Louise et les chics types en stéréo.





Louise se réveilla d'un coup en reprenant son souffle. Elle s'était endormie assise et eut l'impression d'avoir dormi quasi des siècles, du moins, au moins une année. Elle éprouvait cette sensation de revenir des limbes ou entre mort et vie, enfer et paradis, les âmes et les corps attendent, suspendus entre deux. « Ce doit être cela le sommeil de cent ans de la Belle au bois dormant où tout ce qui s'était endormi se réveille comme par magie par la grâce du baiser. Mais alors, se demanda Louise, où est donc mon prince résultat de ce prodige ? » Louise regarda autour d'elle, l'atelier n'avait guère changé, peut-être plus de poussière. Elle se rappelait cependant s'être endormi en lisant une histoire de France écrite par Emmanuel BERL illustrée de photos de l'époque et se trouvait à son réveil sur des pages du livre ouvert « la science et l'hypothèse » d'Henri POINCARé. « J'ai du lire quelque part qu'EINSTEIN aurait affirmé que la lecture de cet ouvrage avait libéré son esprit des carcans académiques et ouvert des chemins pour de penser ses théories révolutionnaires. » Louise frissonna. « et si je n'étais moi-même qu'une simple hypothèse ? Une hypothèse de personnage ? Une hypothèse de femme ? Une hypothèse de... » Afin de couper court à une panique qu'elle pressentit bien plus lointaine que les méandres d'où son récent réveil l'avait extirpé, pour couper court à un sentiment presqu'archaïque, Louise commença la lecture là où le livre était ouvert : « Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute ; la logique de la science est infaillible et, si les savants se trompent quelquefois, c’est pour en avoir méconnu les règles.
Les vérités mathématiques dérivent d’un petit nombre de propositions évidentes par une chaîne de raisonnements impeccables ; elles s’imposent non seulement à nous, mais à la nature elle-même. Elles enchaînent pour ainsi dire le Créateur et lui permettent seulement de choisir entre quelques solutions relativement peu nombreuses. Il suffira alors de quelques expériences pour nous faire savoir quel choix il a fait. De chaque expérience, une foule de conséquences pourront sortir par une série de déductions mathématiques, et c’est ainsi que chacune d’elles nous fera connaître un coin de l’Univers.
Voilà quelle est pour bien des gens du monde, pour les lycéens qui reçoivent les premières notions de physique, l’origine de la certitude scientifique. Voilà comment ils comprennent le rôle de l’expérimentation et des mathématiques. C’est ainsi également que le comprenaient, il y a cent ans, beaucoup de savants qui rêvaient de construire le monde en empruntant à l’expérience aussi peu de matériaux que possible.
Quand on a un peu plus réfléchi, on a aperçu la place tenue par l’hypothèse ; on a vu que le mathématicien ne saurait s’en passer et que l’expérimentateur ne s’en passe pas davantage. Et alors, on s’est demandé si toutes ces constructions étaient bien solides et on a cru qu’un souffle allait les abattre. Être sceptique de cette façon, c’est encore être superficiel. Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir.
Au lieu de prononcer une condamnation sommaire, nous devons donc examiner avec soin le rôle de l’hypothèse ; nous reconnaîtrons alors, non seulement qu’il est nécessaire, mais que le plus souvent il est légitime. Nous verrons aussi qu’il y a plusieurs sortes d’hypothèses, que les unes sont vérifiables et qu’une fois confirmées par l’expérience, elles deviennent des vérités fécondes ; que les autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en fixant notre pensée, que d’autres enfin ne sont des hypothèses qu’en apparence et se réduisent à des définitions ou à des conventions déguisées.
Ces dernières se rencontrent surtout dans les mathématiques et dans les sciences qui y touchent. C’est justement de là que ces sciences tirent leur rigueur ; ces conventions sont l’œuvre de la libre activité de notre esprit, qui, dans ce domaine ne reconnaît pas d’obstacle. Là, notre esprit peut affirmer parce qu’il décrète ; mais entendons-nous : ces décrets s’imposent à notre science, qui, sans eux, serait impossible ; ils ne s’imposent pas à la nature. Ces décrets, pourtant, sont-ils arbitraires ? Non, sans cela ils seraient stériles. L’expérience nous laisse notre libre choix, mais elle le guide en nous aidant à discerner le chemin le plus commode. Nos décrets sont donc comme ceux d’un prince absolu, mais sage, qui consulterait son Conseil d’État.
