Les années 80 : le stage de poterie





L'été 1981, j'ai fait un stage de poterie à Pérouges. Je crois que c'était ma mère qui m'avait proposé cela au travers d'une documentation qu'elle avait trouvé à la MIGROS. Il me semble que le stage n'était pas très onéreux. Bref, j'étais arrivée en train peut-etre à Ambérieu et la femme du potier était venue me chercher à la gare avec une ami 8. Son mari s'occupait de la poterie et elle, des émaux. Pérouges est un village médiéval et la maison dans laquelle nous logions l'était tout autant. Pour accéder aux habitations il fallait, je crois,gravir un escalier, puis il y avait la cuisine, la chambre du fils, puis une grande pièce, jouxtant une ou deux chambres, ensuite il y avait un jardin entouré de murs de pierre. Il devait y avoir une salle de bains et des toilettes quelque part. Mais il est vrai que nous gardons peu de souvenir de soi tout seul en train de déféquer, sauf accident particulier. Depuis la cuisine, et à l'aide d'une échelle, nous arrivions dans une grande pièce où se trouvait un mini-dortoir attenant une pièce avec un lavabo et peut-être des toilettes que protégeait sommairement un rideau. Je crois qu'il n'y avait pas d'eau chaude mais il est possible que je confonde avec un camp de yoga. L'atelier de poterie était au rez de chaussée, ouvert sur la rue, c'était une grande pièce avec une immense table de travail et des établis sur les côtés, tout était en pierre et en bois et très humide, cela pouvait semblait sombre mais il y avait assez de lumière. Il me semble qu'il jouxtait une autre pièce aménagé en boutique où il était possible de voir et d'acheter les poteries et les émaux de ces messieurs dames. De l'autre côté de la rue pavée qui devait faire un mètre vingt de large environ, Pérouges est un village médiéval, il y avait un autre atelier où se trouvait un tour. Dans mon souvenir, le potier revêtait un tablier de cuir, il avait une forte corpulence et des mains aussi grande qu'une tête et des doigts très larges Ce qui bien sûr est très utile et pratique, « convenient »comme se dit en anglo saxon, pour son métier. Lorsqu'il nous montrait comment façonner la terre, nous lui disions que bien sûr avec de telles mains et surface de pouce, cela semblait bien facile. Nous apprenions la poterie par colombage : il s'agit de faire des petits boudins de terre et de les assembler les uns au-dessus des autres en utilisant de la terre diluée dans de l'eau ( le terme exact est peut-^^etre clairette) tel une sorte de ciment et ensuite de modeler pour que l'on ne voit pas que cette belle forme n'est qu'un assemblage de boudins. Cela n'a l'air de rien mais il est possible de faire un tas de trucs et c'est assez solide comme façon. Bien sûr, le premier jour, tout le monde avait été quelque peu déçu de ne pas faire de tour, mais le potier nous avait vite fait comprendre que le tour, c'est juste du spectacle. De temps en temps, il allait en faire pour distraire les touristes qui s'amassait devant les fenêtres et les portes de l'atelier, pour ils puissent voir ce qu'ils attendaient de voir, puis il revenait en ayant défait ses réalisations et en, je crois, récupérant la terre dans la clairette. Nous utilisions deux sortes de terre, une terre marron et une terre blanche avec des petits bouts solide dedans, comme des grains de sable. Un jour, je ne sais plus si moi ou quelqu'un d'autre avait voulu essayer le tour avec de la terre blanche à grains de sable et qu'il en avait eu les mains en sang. Il est plus vraisemblable que c'est une histoire que nous avait raconté le potier. Nos journées se passaient donc dans cet atelier, autour de cette grande table, à tenter de donner des formes, bien que nous restions très cadrés à copier des formes de pots, de bol ou de pied de lampe, ce n'est