Samba Proustienne

Samba proustienne.

Dans les années 80, après avoir découvert la danse disco dans la discothèque de l’internat situé dans l’ex château d’Anna de Noailles, nous décidâmes de nous intéresser plus sérieusement à cette discipline, soit la danse. Ainsi nous nous inscrivâmes au cours donné à la maison pour les jeunes et la culture (M.J.C) de cette ville thermale de taille moyenne et comprenant un nombre moyens d’habitants jouxtant cette autre ville thermale dont le maire fût assassiné en victime collatérale des événements dits de la guerre d’Algérie ; bref, dans les années 80, alors que monsieur François Mitterrand connaissait encore l’état de Grâce du à sa récente élection présidentielle, bref, nous nous étions inscrites aux cours de danse modern-jazz dispensés à la MJC de Thonon-les-Bains. Ensuite, nos copines internes et les copines de la sœur de F. nous copièrent ce qui nous dérangea un peu car nous avions décidé de suivre ces cours sérieusement.
Là, nous nous devons d’aborder un point théorique très important et à notre connaissance non encore tranché : Le corps est-il construit par la danse ou s’agit-il de le (re)découvrir par la danse ? « un peu des deux, mon capitaine ! » serait notre point de vue pour faire simple et en résultat de nos connaissances provenant de notre expérience personnelle. Ce point étant éclairci par cette réponse de normand, nous pouvons continuer notre récit :
.. et les copines de la sœur de F. nous copièrent ce qui nous dérangea un peu car nous avions décidé de suivre ces cours sérieusement. Ainsi nos débuts dans l’apprentissage de la danse furent vraiment laborieux puisque nous n’avions aucune conscience de nos centres de gravité, pas de ressenti et très peu de compréhension concrète du vocabulaire (nous nous souvenons par exemple de l’étrange « quick » à moins que « kick »). Bref,  nous étions parti à la recherche de nos êtres dansants sans vraiment comprendre de quoi il s’agissait. Ce qui nous dérangeait étaient que les copines de la sœur de F. nous assaillaient de questions à la fin du cours « t’as compris comment faire cela ? Tu peux m’expliquer comment faire ceci ? » alors que dans notre esprit intuitivement il s’agissait d’abord de « dormir » sur le cours pour qu’il passe dans « le corps » comme nous le faisions avec les mathématiques. En effet, un de nos professeurs de mathématiques avaient attiré notre attention sur le fait que le meilleur moyen de résoudre un problème en mathématiques était de « dormir dessus » littéralement afin que le lendemain la solution se présente d’elle-même, ce qui dans la pratique s’avérait d’une redoutable efficacité.
La même année, nous fîmes la connaissance de P. la sœur de R, le fils des J., qui avait été dans la secte Moon lorsqu’aux Etats-Unis, était étudiante à Lyon en anglais et histoire de l’art et dont notre sœur nous dira plus tard qu’elle était lesbienne sans que nous ne comprenions bien ce que cela pouvait modifier de notre connaissance amicale de P., bref, P. la sœur de R. rentrait tous les weeks-ends chez ses parents et aimait aussi beaucoup la danse disco et lorsque nous allions en discothèque avec elle (« tu peux me rappeler en quelle année je suis censée être née pour avoir dix-huit ans ? » « Dîtes mademoiselle, vous n’aviez pas déjà dix-huit ans l’année dernière ? »), bref lorsque nous allions en discothèque avec P, la sœur de R, le fils des J . , elle dansait comme Michaël Jackson dans le clip « Billie Jean » et nous expliquait des pas. Elle nous emmena avec son frère cette année-là mais plus sûrement la suivante voir « all that Jazz » de Bob Fosse et fût déçue par « Flashdance » dont nous avait beaucoup parlé N. qui l’avait vu à sa sortie lorsque l’été à San Francisco avec son père américain suivant les règles des enfants de divorcés.
Nous persistâmes dans nos cours de modern-jazz toutes nos années de lycée et continuèrent d’étudiâter les danses des uns et des autres lorsqu’en boîte de nuit ainsi qu’à essayer des trucs nous-mêmes sur les pistes des boîtes de nuit notamment celle du RAM DAM où le disc-jockey pouvait parfois passer les Fleshstones et où le samedi soir se croisait à peu près tout le lycée qui avait peut-être dix-huit ans en moyenne si l’on y incluait les quelques vieux beaux qui traînaient par là et ne manquaient jamais de nous draguer ce qui nous dégoutait.