Quelques personnes ont été frappées de ce caractère de libre convention qu’on reconnaît dans certains principes fondamentaux des sciences. Elles ont voulu généraliser outre mesure et en même temps elles ont oublié que la liberté n’est pas l’arbitraire. Elles ont abouti ainsi à ce que l’on appelle le nominalisme et elles se sont demandé si le savant n’est pas dupe de ses définitions et si le monde qu’il croit découvrir n’est pas tout simplement créé par son caprice[1]. Dans ces conditions, la science serait certaine, mais dépourvue de portée.
S’il en était ainsi, la science serait impuissante. Or, nous la voyons chaque jour agir sous nos yeux. Cela ne pourrait être si elle ne nous faisait connaître quelque chose de la réalité ; mais ce qu’elle peut atteindre, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, comme le pensent les dogmatistes naïfs, ce sont seulement les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n’y a pas de réalité connaissable.
Telle est la conclusion à laquelle nous parviendrons, mais pour cela il nous faudra parcourir la série des sciences depuis l’arithmétique et la géométrie jusqu’à la mécanique et à la physique expérimentale.
Quelle est la nature du raisonnement mathématique ? Est-il réellement déductif comme on le croit d’ordinaire ? Une analyse approfondie nous montre qu’il n’en est rien, qu’il participe dans une certaine mesure de la nature du raisonnement inductif et que c’est par là qu’il est fécond. Il n’en conserve pas moins son caractère de rigueur absolue ; c’est ce que nous avions d’abord à montrer.
Connaissant mieux maintenant l’un des instruments que les mathématiques mettent entre les mains du chercheur, nous avions à analyser une autre notion fondamentale, celle de la grandeur mathématique. La trouvons-nous dans la nature, ou est-ce nous qui l’y introduisons ? Et, dans ce dernier cas, ne risquons-nous pas de tout fausser ? Comparant les données brutes de nos sens et ce concept extrêmement complexe et subtil que les mathématiciens appellent grandeur, nous sommes bien forcés de reconnaître une divergence ; ce cadre où nous voulons tout faire rentrer, c’est donc nous qui l’avons fait ; mais nous ne l’avons pas fait au hasard, nous l’avons fait pour ainsi dire sur mesure et c’est pour cela que nous pouvons y faire rentrer les faits sans dénaturer ce qu’ils ont d’essentiel.
Un autre cadre que nous imposons au monde, c’est l’espace. D’où viennent les premiers principes de la géométrie ? Nous sont-ils imposés par la logique ? Lobatchevsky a montré que non en créant les géométries non euclidiennes. L’espace nous est-il révélé par nos sens ? Non encore, car celui que nos sens pourraient nous montrer diffère absolument de celui du géomètre. La géométrie dérive-t-elle de l’expérience ? Une discussion approfondie nous montrera que non. Nous conclurons donc que ses principes ne sont que des conventions ; mais ces conventions ne sont pas arbitraires, et transportés dans un autre monde (que j’appelle le monde non euclidien et que je cherche à imaginer), nous aurions été amenés à en adopter d’autres.
En mécanique, nous serions conduits à des conclusions analogues et nous verrions que les principes de cette science, quoique plus directement appuyés sur l’expérience, participent encore du caractère conventionnel des postulats géométriques. Jusqu’ici le nominalisme triomphe, mais nous arrivons aux sciences physiques proprement dites. Ici la scène change ; nous rencontrons une autre sorte d’hypothèses et nous en voyons toute la fécondité. Sans doute, au premier abord, les théories nous semblent fragiles, et l’histoire de la science nous prouve qu’elles sont éphémères : elles ne meurent pas tout entières pourtant, et de chacune d’elles il reste quelque chose. C’est ce quelque chose qu’il faut chercher à démêler, parce que c’est là, et là seulement, qu’est la véritable réalité.
La méthode des sciences physiques repose sur l’induction qui nous fait attendre la répétition d’un phénomène quand se reproduisent les circonstances où il avait une première fois pris naissance. Si toutes ces circonstances pouvaient se reproduire à la fois, ce principe pourrait être appliqué sans crainte : mais cela n’arrivera jamais ; quelques-unes de ces circonstances feront toujours défaut. Sommes-nous absolument sûrs qu’elles sont sans importance ? Évidemment non. Cela pourra être vraisemblable, cela ne pourra pas être rigoureusement certain. De là le rôle considérable que joue dans les sciences physiques la notion de probabilité. Le calcul des probabilités n’est donc pas seulement une récréation ou un guide pour les joueurs de baccara, et nous devons chercher à en approfondir les principes. Sous ce rapport, je n’ai pu donner que des résultats bien incomplets, tant ce vague instinct, qui nous fait discerner la vraisemblance, est rebelle à l’analyse.
