Tata YOYO lit « La rive gauche, du front populaire à la guerre froide » d'Herbert R. LOTTMAN.
Tata YOYO lisait la fin du chapitre « Tout le monde
collaborait » :
« […] Telle est la
petite histoire des années d'Occupation. Elle est
significative, mais seulement dans la mesure où elle prouve que les
Allemands pouvaient tenter de justifier ; d'étayer leur
politique « européenne » : des Français parmi les
plus célèbres de l'époque se prêtaient à leur jeu. Ils
disposaient en outre d'amis à l'Académie française. Celle-ci était
encore prestigieuse. Juste avant la guerre, elle avait reçu en son
sein Charles MAURRAS, tout juste sorti de prison : la justice
l'avait inculpé d'incitation à la violence contre les membres du
gouvernement de Front populaire. L'académie GONCOURT comptait enfin
dans ses rangs, nous l'avons vu, des auteurs qui ne refusaient pas
tout contact avec les vainqueurs...
Pourtant, il est difficile de citer un seul nom d'écrivain
français de réelle importance qui ait trahi. Les plus ardents
collaborateurs mériteront à peine, plus tard, quelque note en bas
de page dans les manuels d'histoire littéraire, et la mention de
leur nom n'éveille aucun écho dans les générations nouvelles. Le
seul auteur dont l’œuvre ait survécu, c'est Louis DESTOUCHES (
Louis-Ferdinand CELINE), l'auteur du « voyage
au bout de la nuit » et de « Mort
à crédit », deux romans qui continuent d'émouvoir
les lecteurs. CÉLINE publia ensuite une série de pamphlets
politiques et racistes puis, après la Libération, retourna aux
romans autobiographiques. Certains de ces échos pathétiques gardent
en nous un intérêt plus intense que les œuvres de ses
contemporains plus raisonnables.
Par égard, en quelque sorte, au premier CÉLINE, et sans doute
aussi pour des raisons commerciales moins honorables, on tenta par la
suite de faire apparaître sous un autre jour le rôle de l'écrivain
avant la guerre dans la propagation du racisme, et d'atténuer la
portée de son comportement pendant l’Occupation. On peut même se
demander si ce n'est pas pour sauver sa réputation posthume, plutôt
que pour préserver la sensibilité des lecteurs, que ses œuvres le
plus outrageusement antisémites n'ont pas été réimprimées. Qu'il
ait été un génie du mal et que sa psychologie n'ait pas été entièrement normale, cela apparaît clairement à l'examen de ses
livres et de sa vie : l'explication du phénomène CÉLINE
appartient, selon nous, aux psychiatres, et elle nous fait encore
défaut. Si CÉLINE a sa place dans ces pages, c'est parce que
certains ont voulu voir dans les symptômes de sa paranoïa les
grandes lignes d'une politique et comme une prophétie.
Le mythe veut que CÉLINE n'ait pas collaboré ; et, en
effet, si avoir collaboré signifie avoir joué un rôle actif dans
l'édition, avoir fait des déclarations publiques ou accepté des
postes officiels, CÉLINE n'a pas collaboré. Mais l'action que
réellement il mena présente un caractère tout aussi
extraordinaire : il publia sous l'Occupation, des ouvrages et
des articles où il appelait les Français à collaborer encore plus
qu'ils ne le faisaient : « travailler ensemble, sans
fraude … sous discipline. » Dans le livre en forme de
pamphlet intitulé « Les beaux Draps », publié prés
d'un an après l'entrée des troupes hitlériennes dans Paris, CÉLINE
se plaignait que l'on rencontrât encore des juifs partout. Il
réclamait leur extermination, et aussi l'extermination de leurs
protecteurs. Sa définition personnelle du juif était plus stricte
encore que celle d'HITLER ou de PETAIN : « J'entends par
juif, expliquait -il dans une note, tout homme qui compte parmi ses
grands-parents un juif, un seul. » Ce livre était apparemment
trop virulent pour Vichy, car certains exemplaires furent saisis, ici
ou là, en zone Sud, ce dont l'auteur se plaignit.
