FORUM : « l'individu est-il individis ? »
- Pendant les vacances, j'ai été étonnée d'entendre et de lire plusieurs fois à je ne sais plus quel sujet qu' « il faut arrêter avec cette société individualiste ! »
- Et alors ?
- Ben, ces personnes parlent comme si la société individualiste était arrivée or c'est loin d'être le cas.
- Ben, un peu quand même, non … les gens ne croient plus en Dieu donc croient en leur propre bonheur, leur propre personne, leur propre famille, et recherche leur propre plaisir.
- Peut-être, mais je ne crois pas que cela soit vraiment une nouveauté et surtout cela ne fait pas société. Il n'y a pas dans ce que tu dis une société individualiste.
- Je ne comprends pas.
- Ben, l'individu, c'est la plus petite division possible de la société, ton orteil ou ton oreille tous seuls ne peuvent pas survivre. Une société d'individus c'est donc une société composée par la somme de toutes ses plus petites entités où chacun et chacune y est reconnu comme y existant et y prenant part.
- Donc si je te suis, si je m'affirme individu je reconnais automatiquement l'autre comme individu également. Une société d'individus est forcément égalitaire. C'est cela ?
- Peut-être.
- Mais alors la société individualiste ?
- Ben, disons que rien dans le réel n'étant pur pas même le cristal, une société individualiste est une société qui a comme idéal une société d'individus.
- Et ce n'est pas le cas de nos jours ?
- Ben, non. Une société individualiste forme des individus, des personnes capables de se conduire en tant qu'individus parmi les individus. Or dans nos sociétés, il y a le mythe des personnes supérieures, pour lesquelles les autres personnes vont travailler et oeuvrer et ainsi tautologiquement conforter le mythe de personnes supérieures.
- Tu dis n'importe quoi !
- Ben, c'est vrai non, il y a quand même des personnes plus intelligentes que d'autres, non ?
- Bon, l'intelligence c'est la capacité à comprendre des trucs, il y a différentes façons d'être intelligent parce qu'il y a différentes façons de comprendre et qu'il y a différentes réalités animées par différentes logiques à comprendre. Et comme dit le proverbe, il faut de tout pour faire des mondes et un monde. Et je suis pour la diversité des intelligences.
- Bah, même dans nos corps, nous sommes traversés par diverses logiques.
- « Divers désirs », tu veux dire ?
- Voilà, et nos sociétés instrumentalisent les désirs. Pour te faire oeuvrer aux intérêts des personnes dites supérieures, il faut te faire miroiter la possibilité de devenir une personne supérieure et donc de travailler pour cela à œuvrer à ceci et cela qui ne servent en fait que les intérêts des personnes dites supérieures.
- Personnes dites supérieures qui ne le sont que puisqu'elles ont réussi à faire œuvrer ici et là des personnes pour leurs intérêts. C'est cela ?
- Peut-être.
- Et si je n'ai pas envie de devenir une personne dite supérieure.
- Ben, dans ce cas, tu dois malgré tout gagner ta vie et tu n'auras accès qu'aux boulots où le leurre de pouvoir devenir une personne supérieure n'est pas possible et où, alors, la violence sociale de ce que tu n'es pas considéré comme un individu œuvrant à son bien être mais dédommagé de vendre ta force de travail au service de plus fort historiquement que toi apparaît dans toute sa nue violence.
- C'est-à-dire ?
- Ben, si, réfléchis... par exemple, les horaires des caissières et des équipiers de la restauration rapide ne sont à ma connaissance pas conçus pour que les personnes puissent avoir une vie agréable mais pour que l'activité dans le magasin ou le restaurant soit la plus fluide et rentable possible.
- Je ne comprends pas.
- Ben, par exemple, si j'ai un horaire ou je travaille de 10h00 à 14h00, puis de 17h00 à 21h30, autant dire que je travaille de 10h00 à 21h30 en n'étant payé non pas 11h30 mais 08h30, etc...
- et dans une société d'individus alors les horaires seraient de 10h00 à 14h00 puis de 15h00 à 19h30, par exemple, c'est cela ?
- Ou pour coïncider avec les périodes d'activités du magasin ou du restaurant, les horaires d'une personne seraient de 10h00 à 14h00 puis une autre personne viendrait travailler de 17h00 à 21h30, l'idée étant aussi que tous les individus travaillent.
- Travailler moins pour travailler tous, c'est cela ?
