Les années 2010.



Souvent pour aller de mon village au village voisin, j'emprunte une route que mes parents désignaient par le terme de la « vieille route », terme qu'ils devaient tenir de personnes du village à une époque où dans le vieux bourg, il y avait encore le café épicerie LECOQ. Ce caractère « vieux » devait correspondre à l'époque antérieure à la construction de la quatre voie qui mène au Barrage de la Rance construit dans les années 60. Cette vieille route devait traverser majoritairement les bois des Ponthual, noblesse de l'ancien régime, chassée à la Révolution puis tentée d'être restaurée dans le chaos de la suite, noblesse qui ne devait son titre et ses terres qu'au dévouement d'un des leurs en tant que premier écuyer loyal d'un roi de France. Pour ce que j'en ai compris, l'histoire de France à ce niveau de proximité n'étant pas enseignée et transmise de façon sûre et consensuelle. Bref, sur cette vieille route, on perçoit encore ici la trace d'un moulin qui devait fonctionner avec une rivière qui devait être surmonté d'un pont qui apparaît encore dans les noms des lieux-dits, et là la présence des bois aujourd'hui quasi disparu alors que les biches s'obstinent à traverser encore les champs de blé ou de maïs. Ces dernières années, beaucoup de maisons ont été construites sur cette route, avec toujours cette interrogation en arrière plan de ma part concernant l'endroit où peuvent bien travailler ces personnes puisqu'il n'y a pas de boulot dans le pays mais j'ai fini par comprendre que ce n'était pas parce que je n'avais pas été foutu de trouver du boulot que personne n'en trouvait. Bref, je passe souvent sur cette vieille route et à force de passer et repasser, j'ai parfois discuté un peu avec le couple d'agriculteurs dont les terres longent le chemin. Ils ont une fille autiste et avaient un fils qui est mort. L'homme a eu un cancer, peut-être une leucémie qui est en rémission. Ils sont aujourd'hui à la retraite et produisent encore un peu sur un bout de terre, le tout entouré de fleurs qu'il me plait de contempler en passant. Ils louaient le reste de leurs terres à l'agriculteur qui fournit l'AMAP du village mais ne voulaient pas vendre leurs terres. Un jour, la femme m'a emmené dans la serre pour me donner des salades et des radis. C'est là qu'ils ont installé leur vélo d'appartement pour faire de l'exercice. Il y avait ce jour-là dans l'air une drôle d'odeur et elle m'avait expliqué que c'était ses nouveaux voisins qui avaient fait amener des bois ______ pour faire des barrières, je lui ai alors demander si c'est de là que venait l'expression ______________, mot et expression dont je ne me souviens plus du tout aujourd'hui. La dame ne savait pas parce qu'elle ne connaissait pas l'expression. Elle m'avait expliqué que chez ses nouveaux voisins, la dame et la fille « montaient », c'est-à-dire qu'elles « montaient sur des chevaux » , et elles se faisaient installer une petite (grande) aire pour faire joujou et sauter des obstacles avec leur monture, d'où la présence des bois ________. Elle m'avait dit que les nouveaux voisins étaient des anciens de chez LACTALIS. Je lui avais fait répéter parce que j'avais compris ACTHALYS et je m'entends encore lui dire « Ah, ouais, LACTALIS, ce sont ceux qui exploitent les paysans qui font du lait ! » Elle avait souri mais m'avait ensuite récité une leçon selon laquelle il ne faut pas être jaloux des personnes qui s'enrichissent par leur travail. Je me souviens de ne pas avoir eu la délicatesse de laisser tomber (personne n'a envie de se fâcher d'emblée avec ses nouveaux voisins) et je lui avais fait remarquer qu'entre gagner de l'argent en exploitant le travail des autres et gagner de l'argent par son propre travail, il y avait une différence. La conversation avait un peu tourné à l'eau de boudin, ce qui n'est jamais vraiment grave à la campagne puisque quoiqu'ils se disent, le soleil continuera de se lever chaque matin, les graines à germer, les oiseaux à chanter, les mammifères à se renifler les fesses et le sexe pour savoir s'il est possible de copuler et chacun aura oublié les âneries qu'il aura pu ânonner la veille. C'est pourtant bien ce monde-là qui serait en train de disparaître si personne ne fait gaffe.
Parfois, en passant, sur la « vieille route », je vois dans l'enclos aménagé quelqu'un sur un cheval qui passe les obstacles comme dans les compétitions sportives retransmises à la télé et je ne peux m'empêcher de trouver cela profondément ridicule et inopportun. Et de me souvenir vaguement de textes de Pierre BOURDIEU sur les stratégies de différentiation et distinction sociale.

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