Par ailleurs, ,nous donnions des cours des mathématiques à la copine de la sœur du copain de F. qui prenait des cours de modern-jazz dans l’ école privée de danse de cette ville moyenne comprenant un nombre moyen d’habitants quoique conscient d’habiter près d’une frontière. Nous avions parfois des conversations sur la danse à la fin des cours de maths ou pendant les cours de maths parce que cette éllève n’avait aucune prédisposition (ni postdisposition) aux mathématiques et que nous ne savons plus si nous parlions de danse dans un but pédagogique afin de réveiller et d’intéresser sa personne aux mathématiques ou dans un but purement égoïste pour satisfaire notre propre curiosité sur la danse en tentant d’échapper à l’ennui que lui prodigait le savoir mathématique. Puis nous allâmes la voir danser à la maison des Arts et Loisirs (M.A.L) où l’école de danse produisait son spectacle de fin d’année et où y dansaient également la sœur du copain de F. et la sœur de notre voisin de classe d’anglais M. Notre élève laborieuse en mathématiques s’avérait être une des meilleures danseuses de l’école ; à cette époque, ce que nous pouvions voir dans ce spectacle de modern jazz avec peut-être quelques démonstrations de classique, n’était pas franchement beau mais nous étions fascinés par les prouesses, les souplesses, les vitesses, le déploiements des corps dans l’espace sans d’ailleurs n’y mettre le moindre mot ni un début d’expression. Cependant nous allâmes tous un jour en boîte de nuit et nous notaoûmes que cette fille ne savait pas danser en boîte de nuit. Il se peut que ce soit cette année-là où Sophie DUEZ incarnait sur les grands écrans le fantasme de la danseuse propre à Michel BLANC et quelques autres et que Patrick DUPONT sévissait en collants sur les plateaux de télévision notamment en dansant sur des chansons qu’interprétait Francis LALANNE.
 L’année suivante, dans ma première année de prépa intégrée dans une école d’ingénieurs à Lugdugum, nous nous inscrivâtes au cours de modern jazz qui était assuré par une élève de cinquième année qui débordait d’énergie. Petit à petit, aux cours de toutes ces années, il nous avait semblé avoir compris quelques trucs. Nous fîmes la connaissance de Marie, qui venait d’Istres où il y avait une super école de danse. Marie disait comme la prof éléve de cinquième année que la danse classique c’est la grammaire voire l’alphabet de la danse et donc «  que si tu ne connais pas la grammaire tu ne peux pas danser » ce qui rapporté à la langue française comme chacun sait est à la fois vrai et faux. Marie m’apprit pas mal de trucs sur la colonne vertébrale, les épaules, l’espace entre les omoplates, le port de la tête et peut-être les ports de bras. Elle m’apprit aussi à prendre de l’élan depuis les pieds pour faire les demi-tours et comment se servir de la tête pour faire les tours avec l’energie concentré dans le ventre, mais il est fort possible que nous n’utilisions pas encore le terme d’energie à cette époque. Puis nous préparâmes le spectacle qui se déroulait au printemps et tous les matins de nos weeks-ends y fûrent occupés ce qui nous passionnât. Puis la prof qui était élève en cinquième année de cette école d’ingénieurs, nous expliqua que pour terminer un « numéro » qui se dansait sur une musique de MATT BIANCO qui n’en finissait pas, elle avait décidé d’accélérer la musique et que tout deviendrait absurde et burlesque sur scène (mais elle avait plus sûrement employé le terme « rigolo »). Elle nous présenta alors Alain un quatrième année, qui lui avait sans doute soufflé cette idée, qui suivait des cours de danse contemporaine à la fac de sciences qui se trouve sur le même campus que l’école d’ingénieurs mais de l’autre côté et qui allait nous donner des indications pour ce final un peu spécial. Nous ne savons plus si Marie tomba tout de suite amoureuse de lui, en tout cas, il bougeait différemment, et dans notre souvenir mais il se peut qu’il soit erroné, Alain avait le buste légèrement plus grand que les jambes. En tout cas, c’est sans doute lui qui pour la première fois nous proposa de donner des idées, de marcher, de courir sur scène, de faire le pitre, bref des trucs très éloignés de ce que nous faisions jusqu’à présent qui s’apparentait