- Ouais.
- Mais on gagnera moins alors ?
- Pas sûr, ce sont surtout ceux qui ont des hauts salaires qui gagneraient (gagneront) beaucoup moins puisque tout serait réparti entre les chacuns et les chacunes et envisagé différemment.
- Mais c'est possible, cela ?
- Disons que « techniquement » c'est vers quoi nous devrions nous acheminer, mais « psychologiquement » il peut y avoir un problème puisque un grand nombre d'entre nous sont conditionnés dans un sens tout différent.
- C'est-à-dire ?
- Ben, par exemple, l'autre jour, j'entendais un mec, genre économiste machin au CNRS truc, sur Europe 1, dans le Club de la presse. Le type dans ses plans sur la comète du futur, il ne lui vient pas à l'idée que des personnes pourront faire des études longues et gagner des salaires pas très différents de celui d'une streap teaseuse,
- Ben, moi, non plus !
- Imagine, par exemple, que la personne aura commencé à gagner un salaire dès le début de ses études, et que le système universitaire des études soit axé sur les talents, les capacités, les potentialités, les désirs et les motivations pour suivre et enrichir des études et non pas sur l'appât du gain du possible salaire gagné après les études ou sur la quête d'une position hautement respectable dans la pyramide sociale.
- Et on pourra suivre des études tard, comme Papy MEUJOT qui passe son master II à l'université à l'âge de cent trente ans ?
- Dans l'idée, ouais. Tout le monde n'a pas envie d'étudier au même moment de la vie et chacun peut enrichir la somme des connaissances à un moment donné par sa personnalité ou son expérience.
- J'ai des doutes sur cette conception...T'es sûre que cela pourrait marcher ?
- A partir du moment où les personnes travaillent peut-être trois ou quatre heures par jour pour les collectivités puis ensuite peuvent faire ce qu'elles veulent, ouais, cela peut marcher. À mon avis.
- Et pourquoi l'économiste machin du CNRS truc n'y pense pas ?
- Parce que cette révolution-là permise de plus en plus par la technique remet en cause son système de valeurs.
- Je ne comprends pas.
- Ben, par exemple, la Google Car, ce n'est pas un mec qui aime séduire les filles avec des voitures de sport et prendre des virages à fond la caisse pour faire vibrer la meuf et ensuite la serrer toute tremblante dans ses bras,
- On dirait du Gérard De villiers ton truc-là...
- Ouais, peut-être, m'enfin, vous m'avez compris, ce n'est pas ce genre de mec qui va inventer la google car.
- Moi, je l'ai entendu cet économiste machin du CNRS truc sur Euorpe 1 dans le Club de la presse parce qu'il a sorti un bouquin sur je ne sais plus quoi. Et quand le type parlait des logiciels, tu sentais que le mec ne comprend pas ce qu'est un logiciel, il parle du logiciel comme il parlerait des martiens ou d'un tour de magie. Intellectuellement, il n'a pas de compréhension profonde de ce qu'est un logiciel.
- Et ce serait quoi une « compréhension profonde d'un logiciel » ?
- Ben, pour ce que j'en ai compris un logiciel c'est un programme complexe qui fait des suites d'opérations à ta place et te permet de gagner du temps.
- Euh ? C'est quoi la différence entre opération et programme ?
- Par exemple, dans les calculatrices de nos jours, t'as la possibilité de calculer un cosinus, une tangente ou un sinus d'un angle en appuyant sur un bouton, ta calculatrice fait l'opération à ta place...
- Ouais, je suis toujours fasciné quand je trouve des vieux bouquins dans les brocantes qui sont des listes de tableaux qui donnent les cosinus sinus et tangentes d'angles ou les racines carrées et triples de nombres avec virgules.
- Et dans les calculatrices de nos jours, tu as aussi la possibilité de faire étudier une fonction par la calculatrice, par un logiciel dans la calculatrice qui va te donner la courbe de la fonction d'où tu pourras retrouver toutes les opérations qu'à mon époque on faisait à la main qui nous permettait ensuite de dessiner la courbe.
- La courbe de tes yeux ou la courbe du chômage ?
- Non , la courbe de mes fesses.
- Bon, la courbe de ce que vous voulez dès lors que tu as une valeur en abscisse qui se transforme par une opération fonctionnelle en une valeur en ordonnée.
- En gros nez ?
- Ne te fais pas plus bête que tu n'es.
