Dans les années 90



Dans les années 90, j'étais allée au festival d'Avignon, ce devait être en l'an 92, l'année où beaucoup de pièces et de projets étaient tartinés du cinq centième « anniversaire » de la découverte des Indes par Christophe Colomb, soit le début des massacres des populations indigènes des Amériques. La compagnie d'Odile DUBOC, devenue Centre Chorégraphique, avait loué une chambre d'hôtel pour son administratrice afin qu'elle fasse du buzz et des rencontres. Comme cela avait été organisé au dernier moment, la chambre était dans un hôtel près de la place de l'horloge et devait coûter bonbon et pour cette raison, dans mon souvenir, j'avais été invitée à y aller si je voulais puisque je m'occupais peu ou prou de la diffusion des pièces. Quelque chose comme cela. Il me semble bien cependant que j'avais du payer moi-même mon billet de train depuis Paris. La chaleur était écrasante et je me souviens avoir imaginé la pub pour un déodorant que pourrait tourner le directeur du festival qui était Alain CROMBECQUE ou Bernard FAIVRE D'ARCIER (alors que le festival d'Automne était dirigé par Bernard FAIVRE D'ARCIER ou Alain CROMBECQUE). A l'époque, à la télé, il existait une pub où un type ou une nana se présentait et expliquait que, dans son métier, il se doit de rester toujours impeccable alors qu'il ou elle est soumis à rude épreuve au cours de sa journée tandis que défilaient des images de sa personne toujours souriante parlant à d'autres ou courant d'un endroit à un autre, etc.. la pub se concluait par une vision de la personne sortant de sa douche nue puis se vaporisant largement de déodorant. Le déo devait être peut-être de la marque FA. A l'époque, j'aurais trouvé drôle voire même smart, bien que je n'utilisasse point ce terme à cette époque, à l'époque, j'aurais trouvé drôle voire même smart qu'Alain CROMBECQUE ou Bernard FAIVRE D'ARCIER fasse de la pub pour FA : « Bonjour, je m'appelle Alain Crombecque, je dirige le festival d'Avignon et dans mon métier, je me dois de rester toujours impeccable. » On l'aurait vu en chemise dans la chaleur accablante d'Avignon, dans des répétitions, dans des conférences de presse, alpagué par des hordes hystériques de comédiens du OFF, etc.. Dans mon souvenir, j'étais aussi la seule à trouver cela drôle. A l'époque, étaient déjà évoquées la baisse ou stagnation de subventions de l'Etat et la nécessité d'élargir les sources de financement pour les structures culturelles et après une journée passée en Avignon, un partenariat public-privé avec un déodorant me paraissait une évidence.
Odile DUBOC et Françoise MICHEL logeaient à Aix où Odile avait dans les années 70 eu une école de danse « les ateliers de la danse » où elle avait notamment eu comme « élèves » Georges APPAIX, Bernard MISRACHI ou Madeleine CHICHE. Odile DUBOC et Françoise MICHEL logeaient à Aix où Odile DUBOC avait fait de la figuration dans des opérettes, avait eu un mari et peut-être deux fils dont l'un faisait la varappe et l'autre tenait un restaurant précisément à Aix. À peu près. Odile et Françoise logeaient à Aix et Françoise qui, dans mon souvenir, venait d'une famille pauvre et nombreuse de peut-être TOULON avait voulu voir la chambre d'hôtel qui coûtait si chère mais avait été déçue : « En fait, c'est surtout la localisation géographique, près de la place de l'Horloge et du palais des Papes qu'ils font payer, avait-elle du dire à peu près » et s'en était peut-être suivi une de leur interminable discussion entre elle et Odile sur « non, en fait, c'est le fait de réserver au dernier moment qui fait qu'une chambre moche peut coûter si cher », etc.. Sylvia et moi devions regarder nos pieds ou nous taire car nous savions bien que pour Françoise voire Odile, nous étions des petites nénettes à la vie un peu trop facile trop vite et que cela était possible pour nous grâce à leurs galères et leurs efforts à elles, antérieurs à tout cela. A peu près. Même si tout ceci et cela n'étaient pas d'une clarté lumineuse ou exprimés nettement dans nos esprits. Nos esprits aux unes et aux