plus aux chorégraphies que Reda avait pu montrer tous les samedis soir à la télévision française en générique de l’émission franchement niaise Champs Elysées. Puis nous effectuâmes un premier filage de la soirée dans une salle avec carrelage au sol, jouxtant la salle de spectacle puisque celle-ci était occupée ce soir-là. Là, nous découvrîmes pour la première fois les « numéros » de la section création du cours de danse contemporaine de la fac de sciences, numéros qui s’alternaient aux nôtres et nous eûmes notre révélation (notre pilier de la cathédrale de Chartres ou de Reims, nos classiques s’embuent parfois). Le premier numéro s’appelait « les citrons » et nous ne savons plus s’il s’agissait d’un duo de garçons ou d’un trio de deux garçons et d’une fille, ils étaient habillés sobrement de blanc, il n’y avait pas de musique, ils disposaient des citrons, nous ne savons plus trop, ce que nous savons c’est que tout à coup, les corps étaient visibles, étonnamment présent, sans fioritures, ni faux semblants. Nous nous rappelons approximativement du début  où un des garçons avance de cour à jardin puis vers milieu de scène se tourne face public par un mouvement rapide de rentré ventre et dépliement jambe et reste longtemps immobile à regarder le public d’un regard peut-être profondément habité en tout cas « voyant » et dans ce presque rien de mouvement et de regard, il y avait comme un condensé prodigieux de danse qui surgissait d’un coup à partir de rien et nous « saissisait » littéralement. Nous crûmes tombé tout de suite folle amoureuse du dit garçon, mais peut-être n’était-ce que l’apprentissage du « motion is emotion ». Nous nous souvenons que le garçon de cinquième année qui assurait la régie expliqua aux garçons et à la fille de la fac de sciences (l’un peut-être en quatrième année de medecine, Baloo, l’autre peut-être passé infirmier puisqu’ayant abandonné, Hugues et la fille nous ne souvenons plus vraiment à moins qu’elle ne fut l’amie de celui qui s’appelait Hugues) bref le garçon de cinquième année qui assurait la régie leur expliqua que le public de cette école d’ingénieurs étaient de gros bœufs et qu’un « numéro » sans musique ne « passerait » pas. Les fois suivantes, ils jouèrent leurs numéros avec une musique de Vollenweider si notre mémoire ne nous abuse ce que nous avions tous trouvé dommage.
Alain nous parla de la Maison de la danse, nous dit qu’il avait sympathisé avec la dame qui s’occupait de la vidéothèque et nous expliqua comment nous inscrire l’année suivante aux cours de la fac de sciences ce que nous fûmes nombreux et nombreuses à faire l’année suivante. Il nous expliqua aussi qu’ « en danse contemporaine, il n’y a pas de miroir ». Nous partîmes peut-être même avec Marie, Alain et un copain d’Alain, Frederic voir la Fête de la musique à Paris dont nous ne nous souvenons que d’avoir raté le concert de la Souris déglinguée. Cet été-là, Marie ayant planté ses examens de première année de cette école d’ingénieurs à prépa intégrée nous planta dans le même mouvement pour les vacances que nous avions prévus de passer avec son gay cousin coiffeur à Marseille. Donc, après avoir effectué notre stage ouvrier et passé nos soirées avec notre sœur et ses copains et copines notamment des Arts déco au Fiasco derrière la gare Cornavin de Genève, nous nous rendîmes à Gruissan en France pour suivre un stage de danse africaine. Outre que Gruissan ne ressemblait pas du tout à ce que nous en avait montré le film « 37,2° » de Beinex sorti cette année-là et que nous étions tombé par hasard sur notre collègue de TP de Physiques, elle aussi virée de l’école et par ailleurs passant toujours ces vacances à Gruissan depuis qu’elle était toute petite, bref, cet été-là, nous découvrîmes la danse africaine. Les débuts furent laborieux puisqu’il s’agissait de tout autre chose que la danse modern-jazz dont notre corps avait encore l’époque suivit les seuls apprentissages : la prof nous expliqua « qu’il faut savoir danser en relation avec les musiciens » qui étaient en l’occurrence trois grands africains qui jouaient du tam-tam et du balafon et qui nous intimidaient. Nous mîmes un temps certain à comprendre ce que signifiait l’occurrence « danser en relation avec les musiciens ».