qu'à la fin du stage, que nous nous sommes lancés dans la confection d'une forme oiseau dont chacun avait d'abord fait un projet personnel en petit. Donc nos journées se passaient autour de cette grande table, peut-être nos corps étaient également revêtus de tabliers de cuir ou peut-être de blouses, assis, les mains dans la terre qui était peut-être glaise, sous le regard intermittent de touristes dont aucun n'avait l'air intellectuellement de comprendre que nous étions comme eux, mais nous regardaient tels des animaux de zoo, en discutant entre eux, peut-être croyaient-ils que nous étions là depuis le moyen-âge assis autour de la table, les mains dans la terre, à tenter de donner forme à la matière, ce qui d'un certain point de vue n'était pas totalement inexact. Donc nos journées,se passaient autour de cette grande table, assis, le corps probablement revêtu d'un tablier de cuir ou d'une blouse, les mains dans la terre, et des conversations allaient cahin-caha depuis ce que nous faisons, ce que nous avions fait, sur ce qui se passait ou sur ce qui se passerait puisque, rappelons-le, le monde était totalement transformé depuis le 8 mai 1981, jour où monsieur François Mitterrand avait été élu président de la République française.. Il n'y avait que des femmes dans le stage sauf un garçon de mon âge qui ne dormait pas avec nous mais chez sa sœur ou sa mère qui avait une boutique de bijoux à côté de celle de sa mère ou grand-mère qui proposait des pâtisseries et tartes salés. Nous étions, un jour, allés voir les bijoux et c'était très chouette, il y avait des bagues à deux doigts ou trois doigts avec des formes artisanales très travaillées, du genre de celles que portent, de nos jours, Karl Lagerfeld. Ce garçon avait mon âge mais comme j'étais habitué à fréquenter des personnes de deux ans plus agées en raison de ma scolarité, je ne pouvais m'empêcher de le trouver terriblement gamin, comme une ado de classe de troisième au collège soit la quatrième année d'étude après les déjà cinq années d'études en classes primaires, comme une ado de classe de troisième trouverait gamin un gamin de classe de cinquième soit la deuxième année d'études après les déjà cinq années d'études en classe primaire, bref comme une ado de quinze ans trouverait gamin un gamin de treize ans, Sauf que je n'étais moi-même qu'une gamine de treize ans. Pour les repas, chacun à tour de rôle et en binôme devait s'occuper de préparer les repas et de faire les courses en veillant à ne pas trop dépenser d'argent et en ne s'occupant du vin qui était fourni par le potier. La première semaine, la femme du potier s'occupait de proposer un planning de binômes et la semaine suivante (je crois que le stage durait quinze jours, juste le temps d'arriver, de s'échauffer, de délirer, de se détester, puis ensuite d'être triste de se quitter) et la semaine suivante, les binômes se faisaient suivant les affinités. Mais il me semble qu'une nana qui était plus passionnée de cuisine que de poterie avait plus ou moins proposée, décidée, imposée de faire la cuisine plus ou moins tout le temps avec l'aide des uns et des autres. Je me souviens que les repas se passaient dans le jardin, peut-être même que c'était un jardin qui avait été gagné sur une maison qui s'était effondrée et dont restaient çà et là des murs nus. Les repas duraient longtemps, on mangeait beaucoup et très bien, les uns et les autres buvaient beaucoup de vin, mais pas nous, il y avait toujours des invités, amis des potiers et cela était assez joyeux. Donc, la femme du potier m'avait dans son planning, mise en binôme avec le gamin de treize ans dont je ne trouve aucune trace de prénom dans mon esprit, et j'avais du ,bien sûr, tout décider et commander ce que personne ,sauf grand malade, n'aime faire. Je m'en étais