Objet trouvé : « peut-être le commun dénominateur n'était-il pas le socialisme, mais bien plutôt le sentiment qu'un changement était nécessaire, que le vieux monde corrompu et incapable de faire face aux difficultés économiques de la France exigeait un changement. Pour certains jeunes gens des années trente, le premier objectif était une transformation interne. Rejetant le dogme du communisme, ou du fascisme naissant, ils choisissaient plutôt parmi un certain nombre de courants de pensée qui donnaient priorité au développement spirituel de l'individu, et à la constitution de communautés d'âmes semblablement disposées. Il est difficile d'aposer une étiquette sur ces tendances : un historien reprenant une expression de MOUNIER les a regroupées comme « non-conformistes des années trente », et peut-être devrions-nous nous en contenter.
Parfois, un
mouvement requérait un engagement si personnel, si éloigné de la
réalité, qu'il paraissait momentanément aveuglé d'un point de vue
politique. Des mouvements tels qu'Esprit, Ordre nouveau, Plans,
Combat, la Jeune Droite, Réaction, dans leur idéalisme et la
distance qu'ils conservaient à l'égard de l'idéologie, inspiraient
toute une couche de la jeunesse française dont on ne doit pas sous
estimer l'influence... Il s'y mélait des gens que nous retrouverons
plus tard : Robert ARON, Maurice BLANCHOT, Robert BURON, Henri
DANIEL-ROPS, Georges IZARD, Thierry MAULNIER, Jean-Pierre MAXENCE,
Emmanuel MOUNIER, Denis de ROUGEMONT, Pierre-HEnri SIMON, Pierre-Aimé
TOUCHARD. Certains allaient devenir les guides du mouvement
catholique progressiste, qui réformait sinon la hiérarchie
cléricale, du moins l'avant-garde, et permettait d'être à la fois
un bon catholique et antifasciste, et peut-être même socialiste
(alliance qui n'avait rien d'évident dans les années trente.
Pour ces nouveaux
catholiques, la priorité résidait dans le défi direct aux
militants de gauche et les communistes ne tardèrent pas à s'en
rendre compte. Dans la revue « Commune » (en novembre
1933), le porte-parole intellectuel du parti, Paul NIZAN, commenta
l'éditorial d'Emmanuel MOUNIER dans « ESPRIT », qui
expliquait que son mouvement voulait sauver le système de libre
entreprise en le purifiant. Pour NIZAN, des mouvements tels qu'ESPRIT
et Ordre nouveau s'intéressaient essentiellement à protéger la
propriété privée, et leur doctrine de « personnalisme »
ouvrait en vérité le chemin au fascisme.
Finalement, comme
l'observe Raymond ARON, l'échec du mouvement sur le plan pratique
résida dans son impuissance à aider ses sympathisants (les lecteurs
d'ESPRIT) à décider ce qu'il convenait de faire, de sorte qu'ils se
trouvèrent pris de court pour réagir à des événements réels,
tels que le pacte de Munich ou l’avènement du régime de Vichy. Mais
le mouvement ESPRIT lui-m^me pouvait être purifié. Il émergea de
l'Occupation avec une assurance renforcée quant à ses choix
politiques. Dans le Paris d'après-guerre, au dernier étage de
l'immeuble des éditions du Seuil, le groupe attirait toute une
nouvelle génération de catholiques politiquement engagés ainsi que
leurs compagnons de route, de même que Gallimard et sa revue avait
représenté dans les années trente un véritable pôle
magnétique. »
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