les années 90
Dans les années 90, N me dit qu’elle avait connu un uruguayen à l’université de Campinas, qu’il allait venir s’installer en France, que son père était un célèbre écrivain et qu’il avait déjà écrit une lettre à son fils domicilié provisoirement chez elle. Elle me montra la lettre et me dit avoir été déçue par le dessin de petit cochon au dos de l’enveloppe alors qu’elle s’était d’abord sentie fière de tenir dans sa main la lettre d’un écrivain. N’ayant jamais vraiment compris le syndrome de l’admiration du grand écrivain en dehors des maladies liées à l’existence des textes, nous avions trouvé plutôt sympathique ce petit cochon dessiné qui nous l’apprendrions plus tard constitue l’emblème choisi par l’écrivain célèbre, père du copain uruguayen de N. dont nous avions déjà complètement oublié et le nom et l’existence lorsque qu’alors à paris, N nous téléphona de Lyon pour nous dire que son copain uruguayen arrivait à Paris et qu’elle lui avait passé notre numéro de téléphone. Puis notre futur ex mari nous téléphona et nous nous promenadaûmes dans Paris, nous avions oublié que son père était écrivain, (comme d’ailleurs nous nous occultions le fait que le père de notre père avait lui-même écrit des histoires), et notre futur ex-mari nous raconta alors qu’il voulait faire du cinéma et qu’ainsi il s’installait à Paris qui était d’après lui la capitale du cinéma ; lorsque nous avions ouvert la porte de notre chambre de bonne nous l’avions trouvé très beau et lorsque nous nous promenâmes avec lui, nous le trouvions doux. Il nous demanda de lui montrer comment jouer au Loto car nous expliqua t’il gagner au loto serait le plus simple moyen de résoudre les problèmes financiers afférent à l’installation à Paris d’un uruguayen doté d’un visa touriste en France, nous épouser serait aussi une solution quant aux problèmes administratifs.
Le père de notre futur ex-mari, célèbre intellectuel d’Amérique Latine, connu pour un essai qui a marqué toute la gauche latino-américaine des années 70 nous expliquera plus tard, alors que dans un restaurant parisien à moins qu’une plage de Montevideo, qu’il avait choisi le cochon comme emblème parce qu’un cochon tel un écrivain mange tout ce qu’il trouve même les détritus. Nous ne sommes plus sûrs s’il avait rajouté que le cochon transforme tout cela en une viande rose savoureuse et l’écrivain en histoires ou textes ou si nous l’avons inventé depuis puisque sachant que le père de cet homme avait pour gagner quelque argent exercer le métier d’exportateur de viande de boucherie.
Comme tous les « fils de », notre futur ex-mari souffrait non pas de devoir se faire un prénom selon l’expression des biographies calibrées puisque son père avait choisi de porter en nom de scène le nom de sa seule mère et donc non celui qu’il avait transmis à son fils. Bref, notre futur ex-mari souffrait seulement des difficultés que peut éprouver tout bonnement un être humain à être le fils d’un homme ayant marqué toute la gauche intellectuelle d’un continent, ce qui constitue sur une existence naissante une ombre portée assez vaste pour émigrer vers un autre continent dans un pays où le nom du père est resté quasi-confidentiel. Cependant cette souffrance était assez paradoxale car par exemple notre futur ex-mari souffrit de ce que dans une famille aussi clanique que la notre, l’ « importance » de son père ne put être admise par notre propre père que par les dires du quasi-mari d’une fille d’une de ses sœurs dont le mari a un frère prêtre ayant œuvré toute une partie de sa vie avec les théologiens de la libération dans des bidonvilles au Brésil qu’avaient précisément visité la nièce et son quasi-mari dont ainsi les dires pouvaient être à peu près fiables. De la même façon, alors que nous avions emmenagé dans un petit appartement, rue de la présentation, à Paris, notre futur ex-mari ne comprit pas tout de suite pourquoi nous ne souhaitions pas que soit accroché au mur de notre nouvel appartement où nous commencions vie commune un poster de promotion des livres de son père, avec le nom de son père écrit en gros caractère, et ce a fortiori dans notre chambre à coucher. En fait, cette souffrance est peut-être plus commune qu’il ne peut être cru, puisque malgré les apparences médiatiques, nous sommes tous « des fils ou des filles de ». Ainsi, désirer « être reconnu par ou malgré le père ou la mère » alors que pères et mères cherchent eux-mêmes ce que peut vouloir dire « être père ou mère », ainsi l’expérience racontée où notre futur ex-mari et sa propre sœur regardant dans leur pays une émission de télévision où leur père interviewé et questionné sur le point de savoir s’il a des enfants, se met à parler de la fille de sa troisième femme dont il n’est surtout point le père. Ainsi nous sommes tous des « fils et filles » d’ « hommes et femmes » jouant tant bien que mal à la fiction des « pères et mères » de la même façon ou en réaction de ce qu’ils ou elles ont connu de la fiction proposée par leurs propres parents à leurs enfants c’est-à-dire eux-mêmes pour que se perpétuent et recommencent toutes ces histoires sans élucidation. Juste cette grande et fantastique tapisserie de fils.