Après avoir étudié les conditions dans lesquelles travaille le physicien, j’ai cru qu’il fallait le montrer à l’œuvre. Pour cela j’ai pris quelques exemples dans l’histoire de l’optique et dans celle de l’électricité. Nous verrons d’où sont sorties les idées de Fresnel, celles de Maxwell, et quelles hypothèses inconscientes faisaient Ampère et les autres fondateurs de l’électrodynamique. »
Louise respirait.
Elles descendit à la cuisine où déjeunaient Joseph et Louis.
  • Mademoiselle Louise en personne ! En voilà une surprise ! Nous ne pensions vraiment plus jamais te revoir ! 
  • Et bien me voilà, je suis de retour ! Dit Louise, et vous quoi de neuf ?
  • Quoi de neuf ? Tu ne lis pas les journaux ?
  • Et bien ...de fait... pas récemment, non.
  • Joseph et moi déjouons, tentons de déjouer, de désarmer, de désactiver les fictions fascistes. Et je peux dire qu'il y a du boulot en ce moment !
  • Nous essayons de faire inscrire dans des livres actifs que l'extrême-droite et les extrêmes-droites perdront les élections et leurs ambitions de conquête des pouvoir jusqu'en l'an 3017.
  • Ainsi, vous seriez en vacances... Malin, cela, dit Louise. Et vous avez réussi ?
  • Mademoiselle Louise, comment diantre voudriez-vous que nous répondatûmes à une question aussi indiscrète !
  • Bon, d'accord, je n'insiste pas...et par ailleurs , quelles nouvelles ?
  • Louis, pour se distraire, essaye de se mêler et d'influer sur les résultats d'événements sportifs...Mais que son action soit réelle reste à démontrer !
  • Il s'est passé tant de choses depuis que tu avais disparu... Au fait, où étais-tu passée ?
  • Comment cela « disparue » ? Mais je dormais dans l'atelier. J'ai peut-être dormi plus que de raison mais je n'étais passée que dans le monde des songes.
Joseph et Louis se regardèrent. Peut-être commencèrent-ils à se méfier.
  • Tu dois avoir faim, Louise. Veux-tu manger quelque chose ? Joseph a fait une soupe de potirons avec des lentilles et nous avons du pain et du fromage. Cela te ferait du bien.
  • Oui, sans doute, avez-vous raison , répondit machinalement Louise qui ne comprenait même pas comment il pouvait être possible d'ingurgiter une quelconque nourriture.
  • Viens, assieds-toi avec nous, Louis va t'apporter une assiette. Mon père m'a toujours dit qu'il fallait veiller à bien se nourrir sinon l'esprit déraille.
  • Je suis restée longtemps assise en dormant, s'entendit répondre Louise, je préfère rester debout.
  • Comme il te plaira ma jolie, dit Louis.
  • Vas-tu écouter la radio ? Demanda Joseph.
Louise commença à percevoir leur méfiance et se mit à se méfier elle- aussi.
  • Pourquoi me demandes-tu cela ?, dit-elle.
  • Comme cela, pour savoir, insista Louis.
  • Et Josette ? Demanda Louise, qu'est-ce qu'elle fait ?
Joseph et Louis sautèrent sur Louise. Ils l'immobilisèrent puis l'attachèrent à une chaise dans l'atelier. Louise flottait autour de son corps et percevait clairement la bête immonde qu'elle avait ramené on ne sait d'où et que Joseph et Louis s'employaient à transformer.
  • Cela pourrait nous servir d'appât, dit Joseph
  • Mais … et Louise ? Demanda Louis
  • Quelle Louise ? La blague ou la fiction ?
Louis restait sans comprendre. Il regarda le livre posé sur la table et selon ses mauvaises habitudes lu la dernière page. « LA FIN DE LA MATIÈRE[7]
L’une des découvertes les plus étonnantes que les physiciens aient annoncées dans ces dernières années, c’est que la matière n’existe pas. Hâtons-nous de dire que cette découverte n’est pas encore définitive. L’attribut essentiel de la matière, c’est sa masse, son inertie. La masse est ce qui partout et toujours demeure constant, ce qui subsiste quand une transformation chimique a altéré toutes les qualités sensibles de la matière et semble en avoir fait un autre corps. Si donc on venait à démontrer que la masse, l’inertie de la matière ne lui appartiennent pas en réalité, que c’est un luxe d’emprunt dont elle se pare, que cette masse, la constante par excellence, est elle-même susceptible d’altération, ou pourrait bien dire que la matière n’existe pas. Or, c’est là précisément ce qu’on annonce.