Une œuvre antérieure de CÉLINE, « Bagatelles pour un
massacre », où il dénoncait plus violemment que partout
ailleurs les juifs, s'élevait contre leur influence dans la sphère
gouvernementale et le domaine des arts, fût rééditée sous
l'Occupation, Et son éditeur Robert DENOËL montra le même
fanatisme que CÉLINE dans un article qu'il écrit pour une révue
publiée ar l'Institut (antisémite) d'étude des questions juives.
Se référant à un autre pamphlet d'avant-guerre de CÉLINE qu'il
continuait à vendre pendant l'occupation, « l'école des
cadavres », DENOËL écrivait : « « L'école
des cadavres », c'était l'application à la France de la
théorie du juif. Si jamais il y eut un livre prophétique, ce fût
bien celui-là. Tout y est dit … C'était le grand cri d'alarme, le
« holà » terrible qui aurait dû arrêter tous les
Français sur la pente de la guerre. Il ne fût entendu que par les
juifs... Et l'on nous mijota à CéLINE et à moi un procès en
correctionnelle... » Lucien REBATET se souvint par la suite
que, dans ce livre, CÉLINE réclamait une alliance totale entre la
France et l'Allemagne hitlérienne, et cela au moment précis où les
nazis entraient dans Prague. Même « je suis partout »
avait jugé bon de passer le titre sous silence, en cette dangereuse
période de l'avant-guerre …
Pendant l'Occupation, l'une des activités favorites de CÉLINE
fut d'écrire, souvent sous forme de lettres, pour les hebdomadaires
les plus virulents de la collaboration ; il reprochait
vigoureusement aux français, dans leurs colonnes, de ne pas faire
preuve d'antisémitisme assez violent ; il souhaitait ainsi voir
les dénonciations se mulitiplier.
Ernst JÜNGER eut l'occasion de le rencontrer longuement à
l'Institut allemand, par un après-midi de décembre 1941. CÉLINE
confia à son interlocuteur « combien il était surpris,
stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillons pas, nous ne
pendions pas, n'exterminions pas les juifs […] stupéfait que
quelqu'un disposant d'une baïonnette n'en fasse pas un usage
illimité ». Et CéLINE d'ajouter : « Si je portais
la baïonnette, je saurais ce que j'ai à faire. » JÜNGER
écrit qu'il avait appris là quelque chose (après deux heures de
conversation) : « la monstrueuse puissance du nihilisme ».
Céline et ses semblables ne voyaient dans la science qu'un moyen
de tuer d'autres gens. (On se demande toutefois s'il était vraiment
nécessaire pour un Allemand de traverser le Rhin pour rencontrer ce
genre de personne.)
Le 22 juin 1944, moins de deux semaines après le débarquement
allié en Normandie, JÜNGER apprit que CéLINE s'était précipité
à l'ambassade d'Allemagne ; muni des documents nécessaires, il
devait s'enfuir en Allemagne deux mois avant que les Allemands
n'évacuent Paris. « Curieux de voir, nota JÜNGER, comme des
êtres capables d'exiger de sang froid le tête de millions d'hommes
s'inquiètent de leur sale petite vie. Les deux faits doivent être
liés. »
Dans un autre violent monologue, cette fois en présence de
Jacques BENOIST-MECHIN, au cours d'un dîner donné par ABETZ à
l'Ambassade d'Allemagne en février 1944, CéLINE déclara que la
défaite des Allemands était inévitable, que Hitler lui-même était
mort et remplacé par un sosie – un juif, en vérité, qui
travaillait à la victoire des juifs. Un ami de CÉLINE se leva alors
de table et entreprit d'imiter les gestes familiers du chancelier,
tandis que CéLINE poursuivait ses diatribes. Traitant son éminent
invité comme s'il était pris de délire, ABETZ fit reconduire
CÉLINE chez lui. »
Tata YOYO riait. Elle reconnaissait dans le « délire »
de CéLINE peu ou prou le récit du film « Le dictateur »
de Charlie CHAPLIN et se demanda si Céline avait pu en entendre
parler ou l'avoir vu.
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