sortie en proposant au sale môme de mon âge qui ne disait que des aneries en faisant des grimaces de faire une salade verte avec des tartes salées puis sucrées provenant de la boutique de sa mère ou grand-mère et je ne sais si j'exagère en croyant avoir demandé un prix d'ami sur les tarifs mais cela est fort possible, habituée que j'étais au récit de mon père racontant sa mère demandant des rabais aux commerçants vu aux grandes quantités qu'elle leur achetait « Vous me ferez bien un petit rabais ? » Et je crois que, pour le soir, la dame qui aimait faire la cuisine s'était proposé de nous aider et que nous avions accepté avec joie et qu'en fait nous nous étions contenté de la regarder tout en lui passant le sel, le poivre et des instruments dont nous ne connaissions le nom . Mais peut-être que j'invente, que les binômes ne tenaient que pour un repas et que le binôme suivant était avec une fille de dix-huit ans ou vingt ans avec qui j'avais fait du tour un jour, et où j'avais découvert que lorsque les touristes n'obtiennent pas le spectacle auquel ils s'attendent, ils peuvent redevenir des êtres dénués de toute humanité ou de bestiale cordialité, révélant ainsi toute une face débile qu'une éducation tout aussi débile n'avait fait que maquiller. Le spectacle de mon incapacité à faire un bol ou une forme stable, le spectacle de mon incapacité à maitriser le tour donnait l'occasion à ces êtres humains dévolus au tourisme d'exprimer toutes sortes de sarcasmes voire d'insultes à mon égard mais étant rousse, j'étais déjà plus ou moins imperméabilisée à ce genre de propos ... Donc différentes personnes se donnaient en spectacle involontairement aux yeux des touristes visitant le village médiéval de Pérouges alors qu'elles ne s'étaient que proposées de suivre un stage de poterie, donc différentes personnes... Il y avait aussi des binômes pour faire la vaisselle, je crois... je me souviens d'une étudiante en pharmacie qui devait repasser ses examens en septembre puisque destinée plus ou moins à reprendre la pharmacie de son père , qui trouvait que les ami 8 sont des voitures de ploucs et pour qui l'election de François Mitterrand constituait une catastrophe dont la France ne se releverait pas. Il y avait une étudiante habitant Lausanne qui étudiait je ne sais plus quoi, qui récitait le poème « la Venoge », m'avait expliqué le sens de l'expression « se gaufrer la ruche » et m'avait raconté comment un jour elle avait décidé de changer d'écriture, entendez « calligraphie » . Il y avait cette autre étudiante ou bachelière qui était assez douée pour la poterie filant une douce romance érotique avec le potier sans qu'il ne soit possible de savoir ce qui était la cause ou la conséquence. Il y avait deux dames d'un certain âge (peut-être quarante ou plus) qui aimaient bien faire la cuisine ensemble, n'avait pas voté pour François Mitterrand plus par méfiance que par conviction. Il y avait aussi une autre nana qui dormait à coté de moi dans le dortoir, qui devait avoir une vingtaine d'année, qui ne disait pas grand chose mais qui avait une présence sympathique et qui ne parlait que des choses du présent. Et lorsqu'elle parlait, cela donnait du ressort à ce qui se passait . Elle avait acheté du lait et de la lotion de la marque Vichy et dans le dortoir, elle se passait de la lotion et se faisait les points noirs. L'étudiante en pharmacie, qui était de l'autre côté de son lit, lui avait expliqué qu'il faut d'abord se passer du lait qui ouvre les pores de la peau, se faire les points noirs puis repasser du lait pour nettoyer, puis de la lotion qui referme les pores de la peau. La nana l'avait remercié car effectivement cela marchait mieux. Peut-être il y avait t'il d'autres personnes.Il me semble qu'il y avait neuf ou douze lits dans le dortoir.
