Josette, espionne rousse du réel, lit « les carrefours du labyrinthe » regroupant différents essais écrit par Cornélius CASTORIADIS et publié en 1978.



Josette commença sa lecture par la page 221 : « à l'idée grecque de l'homme, zoon logon echon – vivant possédant le logos, le parler-penser _ les modernes ont juxtaposé, et même opposé, l'idée de l'homo faber, l'homme défini par la fabrication d'outils. Les documents anthropologiques ont paru, un temps, leur donner raison, mais ce n'était qu'apparence : [..] »L'homme fabrique des outils concrets et des symboles […] les uns et les autres recourant dans le cerveau au même équipement fondamental […] Le langage et l'outil [..] sont l'expression de la même propriété chez l'homme. » Ce qu'André LEROI-GOURHAN considère ainsi comme pratiquement certain à partir des données matérielles se rencontre avec ce que la réflexion philosophique sur la technique et le langage pourrait constater. Dans les deux cas, le même dégagement par rapport à l'immédiat est en jeu : dans les deux cas émergent une temporalité sui generis qui se superposent à la temporalité et à l'ordre naturels et en inversent les signes ; dans les deux cas, on a pour parler comme MARX, une extériorisation ou « objectivisation » de l'homme, qui reste inintelligible si on la coupe d'une intériorité pourtant elle-même inaccessible ; outil et parole doublent immédiatement leur existence empirique, de fait par un eidos universel (ils ne sont outil ou parole que comme instances concrètes de cet outil outil, de ces mots) ; enfin pour les deux, il y a la réalité et l'apparence de leur maîtrise par l'individu utilisateur, l'apparence et la réalité de leur maitrise sur l'individu auquel ils préexistent et qui, sans eux, ne serait pas.
Mais, depuis bien des lustres, la question de la technique a cessé d'être objet de recherche scientifique et de réflexion philosophique pour devenir source d'une préoccupation qui va grandissant. Résultat évident de l'énorme impact de la technologie contemporaine sur l'homme concret (à la fois comme producteur et consommateur), sur la nature (effets écologiques alarmants), sur la société et son organisation ( idéologie technocratique, cauchemar ou rêve paradisiaque d'une société cybernétisée), cette préoccupation reste passivement, au niveau sociologique d'une duplicité profonde. L’émerveillement  devant les artefacts, la facilité avec laquelle le commun des mortels comme les prix Nobel se laissent emprisonner dans de nouvelles « mythologies » («  les machines qui pensent » _ ou « la pensée comme machine ») accompagnent, souvent chez les mêmes, une clameur qui monte contre la technique rendue soudain responsable de tous les maux de l'humanité. La même duplicité se manifeste sur la plan sociopolitique lorsque la « technicité » sert e paravent au pouvoir réel , et que l'on maudit les « technocrates » auxquels on serait pourtant prêt à confier à confier la solution de tous les problèmes. Ici s'exprime simplement l'incapacité de la société de faire face à son problème politique. Mais il n'en va pas autrement de l'attitude globale à l'égard de la technique : la plupart du temps, l'opinion contemporaine, courante ou savante, reste empêtrée dans l'antithèse de la technique comme pur instrument de l'homme (peut-être mal utilisé actuellement) et de la technique comme facteur autonome, fatalité ou « destin » (bénéfique ou maléfique). Par là la pensée continue son rôle idéologique : fournir à la société le moyen de ne pas penser son problème véritable, et d'esquiver la responsabilité devant ses créations. »

(à suivre)

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