autres. Françoise devait travailler (la lumière) sur une pièce de Daniel LARRIEU si bien que seules Odile, Sylvia et moi arpentions les salles en soirée. Un soir, nous étions allée voir un spectacle dans une carrière désaffectée aux environs d'Avignon où un homme de théâtre français très connu dont le nom m'échappe s'était embourbé dans un projet de commande pour le cinq centième anniversaire blabla. Un autre soir, nous étions allée à la Chartreuse où Odile m'avait racontée venir principalement lorsqu'elle allait en Avignon. Le calme et la fraicheur du lieu contrastait en effet avec la chaleur et l'hystérie d' Avignon et lui seyait mieux. Nous avions vu la lecture d'une pièce d'une jeune auteur belge racontant à la JARRY les problèmes de la BELGIQUE contemporaine. La pièce s’appelait BELGICAE et était lue par François CLUZET et Marie TRINTIGNAN enceinte. C'est peut-être après cette soirée là que nous sommes allées boire un verre en Avignon sur une autre grande place que celle de l'horloge où il y a moins de monde et surtout pas de comédiens hystériques tractant. Là, nous avions discuté un peu de la prochaine pièce d'Odile qui s'intitulait provisoirement « projet de la matière » pour lequel elle devait « collaborer » avec un « plasticien » et j'avais du, telle une péronnelle, parler de l'échec d'un « dispositif scénique» existant dans sa pièce ultérieure intitulée « la maison d'Espagne ». Odile qui devait en avoir rien à foutre de ce qu'on pouvait bien lui raconter au sujet de son travail et de ses projets s'était énervée et m'avait dit qu'elle savait bien que j'avais eu des discussions avec un danseur nommé Vincent DRUGUET et que c'était pour cela que je disais ceci mais que par moi-même je ne pensais rien. Plus ou moins. Je me souviens que j'avais regardé Sylvia en comprenant qu'elle avait raconté à Odile toute une conversation que nous avions eu dans un restaurant à Belleville avec Vincent mais je me souviens aussi qu'au restaurant à Belleville, j'avais fait du pied à Vincent pour qu'il se taise lorsqu'il critiquait le dit dispositif baptisé « PALOMAR » sachant que Sylvia répéterait tout à Odile ce que devait pertinemment savoir Vincent qui en parlait ainsi à dessein. Ensuite, à Avignon, nous étions remonté de cette autre place assez lentement et silencieusement, Odile vers sa voiture et Sylvia et moi vers la chambre d'hôtel môche et cher avec un seul grand lit à partager. Nous avons croisé un couple de danseurs, des anciens de chez GALLOTTA, qui avait monté leur propre compagnie et que l'on verrait danser dans un film d'Anne-Marie MIÉVILLE. La fille est grande et toute en jambe et le garçon petit et rond avec une moustache et une barbe tel un diablotin du XIXe. Ils semblaient trés content de croiser Odile. Odile m'a présentée comme « Manu » puis leur a expliqué qu'elle voulait leur présenter son administratrice qui était en arrière, discutant avec d'autres gens ou étant allée aux toilettes et là, je me souviens parfaitement d'Odile dans la texture de la nuit avignonnaise disant « Manu, ce n'est rien mais Sylvia c'est mon administratrice. » Dans mon souvenir, je l'ai pris en pleine gueule comme un crochet du droit, j'ai du faire « OH ! » et je suis partie quasiment en courant à l'hôtel, peut-être les larmes aux yeux. Comme une mijaurée. Je me suis couchée. Puis, Sylvia et Odile sont rentrées et avec des voix toutes mielleuses disaient « manu, ohoh, manu ». Odile s'est assise au pied du lit et grattait le dessus de lit en minaudant et s'excusant. Je me souviens que je n'avais pas envie de parler, je voulais dormir et demain est un autre jour. Comme à l'internat. Comme chez les fous. Comme quand cela ne va pas. Comme cela va très bien. Je déteste le psychologique. J'ai du faire la grosse fausse. Je ne me souviens pas de ce qu'elles ont dit, ni de ce que j'ai pu dire. J'ai du percevoir de la joie dans la voix de Sylvia.
Aujourd'hui, je trouve qu'avoir été traité de « rien » qui ne « pense rien » par Odile DUBOC est en fait un grand compliment.

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