L’année suivante, nous fûmes donc quelques-unes et peut-être un à nous inscrire au cours de danse contemporaine de la fac de sciences du jeudi après-midi où nous fîmes la connaissance de Coralie qui travailla ensuite quelque temps avec le cirque ARCHAOS et découvrîmes la musique de Philip GLASS et Steve REICH.
Les cours commençaient debout pied parallèles et il s’agissait de dérouler et échauffer les pieds, puis les jambes, puis le torse, puis les bras, puis la tête, puis nous passions au sol, nous massions les orteils et les plantes des pieds où se stocke l’énergie négative nous expliquait la prof toute de blanc vêtue qui nous fascinait et dont nous écoutions les paroles telles celles d’un évangile, puis nous déroulions notre colonne en passant nos fesses au-dessus de nos têtes et reprenions une série d’exercices au sol pour libérer notre colonne de notre bassin et également ouvrir notre thorax. Puis nous apprenions un enchaînement, puis nous effectuions une grande traversée de cette salle de basket au plafond très haut et au sol vert caractéristique des salles de sport qu’il n’était nullement besoin de traverser en diagonale car l’espace n’y manquait point, et en chaussettes ou pieds nus, nous effectuions tant bien que mal des pas de danse appris les cours précédents et le cours présent et revenions à pas de course ou à pas lent selon notre désir de retraverser la salle pour repartir en ligne de cinq ou sept, et en rythme et en chœur portés par les musiques si un simple déclic prosaïque passé dans nos esprits et nos corps nous faisait comprendre un peu mieux l’espace d’un moment ce qu’était de danser, de la simple joie qu’il s’agissait réellement , tout cela sous la lumière de vastes fenêtres vitrées floutés à une hauteur que nous ne pouvions atteindre avec nos mains.

Cette année-là, nous préparâmes avec Béné et Coralie un numéro pour le spectacle de danse du printemps. Nous avions dû aller voir un spectacle des MOMIX à la Maison de la Danse et le début de notre « numéro » en était largement inspiré : nous étions dans un grand sac de fausse jute  et créions des formes avec le tissu, puis nous sortions du sac, nous portions des jupes longues grises en V en tissu épais, des pulls à col roulé vert bouteille et des collants noirs sans pied, nous faisions des danses séparés peut-être lentes, puis nous nous réunissions enlevions nos pulls, nous portions des sorte de corsets (nous nous souvenons que Coralie avait utilisé un de ses corsets intimes et avait dû rajouter du velours noir pour que ses seins ne dépassent point trop et que nous avions nous-mêmes un haut à bretelle moulant qui surtout ne souligne pas la poitrine puisque quasiment dépourvues) et nous dansions alors en chœur quelques diagonales bien soutenues. Il est possible que des esprits délicats nous eûtes dit après les spectacles qu’ils attendaient que nous enlevions nos jupes mais il nous semble que cela serait un souvenir rapporté, un désir postérieur et extérieur tentant de s’inscruter. Dans notre souvenir, c’était Béné qui s’était occupée de tous les détails des costumes et qui avait beaucoup pensé à la chorégraphie. Nous avons un souvenir de nous promener Béné, Coralie et nous-même dans Lyon à la recherche de tissus et que Coralie et nous-mêmes avions surtout envie de boire des bières mais il est possible que cela soit un faux souvenir car à cette époque nous n’aimions pas la bière. Bref, une fois le spectacle de danse passée, cette année-là, nous commençâmes à vraiment sécher les cours  puisque traversant une sorte de crise dans nos études (en physiques nous abordions les modèles théoriques quant à l’optique et nous ne parvenions à nous y intéresser et en mathématiques nous abordions de nouveaux concepts peut-être les divergents ou les divergences et nous n’arrivions plus à les saisir ) et ainsi il nous arrivait d’ errer ici et là dans les centres d’orientations et d’information des différentes universités de la bonne ville de Lyon à la recherche de ce que nous pourrions bien faire d’autre que cette école d’ingénieurs où nous commencions sérieusement à douter de nos désirs de poursuivre dans cette voie : L’expérience vécue dans un cours de technologie d’avoir à trouver dans un catalogue les bons boulons pour construire un pont précis et réel en connaissance des contraintes de forces et résistance au mètre cube calculées d’après les plans eurent fini de faire vaciller nos possibilités de nous imaginer devenir « ingénieur » pour de vrai.
