Dans les années 80,



A la fin des années 80, j'ai habité deux ans rue de l'ancienne préfecture à Lyon précisément à l'adresse de l'ancienne préfecture dans un immeuble en fond de cour qui avaient du abriter des logements pour les services. De nos fenêtres, nous pouvions voir des bureaux d'EDF dont les employés s'amusaient parfois comme nous, en journée, à regarder, dans la rue parallèle et étroite dont j'ai oublié le nom, le manège de ces dames qui s'adonnaient à la prostitution et de leurs clients pas toujours habiles à les aborder. De l'autre côté, de nos fenêtres, nous pouvions contempler le bel et majestueux escalier de l'ancienne préfecture et les personnes y suant et soufflant dont notamment T. qui habitait au dernier étage soit peut-être le septième ou le huitième. J'habitais là avec un couple, le garçon était aux Beaux-Arts et la fille à Sciences-po avec moi (Cf. des épisodes précédents)
Je ne me rappelle plus exactement la raison, mais j'ai habité peut-être une semaine ou quatre jours chez T. Un soir, T. m'avait proposé d'aller avec lui et un de ses camarades de promo de Centrale-Lyon chercher une DS. T. était un fan de DS, en avait déjà une ou deux et avait repéré une annonce dans je ne sais quel journal d'une super DS qui avait je ne sais plus quoi de spécial et de rare. N'ayant rien de mieux à faire, comme souvent dans ma vie d'ailleurs, j'avais accepté. Son camarade était venu nous chercher en voiture, en DS bien sûr, étant également lui-même un adepte et un collectionneur, et nous étions partis en direction des peut-être Monts du Lyonnais. Sur le chemin, les deux m'avaient racontée leurs années d'étudiants qui étaient encore fraîches dans leur mémoire et dans leur corps, trois ou quatre années peut-être s'étaient écoulées depuis l'obtention de leurs diplômes. Ils me décrivaient l'état de fête quasi permanent qui régnait alors à Centrale-Lyon : en effet, après les deux voire trois années passés en « taupe » (soit Math Sup / Math Spé) à ne pas voir le soleil et ingurgiter en gavage des savoirs et des théories, une fois le concours d'une « grande école » décroché, les uns et les autres levaient vraiment le pied et s'évertuaient à rattraper un tant soit peu le temps perdu afin de profiter de leur jeunesse. Je me souviens qu'ils me racontèrent comment ils avaient réussi à savoir où les photocopies des sujets du contrôle écrit hebdomadaire de sciences physiques étaient stockées la veille de l'examen et comment chaque quinzaine, l'un de la promo allait en voler un exemplaire pour qu'une équipe de quatre ou cinq ou peut-être dix bosseraient le sujet avec leurs cours ouverts afin de produire un corrigé qui circulerait ensuite toute la nuit dans le campus et la promo. Le lendemain, il ne s'agissait pour les uns et les autres que de recopier, peut-être de mémoire ou calligraphiquement depuis leurs papiers de brouillons, les résultats et les démonstrations et d'obtenir ainsi de bonnes notes en sciences physiques, sciences de l'ingénieur par excellence. T. avait raconté qu'un jour tellement fatigué et quasi zombi, il avait oublié de glisser une faute ici ou là et s'était fait remarquer avec un vingt sur vingt que son prof avait jugé et jaugé totalement inattendu. Comme j'avais moi-même étudié et vécu sur un campus d'école d'ingénieurs en classes préparatoires intégrées, il me semblait comprendre parfaitement leurs histoires puisqu'elles faisaient écho en moi à des expériences connues et passées. Puis, après avoir traversé cette campagne si belle de l'arrière pays lyonnais, nous sommes arrivés dans une petite et coquette maison en pierre, où un couple de jeunes retraités aisés nous attendaient. Chacun a eu des petites conversations aimables et faciles sur la beauté des paysages et la joie de rouler en DS (si près du sol), nous avons peut-être bu un verre de vin pendant que T  a examiné la DS en vente puis a fait un chèque. Nous sommes alors repartis dans l'autre sens, l'ami de T dans sa D.S tandis que T et moi dans la nouvelle DS qui avait je ne sais plus quoi de spécial et de rare.
Sur le chemin du retour, T. a commencé alors à me raconter une toute autre histoire de ses années d'étudiant en sciences de l'ingénieur, la face B du single pop qu'il m'avait chantée en duo avec son ancien camarade de promo au cours du voyage aller : T. et son ami était coturne (le terme centralien n'est pas celui-là et nous avions eu une discussion sur ce sujet au cours du voyage aller mais je ne m'en souviens plus) bref, ils partageaient la même turne sur le campus. Dans mon souvenir, son ami était déjà en couple lorsqu'il était arrivé à Centrale. Il était très amoureux, avait montré des photos de sa copine à T et lui en parlait tout le temps. La fille était venue le voir sur le campus un week-end, T avait dormi ailleurs mais avait passé un peu de temps avec eux et bien sûr, après avoir tellement entendu parler de cette fille, il en était tombé amoureux. La fille s’appelait Myrtille. Après je ne me souviens plus trop des détails de l'histoire, peut-être que la fille était revenue plusieurs week-end, qu'elle était aussi tombée amoureuse, peut-être qu'elle avait fait savoir à T qu'elle voulait de lui via son ami qui lui avait demandé de répondre à cette exigence afin que cette toquade lui passe rapidement ignorant que son ami T. était aussi épris.