Les vitesses que nous avions pu observer jusqu’ici étaient bien faibles, puisque les corps célestes, qui laissent bien loin derrière eux toutes nos automobiles, font à peine du 60 ou du 100 « kilomètres » à la seconde ; la lumière, il est vrai, va 3 000 fois plus vite, mais ce n’est pas une matière qui se déplace, c’est une perturbation qui chemine à travers une substance relativement immobile comme une vague à la surface de l’océan. Toutes les observations faites avec ces faibles vitesses montraient la constance de la masse, et personne ne s’était demandé s’il en serait encore de même avec des vitesses plus grandes.
Ce sont les infiniment petits qui ont battu le record de Mercure, la planète la plus rapide : je veux parler des corpuscules dont les mouvements produisent les rayons cathodiques et les rayons du radium. On sait que ces radiations sont dues à un véritable bombardement moléculaire. Les projectiles lancés dans ce bombardement sont chargés d’électricité négative, et on peut s’en assurer en recueillant cette électricité dans un cylindre de Faraday. À cause de leur charge ils sont déviés tant par un champ magnétique que par un champ électrique, et la comparaison de ces déviations peut nous faire connaître leur vitesse et le rapport de leur charge à leur masse.
Or, ces mesures nous ont révélé d’une part que leur vitesse est énorme, qu’elle est le dixième ou le tiers de celle de la lumière, mille fois celle des planètes, et d’autre part que leur charge est très considérable par rapport à leur masse. Chaque corpuscule en mouvement représente donc un courant électrique notable. Mais nous savons que les courants électriques présentent une sorte d’inertie spéciale appelée self-induction. Un courant une fois établi tend à se maintenir, et c’est pour cela que quand on veut rompre un courant, en coupant le conducteur qu’il traverse, on voit jaillir une étincelle au point de rupture. Ainsi le courant tend à conserver son intensité de même qu’un corps en mouvement tend à conserver sa vitesse. Donc notre corpuscule cathodique résistera aux causes qui pourraient altérer sa vitesse pour deux raisons : par son inertie proprement dite d’abord, et ensuite par sa self-induction, parce que toute altération de la vitesse serait en même temps une altération du courant correspondant. Le corpuscule – l’électron, comme on dit – aura donc deux inerties : l’inertie mécanique, et l’inertie électromagnétique.
MM. Abraham et Kaufmann, l’un calculateur, l’autre expérimentateur, ont uni leurs efforts pour déterminer la part de l’une et de l’autre. Ils ont été pour cela obligés d’admettre une hypothèse ; ils ont pensé que tous les électrons négatifs sont identiques, qu’ils portent la même charge, essentiellement constante, que les dissemblances que l’on constate entre eux proviennent uniquement des vitesses différentes dont ils sont animés. Quand la vitesse varie, la masse réelle, la masse mécanique, demeure constante, c’est pour ainsi dire sa définition même ; mais l’inertie électromagnétique, qui contribue à former la masse apparente, croît avec la vitesse suivant une certaine loi. Il doit donc y avoir une relation entre la vitesse et le rapport de la masse à la charge, quantités que l’on peut calculer, nous l’avons dit, en observant les déviations des rayons sous l’action d’un aimant ou d’un champ électrique ; et l’étude de cette relation permet de déterminer la part des deux inerties. Le résultat est tout à fait surprenant : la masse réelle est nulle. Il est vrai qu’il faut admettre l’hypothèse faite au début, mais la concordance de la courbe théorique et de la courbe expérimentale est assez grande pour rendre cette hypothèse fort vraisemblable.
Ainsi ces électrons négatifs n’ont pas de masse proprement dite ; s’ils semblent doués d’inertie c’est qu’ils ne sauraient changer de vitesse sans déranger l’éther. Leur inertie apparente n’est qu’un emprunt, elle n’est pas à eux, elle est à l’éther. Mais ces électrons négatifs ne sont pas toute la matière ; on pourrait donc admettre qu’en dehors d’eux il y a une vraie matière douée d’une inertie propre. Il y a certaines radiations – comme les rayons-canal de Goldstein, les rayons α du radium – qui sont dues aussi à une pluie de projectiles, mais de projectiles chargés positivement ; ces électrons positifs sont-ils eux aussi dépourvus de masse ? Il est impossible de le dire, parce qu’ils sont beaucoup plus lourds et beaucoup moins rapides que les électrons négatifs. Et alors deux hypothèses restent admissibles : ou bien les électrons sont plus lourds, parce qu’en dehors de leur inertie électromagnétique empruntée ils ont une inertie mécanique propre, et alors ce sont eux qui sont la vraie matière ; ou bien ils sont sans masse comme les autres, et s’ils nous paraissent plus lourds, c’est parce qu’ils sont plus petits. Je dis bien plus petits, quoique cela puisse paraître paradoxal ; car dans cette conception le corpuscule ne serait qu’un vide dans l’éther, seul réel, seul doué d’inertie.