- Ouais, je sais. Par exemple, je peux dessiner la courbe de l'impôt payé en fonction du revenu dès lors que j'ai les formules et les tranches appliquées par le trésor public français. Donc j'aurais le montant du revenu en abscisse et le montant de l'impôt en ordonnée.
- Tu vois que c'est simple.
- Et alors, notre économiste machin ne comprend pas ... quoi ? Que le logiciel est son ami, c'est cela ?
- « Que le logiciel est notre esprit », non ?
- Oh la ! C'est le credo des google transhumance machin, non ?
- Waow ! Vous basculez dans le new age, cela va être sans moi parce que je fais des allergies.
- Non, t'inquiètes pas, il s'agit plutôt de comprendre que le logiciel « automatise » certaines possibilités de notre esprit comme la machine automatise certaines possibilités de nos corps prolongés d'outils.
- Ou comme l'agroalimentaire « automatise » certaines possibilités de nos cuisines.
- Et donc le souci n'est pas de craindre le logiciel mais de se souvenir qu'il est possible de faire sans, c'est cela ?
- Peut-être.
- Moi, cela me frappe, parfois je croise des touristes qui me demandent leur chemin, leur smartphone est en panne ou ne capte pas ou je ne sais quoi et ils ont l'air complètement largué... la possibilité de trouver leur chemin au fur et à mesure quitte à se planter semble les effrayer complètement... they are total freaks control !
- Moi, je me souviens, j'avais une copine qui avait fait un BTS bidule dans le textile et elle m'avait montré ses cours, c'était dans les années 80, les trucs en était peut-être à leur début mais dans mon souvenir, elle apprenait à se servir d'une sorte de logiciel qui allait lui indiquer quelle est la meilleure façon de découper les pièces nécessaires à un habit dans le tissu afin d'avoir le moins de chute possible.
- Dans les années 2000, j'avais postulé pour un poste d'assistante chez un mec qui vendait un logiciel pour PME si j'ai bien compris, alors tu entrais les stocks et ensuite le logiciel gérait tout jusqu'aux factures en passant par les bons de commande et la comptabilité. « tout y est intégré » m'avait répété au moins dix fois la nana qui faisait le recrutement à côté du mec qui avait inventé le logiciel, qu'il s'agissait d'assister et qui était un autiste total, étranger à toutes formes de small talks.
- Dans les années 2000, à ma connaissance, c'était le gros truc, les logiciels de gestion d'activités intégrant toutes les données et limitant les doublons. Cela, en principes et en manières, a modifié les façons de travailler.
- Ouais, j'avais vu cela chez des avocats. Ils avaient investi dans un logiciel de gestion alors t'avais tout dedans les modèles de contrats, les modèles de lettres, et sur le principe les dossiers auraient pu être entièrement numérisés. Mais, outre que la culture des avocats est (était) quand même celle du papier et des gros dossiers sur leurs bureaux, le problème est souvent que les personnes ne savent pas se servir de tels outils puisqu'ils n'ont pas encore cette culture là. La plupart ont tellement idéalisé leur activité tout en brassant du vent que ce type de logiciel qui leur permet d'être concentré sur le coeur de leur métier en les débarrassant de tout le fatras administratif, ou de gestion est leur ennemi puisque révélant leur stratégie de nul et leur incompétence.
- Donc le problème n'est pas forcément l'arrivée des logiciels. C'est un peu toujours la même histoire.
- En tout cas, l'économiste machin du CNRS truc disait dans le Club de la presse sur Europe 1 que tous les métiers de la classe moyenne genre les mecs et les meufs dans les guichets et les bureaux qui géraient les dossiers vont disparaître et en ce qui me concerne, je trouve que cela va libérer la société d'une catégorie de personnes hyper chiantes et qui s'arrogeaient toujours des petits pouvoirs de merde sur des plus faibles pour avoir l'impression d'exister. Franchement, c'est une libération sociale ! Merci les logiciels !
- Bon, on n'en sait rien, disons que cette nouvelle révolution technique a des bons et des mauvais côtés. Comme les précédentes.
- Et comme nous connaissons maintenant environ plus ou moins les limites et les risques de la précédente révolution industrielle, nous devrions pouvoir appliquer cette connaissance acquise envers la révolution dite numérique afin d' éviter de devenir tous des automates zombies.
(à
suivre).
Commentaires
Enregistrer un commentaire