T. me racontait cela dans sa nouvelle DS qui avait je ne sais plus quoi de spécial et rare, alors que la nuit tombait sur la route, route que nous voyions de près puisqu'en DS, et toute la joie du voyage aller dans le soleil d'une fin d'après-midi sur la campagne de l'arrière pays lyonnais m'apparut soudain factice telle la joie véhiculée par les films américains ou les pubs pour chewing-gums, un truc gentil et sympa, une bien jolie surface avec du joli vernis. Et T. grattait maintenant ce vernis avec méthode. Dans les souvenirs qu'il me reste de ce récit, cette histoire triangulaire glauque avait duré peut-être une ou deux années pendant lesquelles l'un passait un week-end avec Myrtille pendant que l'autre souffrait seul dans la piaule commune tout en pensant au week-end suivant où ce serait lui qui serait dans les bras de la belle. Même pour les vacances, il y avait un planning de partage. Et l'incapacité de choisir de celle-ci. Et la semaine passée l'un avec l'autre. Je ne me souviens pas trop des détails car à force d'entendre tout ce récit noir jaillir du fond de la mémoire de T. tel un flot d'eaux sales, je m'étais quelque peu imperméabilisée pour me protéger des projections acides mais il me semble qu'il y avait eu des tentatives de suicide puis que l'ami de T. avait soudain décidé de mettre tout cela à distance : il avait changé de turne, avait rompu et avec sa copine et avec T. et n'avait plus jamais revu son ancienne copine qui s'était ensuite volatilisé de la vie de T très rapidement, à moins qu'elle ne se soit suicidé. Dans mon souvenir, T. m'a ensuite dit que « c'était la première fois depuis longtemps qu'il reparlait aussi longtemps avec son ancien camarade de promo » mais il est possible qu'il ait dit cette phrase en introduction de son récit. Après je ne me souviens plus trop, peut-être T m'a t'il offert un restaurant pour se faire pardonner, je me souviens juste être debout dans un parking souterrain près des berges de la Saône où T. vient de garer sa nouvelle DS qui a je ne sais plus quoi de spécial et rare.
Cette histoire que j'avais trouvé fort perverse entre cette fille et ces deux garçons est parfois remontée à la surface de ma mémoire à des occasions diverses, tel l'évocation d'un sort maléfique qui a besoin d'un trio pour se déployer et qu'il s'agit de tuer dans l'oeuf systématiquement.
Dans les années 2000, à l'occasion de la réédition du « Grand Meaulnes », texte qui tombait cette année-là dans le domaine public, j'ai entendu, à la radio, Tiphaine SAMOYAULT, qui avait écrit la préface de la nouvelle édition, j'ai entenud Tiphaine SAMOYAULT raconter l'histoire du roman que je ne connaissais pas. En effet, pour moi, le Grand Meaulnes, c'était ce livre que j'avais dans mon sac lorsque je suis allée pour la première fois à l'internat à la rentrée scolaire 1978/79. Lorsque ma mère et ma sœur furent parties, je m'étais retrouvée seule assise sur mon lit dans ce grand dortoir où je ne connaissais personne, j'avais commencé à lire « le Grand Meaulnes » puis une fille qui avait fait son lit juste à côté du mien, qui portait des habits moulants, des talons hauts, était très maquillée et avait dû déjà connaître l'amour dans toutes les positions, puis une fille avait commencé à me parler sur un ton très maternel, elle m'avait demandé mon âge, soit dix ans, et m'avait dit qu'il y avait d'autres filles comme moi et que je devrais essayer de les rencontrer, qu'elle était en BEP secrétariat, qu'elle était beaucoup plus âgée que moi (peut-être quinze ou seize) mais que je ne devais pas me croire toute seule. J'ai alors refermé le livre et je suis allée en quête de « ces autres personnes comme moi ». Je n'ai ensuite jamais repris ma lecture du « grand Meaulnes ». Et, au cours des années 2000, j'entendais Tiphaine SAMOYAULT, à la radio, expliquer qu'il y a dans le Grand Meaulnes une histoire d'amour contrariée d'une fille prise entre deux garçons dont le personnage dit le Grand Meaulnes. Et il me semblait comprendre sans comprendre que le passage de ce texte d'Alain FOURNIER dans le domaine public levait le mauvais sort.

[et donc le passage dans le domaine public de « mein Kampf » devrait tous nous libérer de la malédiction de ce « combat là » ? Peut-être, sans doute, voilà.]

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