Ou alors parce que tout cela n’avait pour nous presque pas d’importance ni signification puisque nous étions afférés à cette grande tâche du métier de vivre qui nous occupait et nous préoccupait entièrement sans que nous n’y comprenions goutte ou quoi que ce soit si ce n’est de la nécessité d’avoir de quoi tout en ne s’ennuyant pas de trop tout tant en prenant soin. Plus ou moins.
Bref, alors que nous avions commencé à nous intéresser à la littérature sud américaine et lisions cent ans de solitude de Garcia marquez, notre futur ex-mari s’était mis à nous raconter comme en résonnance aux écrits de Marquez les histoires du père de son père. Le père de son père eut pendant longtemps deux femmes, l’une officielle et l’autre officieuse. Le père de notre futur ex-mari était le fils aîné de la femme officielle et portait le même prénom que son père et que son demi-frère inconnu mais reconnu, fils mâle de la famille officieuse habitant dans la même rue mais un peu plus loin. Puis le père du père de notre futur ex-mari planta les deux familles et partit avec une troisième femme dont il eut un fils qu’il prénomma comme lui-même et ses deux premiers fils aîné. Pendant longtemps, le père de notre futur ex-mari crut que son père était parti avec un autre femme, une seconde femme, et n’apprit que lorsque lui-même déjà marié à une deuxième femme et ayant déjà une fille d’un premier mariage et une fille et un fils d’un second, l’existence d’un autre frère portant même prénom et nom que lui et ayant quasiment le même âge et ce par la bouche même de cette sorte de double existentiel qui souhaitait le rencontrer. Le père de notre futur ex-mari apprit ainsi l’existence de la famille officieuse parallèle à la sienne, partie de la vie de son père qu’il avait jusqu’alors complètement ignoré. Puis nous relisions Garcia Marquez sans voir une quelconque différence entre ce qui était écrit et ce qui venait de nous être raconté et comprenions sourdement que le « génie » de Garcia marquez ne serait peut-être rien d’autre que le génie des vies des personnes réelles que Garcia Marquez se serait contenté de raconter, de mettre en mots pour les mettre à jour. Un jour à Montevideo, nous eûmes l’occasion de rencontrer le père du père de notre futur premier mari à l’occasion d’un « chuccaredos » (sorte de brasserade) avant la retransmission d’un match de coupe du monde dans la maison du père de notre futur ex mari où se trouvait peut-être également le demi-frère du père issu de la troisième femme du père du père ainsi qu’ un poète cubain, là par hasard comme tous les poètes. Le père du père de notre futur ex mari se trouvait être un homme d’apparence assez simple et fatigué, parlant peu et seulement espagnol, mais il y avait là bien un homme ayant vécu selon la loi de ses désirs, raison pour laquelle les autres hommes présents le respectaient tel un aîné. Puis ils allèrent voir le match de foot et nous restâmes avec le poète cubain qui mesurait peut-être presque deux mètres et connaissait juste deux trois mots de français dans le jardin.
ce post a été initialement publié sur myspace
Le père de notre futur ex-mari, célèbre intellectuel d’Amérique Latine, connu pour un essai qui a marqué toute la gauche latino-américaine des années 70 nous expliquera plus tard, alors que dans un restaurant parisien à moins qu’une plage de Montevideo, qu’il avait choisi le cochon comme emblème parce qu’un cochon tel un écrivain mange tout ce qu’il trouve même les détritus. Nous ne sommes plus sûrs s’il avait rajouté que le cochon transforme tout cela en une viande rose savoureuse et l’écrivain en histoires ou textes ou si nous l’avons inventé depuis puisque sachant que le père de cet homme avait pour gagner quelque argent exercer le métier d’exportateur de viande de boucherie.