Parrallèlement à cela, lors de nos dérives lyonnaises, nous nous étions inscrites aux cours de danse dispensés par Kilina Cremona et Roger Meguin, themselves, dans leur studio des bords de Saône. Leur administratrice qui se prénommait Fouzia préparait des envois en vue d’une création à Montpellier et nous proposa de l’aider à rédiger les adresses sur les enveloppes en contrepartie de cours gratuits. Nous passions donc nos après-midi à écrire de notre plus belle calligraphie les adresses de tout le monde de la danse et de la création contemporaine française voire européenne de l’époque sur des enveloppes B5. Les PC personnels n’en était qu’à leur balbutiement, les premiers macs venaient de sortir, il me semble que le terme était encore macintosh et nous étions encore bien loin de l’impression sur étiquettes collantes des adresses d’un fichier informatisé. Fouzia ne parlait pas beaucoup, était d’une nature nerveuse énergique (nous rappelant le style d’une gouvernante de maison de maître quoique n’ayant aucun souvenir personnel en la matière à moins que diffusément hérité de qui devait être la sœur du père de la mère de notre père ou la mère de la mère de notre mère) puis Kilina littéralement descendait du ciel : elle ouvrait une petite trappe dans le plafond et descendait du studio qui se trouvait au dessus peut-être par une échelle avec son bébé tout neuf (Fouzia nous avait expliqué que Kilina avait dansé jusqu’à peut-être son huitième mois), disait quelques mots avec sa voix gouailleuse très forte comme venant du fin fond des âges, la voix d’une femme qui du fond des grottes ordonnait aux hommes de se tenir propres et tranquilles, nous regardait de son regard vif qui réveillait les morts et pétrissait les vivants, allait dans la pièce où l’attendaient les danseurs qui étaient arrivés petit à petit, puis avec son bébé partait en répétition, puis vers dix-neuf heures, nous suivions les cours du soir soit avec Kilina, soit avec Roger Meguin, soit avec une de leur danseuse ; les cours étaient arides, sans musique, les cours de Kilina était « durs », « en force », ceux de Roger Meguin  d’une aridité tempérée par comme par une petite musique de chambre interprétée très loin par un quatuor perdu dans une Cour d’Europe abandonnée. Il s’agissait de réaliser le fameux « curve » dans le dos et nous ne le comprenions pas du tout. Nous entendions « curve » et cela ressemblait à « curse » tant cela nous était pénible et incongru. Nous ne comprenions pas du tout non plus les bras et les enchaînements loin d’être fluides nous semblaient toujours dans l’arrêt et la pose que nous ne pouvions pas tenir alors qu’il s’agissait de façon extrêmement simple mais dépassant notre entendement de l’époque de continuer le mouvement par le souffle alors que le corps s’est arrêté, puis de reprendre le mouvement non pas depuis l’arrêt du corps mais depuis le mouvement antérieur qui ne s’est pas arrêté. Kilina et Roger avaient été danseurs auprès de Merce Cunnigham à New-York peut-être dans les années 70. Nous ne savions pas encore à l’époque que Merce Cunnigham était une sorte de Picasso pour la danse, ou peut-être de Rothko, enfin du moins qu’il avait permis à la danse de se libérer du récit, des arguments de ballets, dans les années 50, nous étions bien trop préoccupé par ce fameux curve ; bien des années plus tard, nous entendaoûtes  le même récit du désarroi du corps apprenti face au « curve » cunninghamien raconté sur une scène par un danseur passé chorégraphe alors que nous en avions nous-mêmes à cette époque tout oublié. Nous fîmes la connaissance à ces cours d’une dame qui avait peut-être trente ou quarante ans qui habitait, dans une des rues vers l’Opéra qui était si noir à l’époque ou peut-être déjà en travaux, une vaste chambre avec toilettes turques sur le palier et vivait de petits boulots, surtout des vendanges puisqu’originaire du Sud, et étudiait la danse ici et là et cette année-là à Lyon. La dame nous expliqua que « la danse c’est la liberté ». Nous vîmes d’ailleurs une fois dans notre vie le visage de Roger Meguin irradier de bonheur. Ce devait être dans les couloirs du théâtre du 8e en l’an 90, peut-être après une représentation des Cunningham ou peut-être même des « ennemis » Graham, et nous ne savons plus comment  ni pourquoi il dit à peu près la même chose « la danse c’est l’apprentissage de la liberté, c’est apprendre à être libre » et en disant cela, il était profondément heureux.

ce post a été initialement publié sur myspace

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