Les années 70 : la fin de l'abonnement au nouvel observateur.




À la fin des années 70, notre père est entré dans le salon que nous appelions la salle et a dit d'un ton solennel qu'il avait décidé d'interrompre son abonnement au Nouvel Observateur. Je me souviens ne pas comprendre pourquoi il nous le disait à nous, soit ma sœur et moi mais peut-être ma mère était elle aussi dans la pièce. Je me souviens ne pas comprendre le pourquoi de cette solennité au sujet d'un événement qui ne me semblait pas d'une gravité profonde. Mon père avait sans doute été incapable de se dire que ce magazine était devenu « de la merdre », pourtant il avait du reconnaître qu'il ne s'y retrouvait plus ; pour lui toute chose écrite et publiée devait revêtir peu ou prou, même si de loin en loin, les oripeaux sacrés du Verbe, mais force lui avait été de reconnaître que le compte n'y était plus, que le Verbe même ironique ne s'y trouvait plus. A y regarder de plus près, sans doute serait-il possible de dire qu'il n'était pas question de baisse de qualité au travers des écrits, des articles et des thèmes relatés dans le magazine mais qu'il s'agissait sans doute plus d'une modification. Le nouvel observateur qui avait du s’appeler au début de son abonnement France Observateur puis qui deviendrait le nouvel obs puis l'obs et son supplément obsession naviguait dans les flux de l'époque postérieure aux événements de mai 1968 et abandonnait progressivement la culture classique énoncée par ses adeptes et ses contradicteurs parlant grec et latin en abordant les rives modernes où tout change et bouge tels ces électrons aux positions supposées quoique mal définies dans un nuage autour d'un noyau qui lui même s'avouerait par la suite divisible et incertain. Il n'était peut-être pas un mal que cela soit ainsi et se modifie : les sciences humaines avaient déjà commencé, depuis au moins la fin de la seconde guerre mondiale, à questionner ces montagnes immobiles et fières de la culture classique en y révélant le carton pâte masquant une domination et une exploitation économique d'êtres humains par d'autres êtres humains. Mais tout enfant qui a aimé une pièce de théâtre a aimé l'idée que celle-ci reflétait un vrai monde, que la toile peinte en fond de scène était la promesse d'un monde à venir, et il lui est parfois difficile et pénible d'admettre que cela n'est pas, que cela ne sera pas ainsi. Et sans doute continue t'il de croire qu'il est juste que ce théâtre là serait faux mais que le théâtre est une autre chose, qu'il avait entrevu une possibilité quand il avait vu cette pièce alors qu'enfant, etc.. Bref, Nietzsche a dit que Dieu est mort mais il nous manque comme l'auraient chanté les Rolling Stones. L'événement de cesser de s'abonner au Nouvel Observateur devait pour notre père faire écho à son départ de l'Eglise. Soit « je ne cesse pas forcément de croire que les êtres humains doivent réaliser quelque chose mais je ne partage plus ma foi avec ceux-là. » Quelque chose de la sorte.  

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