après les premières
répétitions des événements, j'étais rentrée avec trois
danseuses faire un tour dans leur appartement voir si tout allait
bien : cela ressemblait à un cliché, ces damoiselles
s'adonnaient chacune à leur activité celle-ci lisait, celle-ci
dessinait, telle autre je ne sais plus, peut-être se reposait
simplement et dans mon souvenir, un violoncelle jouait du Bach depuis
un magnétophone. Une danseuse m'a demandé si elle pourrait
récupérer un écritoire en bois qui était dans le mobilier de
l'appartement acheté à EMMAUS. Bref tout allait bien dans le
meilleur des mondes possibles, on aurait dit une pub, je suis ensuite
passé voir l'appartement des stagiaires deux étages plus bas.
« Car
ici est la vraie joie ». Je ne connaissais pas à l'époque
cette phrase de François d'Assise qu'il prononce alors qu'il se
trouve dans une léproserie après avoir été refusé au sein de son
propre monastère par un jeune moine ne le connaissant pas alors
qu'il arrivait tard, après les fermetures des portes, qu'il était
fatigué, avait perdu son latin et parce qu'il ne devait succomber à
la vanité d'éconduire le jeune moine en lui faisant remarquer qu'il
était celui qui avait fondé l'ordre auquel ce jeunot se targuait
d'appartenir. Le jeune moine lui avait donc dit au travers la porte
de se rendre à la léproserie pour la nuit et qu'au lendemain matin,
on verrait pour son cas. La léproserie est l'endroit où s'entassent
les lépreux, les malades que l'on ne sait soigner, les malades dont
personne ne veut s'occuper parce qu'ils sont plus ou moins
contagieux. Frigorifié et fatigué, François d'Assise va là-bas
pour dormir et ressent une immense joie auprès de ces damnés. « Car
ici est la vraie joie. » dit -il.
Peut-être
dix à vingt personnes s'entassaient dans l'appartement qui faisait
la même surface que celui où s'ébrouaient selon les normes
syndicales les trois danseuses précédentes. Tout le monde était
très joyeux de me voir. Chacun me montrait leurs trouvailles et
astuces pour se faire un endroit où dormir mais aussi leurs bêtises, je me souviens d'un matelas qui avait brûlé à moitié et
du compteur electrique des communs qui sautait tout le temps malgré
les épingles à nourrice. Des pâtes cuisaient dans une casserole
sur une plaque électrique posée à même le sol, est-ce que j'en
voudrais, il y avait du ketchup et du fromage rapé, Rien n'était
misérable ou pitoyable, une énergie folle et joyeuse se dégageait,
dans mon souvenir chacun et chacune cherchait à me déculpabiliser
de la honte qui me submergeait quant aux conditions qui leur étaient
faites. « C'est pour moi une chance d'être là et de
participer à toute cette aventure », m'avait dit une femme qui
devait avoir peut-être quarante ans. Odile DUBOC libérait leurs
corps, ils et elles dansaient dans la rue,, ils étaient les rois et
les reines du monde pendant trois semaines, le reste n'avait que peu
d'importance.
Puis
j'ai du rentrer à l'autre bout de la ville dormir sur mon palier.
(à
suivre).
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