Comme tous les « fils de », notre futur ex-mari souffrait non pas de devoir se faire un prénom selon l’expression des biographies calibrées puisque son père avait choisi de porter en nom de scène le nom de sa seule mère et donc non celui qu’il avait transmis à son fils. Bref, notre futur ex-mari souffrait seulement des difficultés que peut éprouver tout bonnement un être humain à être le fils d’un homme ayant marqué toute la gauche intellectuelle d’un continent, ce qui constitue sur une existence naissante une ombre portée assez vaste pour émigrer vers un autre continent dans un pays où le nom du père est resté quasi-confidentiel. Cependant cette souffrance était assez paradoxale car par exemple notre futur ex-mari souffrit de ce que dans une famille aussi clanique que la notre, l’ « importance » de son père ne put être admise par notre propre père que par les dires du quasi-mari d’une fille d’une de ses sœurs dont le mari a un frère prêtre ayant œuvré toute une partie de sa vie avec les théologiens de la libération dans des bidonvilles au Brésil qu’avaient précisément visité la nièce et son quasi-mari dont ainsi les dires pouvaient être à peu près fiables. De la même façon, alors que nous avions emmenagé dans un petit appartement, rue de la présentation, à Paris, notre futur ex-mari ne comprit pas tout de suite pourquoi nous ne souhaitions pas que soit accroché au mur de notre nouvel appartement où nous commencions vie commune un poster de promotion des livres de son père, avec le nom de son père écrit en gros caractère, et ce a fortiori dans notre chambre à coucher. En fait, cette souffrance est peut-être plus commune qu’il ne peut être cru, puisque malgré les apparences médiatiques, nous sommes tous « des fils ou des filles de ». Ainsi, désirer « être reconnu par ou malgré le père ou la mère » alors que pères et mères cherchent eux-mêmes ce que peut vouloir dire « être père ou mère », ainsi l’expérience racontée où notre futur ex-mari et sa propre sœur regardant dans leur pays une émission de télévision où leur père interviewé et questionné sur le point de savoir s’il a des enfants, se met à parler de la fille de sa troisième femme dont il n’est surtout point le père. Ainsi nous sommes tous des « fils et filles » d’ « hommes et femmes » jouant tant bien que mal à la fiction des « pères et mères » de la même façon ou en réaction de ce qu’ils ou elles ont connu de la fiction proposée par leurs propres parents à leurs enfants c’est-à-dire eux-mêmes pour que se perpétuent et recommencent toutes ces histoires sans élucidation. Juste cette grande et fantastique tapisserie de fils.
Ou alors parce que tout cela n’avait pour nous presque pas d’importance ni signification puisque nous étions afférés à cette grande tâche du métier de vivre qui nous occupait et nous préoccupait entièrement sans que nous n’y comprenions goutte ou quoi que ce soit si ce n’est de la nécessité d’avoir de quoi tout en ne s’ennuyant pas de trop tout tant en prenant soin. Plus ou moins.
Bref, alors que nous avions commencé à nous intéresser à la littérature sud américaine et lisions cent ans de solitude de Garcia marquez, notre futur ex-mari s’était mis à nous raconter comme en résonnance aux écrits de Marquez les histoires du père de son père. Le père de son père eut pendant longtemps deux femmes, l’une officielle et l’autre officieuse. Le père de notre futur ex-mari était le fils aîné de la femme officielle et portait le même prénom que son père et que son demi-frère inconnu mais reconnu, fils mâle de la famille officieuse habitant dans la même rue mais un peu plus loin. Puis le père du père de notre futur ex-mari planta les deux familles et partit avec une troisième femme dont il eut un fils qu’il prénomma comme lui-même et ses deux premiers fils aîné. Pendant longtemps, le père de notre futur ex-mari crut que son père était parti avec un autre femme, une seconde femme, et n’apprit que lorsque lui-même déjà marié à une deuxième femme et ayant déjà une fille d’un premier mariage et une fille et un fils d’un second, l’existence d’un autre frère portant même prénom et nom que lui et ayant quasiment le même âge et ce par la bouche même de cette sorte de double existentiel qui souhaitait le rencontrer. Le père de notre futur ex-mari apprit ainsi l’existence de la famille officieuse parallèle à la sienne, partie de la vie de son père qu’il avait jusqu’alors complètement ignoré. Puis nous relisions Garcia Marquez sans voir une quelconque différence entre ce qui était écrit et ce qui venait de nous être raconté et comprenions sourdement que le « génie » de Garcia marquez ne serait peut-être rien d’autre que le génie des vies des personnes réelles que Garcia Marquez se serait contenté de raconter, de mettre en mots pour les mettre à jour. Un jour à Montevideo, nous eûmes l’occasion de rencontrer le père du père de notre futur premier mari à l’occasion d’un « chuccaredos » (sorte de brasserade) avant la retransmission d’un match de coupe du monde dans la maison du père de notre futur ex mari où se trouvait peut-être également le demi-frère du père issu de la troisième femme du père du père ainsi qu’ un poète cubain, là par hasard comme tous les poètes. Le père du père de notre futur ex mari se trouvait être un homme d’apparence assez simple et fatigué, parlant peu et seulement espagnol, mais il y avait là bien un homme ayant vécu selon la loi de ses désirs, raison pour laquelle les autres hommes présents le respectaient tel un aîné. Puis ils allèrent voir le match de foot et nous restâmes avec le poète cubain qui mesurait peut-être presque deux mètres et connaissait juste deux trois mots de français dans le jardin.
ce post a été initialement publié sur myspace
Commentaires
Enregistrer un commentaire