Jusqu’ici la matière n’est pas trop compromise ; nous pouvons encore adopter la première hypothèse, ou même croire qu’en dehors des électrons positifs et négatifs, il y a des atomes neutres. Les récentes recherches de Lorentz vont nous enlever cette dernière ressource. Nous sommes entraînés dans le mouvement de la Terre, qui est très rapide ; les phénomènes optiques et électriques ne vont-ils pas être altérés par cette translation ? On l’a cru longtemps, et on a supposé que les observations décèleraient des différences, suivant l’orientation des appareils par rapport au mouvement de la Terre. Il n’en a rien été, et les mesures les plus délicates n’ont rien montré de semblable. Et en cela les expériences justifiaient une répugnance commune à tous les physiciens ; si on avait trouvé quelque chose en effet, on aurait pu connaître non seulement le mouvement relatif de la Terre par rapport au Soleil, mais son mouvement absolu dans l’éther. Or, beaucoup de personnes ont peine à croire qu’aucune expérience puisse donner autre chose qu’un mouvement relatif ; elles accepteraient plus volontiers de croire que la matière n’a pas de masse.
On ne fut donc pas trop étonné des résultats négatifs obtenus ; ils étaient contraires aux théories enseignées, mais ils flattaient un instinct profond, antérieur à toutes ces théories. Encore fallait-il modifier ces théories en conséquence, pour les mettre en harmonie avec les faits. C’est ce qu’a fait Fitzgerald, par une hypothèse surprenante : il admet que tous les corps subissent une contraction d’un cent-millionième environ dans la direction du mouvement de la Terre. Une sphère parfaite devient un ellipsoïde aplati, et si on la fait tourner, elle se déforme de façon que le petit axe de l’ellipsoïde reste toujours parallèle à la vitesse de la Terre. Comme les instruments de mesure subissent les mêmes déformations que les objets à mesurer, on ne s’aperçoit de rien, à moins qu’on ne s’avise de déterminer le temps que met la lumière pour parcourir la longueur de l’objet.
Cette hypothèse rend compte des faits observés. Mais ce n’est pas assez ; on fera un jour des observations plus précises encore ; les résultats seront-ils cette fois positifs ; nous mettront-ils en mesure de déterminer le mouvement absolu de la Terre ? Lorentz ne l’a pas pensé ; il croit que cette détermination sera toujours impossible ; l’instinct commun de tous les physiciens, les insuccès éprouvés jusqu’ici le lui garantissent suffisamment. Considérons donc cette impossibilité comme une loi générale de la nature ; admettons-la comme postulat. Quelles en seront les conséquences ? C’est ce qu’a cherché Lorentz, et il a trouvé que tous les atomes, tous les électrons positifs ou négatifs, devaient avoir une inertie variable avec la vitesse, et précisément d’après les mêmes lois. Ainsi tout atome matériel serait formé d’électrons positifs, petits et lourds, et d’électrons négatifs, gros et légers, et si la matière sensible ne nous paraît pas électrisée, c’est que les deux sortes d’électrons sont à peu près en nombre égal. Les uns et les autres sont dépourvus de masse et n’ont qu’une inertie d’emprunt. Dans ce système il n’y a pas de vraie matière, il n’y a plus que des trous dans l’éther.
Pour M. Langevin, la matière serait de l’éther liquéfié, et ayant perdu ses propriétés ; quand la matière se déplacerait, ce ne serait pas cette masse liquéfiée qui cheminerait à travers l’éther ; mais la liquéfaction s’étendrait de proche en proche à de nouvelles portions de l’éther, pendant qu’en arrière les parties d’abord liquéfiées reprendraient leur état primitif. La matière en se mouvant ne conserverait pas son identité.
Voilà où en était la question il y a quelque temps ; mais voici que M. Kaufmann annonce de nouvelles expériences. L’électron négatif, dont la vitesse est énorme, devrait éprouver la contraction de Fitzgerald, et la relation entre la vitesse et la masse s’en trouverait modifiée ; or, les expériences récentes ne confirment pas cette prévision ; tout s’écroulerait alors, et la matière reprendrait ses droits à l’existence. Mais les expériences sont délicates, et une conclusion définitive serait aujourd’hui prématurée. »
Louis fût impressionné par ce texte. Le texte datait de 1902.
  • Qui est Henri POINCARé ? Demanda Louis à Joseph.
Ne recevant nulle réponse, Louis se retourna. Il était seul, il n'y avait plus personne.

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