Une femme aveugle est venue la deuxième semaine. Elle dormait dans la chambre du fils. C'est là que j'ai appris qu'il ne faut pas construire des catégories affectives comme « personnes aveugles » ou « personnes handicapées », que cela n'a aucun sens puisque cette femme était humainement ignoble. En effet, à l'époque, existait encore majoritairement cette sorte de compassion imbécile envers les personnes dites handicapées avant de laisser se développer le mouvement, beaucoup plus sain à notre avis, de considérer les personnes dites handicapées comme les autres et de réfléchir alors au fait qu'elles doivent pouvoir l'être concrètement d'où les aménagements urbains, les améliorations techniques et technologiques des fauteuils et prothèses, etc... Mais en cet été 1981, je n'en suis qu'à apprendre qu'il est possible d'être aveugle et odieux comme j'apprendrais qu'il est possible d'être homosexuel et politiquement de droite ou d'extrême droite. Donc cette femme avait besoin que le monde tourne autour d'elle et soit à son service, Si elle jouait du piano qui se trouvait dans la chambre du fils et que personne ne l'écouta et ne s'extasie, elle était capable de piquer une crise de nerfs et de taper le sol et presque les gens avec sa canne. De la graine de tyran domestique. N'ayant pas conquis notre groupe,elle avait abrégé son séjour. Le potier nous avait dit que cela n'était pas grave. Nous avions eu aussi plusieurs fois la visite de Braco, qui était espagnol, violoncelliste ou violoniste à l'orchestre de l'opéra de Lyon, divorcé de sa femme et qui ne supportait pas les « fonctionnaires » de la musique. Après beaucoup d'alcool, il semblait que cela soit surtout le départ de sa femme qui l'affectait. Il regrettait aussi deux néerlandaises qui étaient venues dans un stage précédent et qui faisaient des pics niques. J'ai un souvenir d'attendre dans la cuisine en chemise de nuit mon tour pour aller à la salle de bains et que Braco, quelque peu éméché, s'était planté devant moi en soufflant comme un bœuf et qu'une dame, peut-être la femme du potier l'avait poussé et envoyé se coucher en lui demandant de laisser la pucelle tranquille.Ou peut-être qu'il avait commencé à parler des oiseaux qui étaient stylisés sur ma chemise de nuit et essayé de me prendre la main mais que j'étais restée raide comme la justice de Berne et qu'il avait alors commencé à souffler et que la femme du potier … ou qu'il n'a pas soufflé comme un bœuf et que je confonds avec un infirmier psychiatrique qui s'était assis à côté de moi dans la chambre d'isolement alors qu'une infirmière me faisait une piqure ou une prise de sang, et 'était mis à souffler comme un boeuf, sans doute pour s'amuser ou voir comment je réagirais ...


Le potier nous avait emmené un soir voir un spectacle de danse où un homme japonais quasi nu et barbouillé de terre, entouré peut-être de percussionnistes ou de percussions qu'il activait, avançait yeux fermés lentement et en faisant résonner un son sourd depuis son ventre. Cela nous avait semblé complètement exotique, le potier n'était pas convaincu, s'attendait à autre chose, avait trouvé cela un peu faible et d'autres n'avaient pas supporté ce « n'importe quoi ». Je ne crois pas que le mot de buto eut été écrit sur la feuille polycopiée faisant office de programme mais je crois me souvenir que « danse du fin du monde » était une expression y figurant puisque que quelqu'un avait ironisé sur l'expression « Ah, oui, y a pas de doute, c'est la danse de la fin du monde ! » Les jours suivants, d'ailleurs, les uns et les autres ne pourront s'empêcher de faire résonner leur ventre pour s'amuser ou calmer l'atmosphère après une discussion houleuse et scabreuse au sujet de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Il me semble que le spectacle se passait dans un gymnase, que nous étions assis au sol qui était peut-^^etre blanc, que le spectacle était gratuit ou que l'entrée co^^utait cinq francs de l'époque ce qui devrait représenter moins d'un euro de nos jours. Mais il est possible que ma mémoire compose tout cela avec des bouts d'endroits et de situations qui se sont passés ou rencontrés par la suite. Je me dis aussi que c'était peut-être Min Tanaka et que je pourrais éventuellement essayer de regarder le film qu'en a fait Joséphine Guattari pour vérifier. Mais vérifier quoi ?
Je me souviens aussi d'une nuit avec beaucoup de pluie me promenant dans Pérouges sous un parapluie avec le fils du potier et de sa femme qui devait ^^etre agé de seize ou dix-huit ans. Il me faisait visiter le village désert et les maisons abandonnées. J'ai souvenir de tourner en rond tout en ne cessant de monter et descendre des rues comme des montagnes russes et de croiser le potier bras dessus bras dessous sous un parapluie avec l'étudiante ou bachelière de dix-huit ans ou vingt ans. Et je me souviens d'en avoir été choquée.
Et puis, quasiment tous, nous étions aussi allé à Lyon toute une journée pour une sortie : nous nous étions promenés dans le vieux Lyon, nous avions couru dans les traboules, mangé des glaces puis été au cinéma voir le film Neige avec Juliet Berto.
C'était l'été 1981.
La France avait un ministre du temps libre.

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