Louise et les chics types en stéréo, ou le bovarysme sifflera trois fois, suite .
Louise
se réveilla sans savoir combien de temps elle avait dormi. Elle
avait un vague souvenir de rêves des plus cauchemardesques au plus
sensuels qui lui avaient semblé aussi réels qu'ils ne semblaient
s'estomper dans la clarté du soleil. A ses pieds, Louise trouva son
livre d'images de l'histoire de France raconté par Emmanuel Berl qui
était tombé de sa table à la page quatre cent douze où Louise
pouvait lire ceci :
« Le
coup porté par Debussy au wagnérisme fait douter que les
philosophes allemands doivent garder toujours le monopole de la
Vérité. On se prend de même à douter que la peinture française
soit inférieure à la peinture anglaise ; la forêt où Golaud
découvre Mélisande a dessilé bien des yeux qui, éblouis par
Turner, par les préraphaélites, par Whistler, n'avaient pas su voir
les tableaux de Monet et de Renoir.
Ainsi,
dans tous les domaines, Pelléas est une délivrance. C'est Debussy
qui donne droit de cité, dans les concerts parisiens, à la musique
espagnole, en même temps qu'à la musique russe. C'est Pelléas qui
persuade les Français qu'on peut être moderne sans être
matérialiste, « avancé » sans cesser d'être
catholique.
La
diffusion triomphale du bergsonisme prolonge et confirme la
révolution de Pelléas. Bergson réfute Spencer, mais il le
continue, et il se réclame de BERKELEY plus que des idéalistes
post-kantiens. Ceux-ci restaient obsédés par la connaissance, par
la critique de la raison, Bergson l'est davantage par la vie. Il
montre que l'intelligence n'est qu'un instrument monté pour accorder
l'homme au monde, comme l'instinct y accorde l'animal ; cet
instrument qu' a fait surgir l'évolution créatrice, il peut se
transformer lui aussi, disparaître au profit d'instruments plus
adéquats, tels que l'intuition. L'inconscient, plus vaste et
mystérieux que le conscient peut et sans doute, doit lui être
préféré, comme voulait déjà le jeune Barrès du Jardin de
Bérénice. Et de même l'irrationnel à la raison, dont on finit par
douter si elle est la forme même de la pensée ou u obstacle que la
pensée doit et finira par franchir.
Si
Bergson a contribué à la renaissance du sentiment religieux, et
s'en est d'ailleurs réjoui, le bergsonisme a joué beaucoup plus en
faveur de la théosophie, de la parapsychologie qu'en faveur du
catholicisme traditionnel. Il a d'abord libéré la philosophie du
criticisme pour exalter et honorer, grâce à elle, l'Energie
spirituelle, les forces profondes et mystérieuses de l'âme.
Bergson, et William James qu'il cautionne, justifient, non moins que
l'Expérience religieuse, prise d'ailleurs dans un sens large,
l'intérêt croissant qu'on accorde aux médiums, aux ectoplasmes,
les efforts faits pour établir sur des bases scientifiques la
télépathie et la prémonition.
Le
bergsonisme se flattait d'instituer des sciences qui échapperaient à
la science, la « rejoindraient par d'autres voies », la
« compléteraient » par d'autres méthodes, la suivraient
comme un chemin de halage suit un canal. Il se glorifiait de l'avoir
précédée dans l'étude de la mémoire, de ses troubles et de sa
nature; il se proposait de l'accompagner, tantôt avec quelque
retard, tantôt avec quelque avance, dans l'étude de l'évolution
biologique.
En
tout de domaine, le bergsonisme devait se solder par un échec ;
il s'avéra évident dans sa confrontation avec Einstein. Celui-ci
put dire qu'il n'avait jamais eu aucune des idées que Bergson lui
attribuait pour les mieux réfuter. Bergson était là, mais Einstein
n'y était pas. Il fallut reconnaître que si le bergsonisme suivait
la biologie, il progressait sans tenir compte de la génétique
nouvelle, des progrès de la neuro-chirurgie, ni de ceux de la
psychanalyse.
Son
influence n'en resta pas moins grande et croissante, d'abord à cause
du grand talent et de prestige personnel de Bergson, ensuite parce
que les réquisitoires contre l'intelligence et contre la raison
allaient paraître de plus en plus vrais à mesure que l'Europe
inclinait davantage à la violence. Georges Sorel se réclamait du
bergsonisme quand il faisait de la violence un éloge trop écouté.
Un darwinisme devenu barbare, un nietzschéisme devenu délirant, un
impressionnisme qui finit non sans bizarrerie par préférer la
musique à la peinture se combinèrent avec le bergsonisme,
détournant de la Raison et inclinant vers une adoration des
divinités chtoniennes et tribales : elles ne devaient que trop
répondre à ces appels »
« Encore
cette histoire de la catastrophe qui se répète et qu'il s'agirait
d'éviter ... », se demandait Louise en contemplant des
grains de beauté qui semblaient bien malins, « Il me semble
avoir déjà oeuvré en ce sens et là je deviens lâche,
égoïste et fatiguée ...» Déjà le sommeil la gagnait car
elle désirait retrouver un de ses récents rêves qui lui avait plu.
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