Louise et les chics types en stéréo, ou le bovarysme sifflera trois fois


Alors que les médias en français parlaient et dissertaient sur le feuilleton concernant le projet d'inscrire dans la constitution française la possibilité de « la déchéance de la nationalité » pour certains français qui ne le seraient qu'à moitié, Louise ressentait un malaise : « Sommes-nous revenu à une époque glorifiant le travail, la famille et la patrie ? », se demandait-elle avec angoisse. Elle se souvenait de sa mère lui racontant chanter à tue-tête « Maréchal, nous voilà » à l'école alors qu'une enfant. Louise chercha sur internet les paroles de la chanson :
« Une flamme sacrée
Monte du sol natal
Et la France enivrée
Te salue Maréchal !
Tous tes enfants qui t'aiment
Et vénèrent tes ans
A ton appel suprême
Ont répondu "Présent"

(Refrain)
Maréchal nous voilà !
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous, tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voilà !
Tu nous as redonné l'espérance
La Patrie renaîtra !
Maréchal, Maréchal, nous voilà !

Tu as lutté sans cesse
Pour le salut commun
On parle avec tendresse
Du héros de Verdun
En nous donnant ta vie
Ton génie et ta foi
Tu sauves la Patrie
Une seconde fois :

(Refrain)
Maréchal nous voilà !
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous, tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voilà !
Tu nous as redonné l'espérance
La Patrie renaîtra !
Maréchal, Maréchal, nous voilà !


Quand ta voix nous répète
Afin de nous unir :
"Français levons la tête,
Regardons l'avenir !"
Nous, brandissant la toile
Du drapeau immortel,
Dans l'or de tes étoiles,
Nous voyons luire un ciel :

(Refrain)
Maréchal nous voilà !
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous, tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voilà !
Tu nous as redonné l'espérance
La Patrie renaîtra !
Maréchal, Maréchal, nous voilà !

La guerre est inhumaine
Quel triste épouvantail !
N'écoutons plus la haine
Exaltons le travail
Et gardons confiance
Dans un nouveau destin
Car Pétain, c'est la France,
La France, c'est Pétain !

(Refrain)
Maréchal nous voilà !
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous, tes gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voilà !
Tu nous as redonné l'espérance
La Patrie renaîtra !
Maréchal, Maréchal, nous voilà ! »

« Cette chanson ne véhicule qu'une mystique d'homme providentiel où l'horizon de la mère Patrie s'est substitué à l'horizon de Dieu le Père !, se dit Louise. En fait, Vichy n'était peut-être que cela : un « brave homme » mis en scène par des idéologues « divinement surpris » de pouvoir enfin avoir les coudées franches pour mettre en œuvre leurs idées et supprimer la République ... »

Louise se sentait trop fatiguée et trop déconnectée pour penser plus loin. Elle n'était d'ailleurs pas sûre que cela soit ce qu'elle devait faire. « J'ai pensé ma part, se disait-elle, j'ai fait ma part, je dois maintenant respirer. »
Louise se souvint alors avoir écrit un poème intitulé « l'échéance de la déchéance » dix années auparavant, poème qu'elle retrouva imprimé sur des feuilles de papier reliées et sentant l'urine de chat :
Un jour, quatre garçons pas encore dans le sens du vent, décidèrent d'un commun désaccord qu'ils rédigeraient des partitions de sirènes. De cette quête musicale, ils en manqueraient le thème, la requête surgissant, conduiraient à l'enquête de leurs quarante mille mugissants.
Ce pourtant en faisant, ils découvraient les hypothèques que laissaient, malgré eux, les psychés en chemin. De ces entr'aperçu naufrages, actualisant les rivages et traduisant en familier les familiers abords, ils masquaient les récifs de lieux sans précipices d'où leur souvenirs d'enfants les réduisaient abondamment.
De ces récits formellement non épiques, programme d’œuvres pour la Saint-Maurice destinées à l'assourdissement des Marins afin que nul ne se déporte et qu'Ulysse reste prisonnier de ses cordes, nos quatre garçons en méconnaissaient les clefs de sous-sol. Entraînés par un désir dont ils cherchaient à capter l'héritage, ils en devenaient alors les esclaves, subtile modernité d'une vanité sans âge.
Et les sirènes se vengeaient, fredonnant des non musiques, les enchaînant définitivement à ce qu'ils désiraient achopper. « Qu'Ulysse nous défie et qu'unisse vous défie », murmuraient les lèvres des chœurs aux cœurs artificiellement vieillis.
Indéfinis devenus tels, ces garçons se virent naufragés sans mer, que nulle tempête ne soulagerait.
A-Fini, ils laissèrent l'abandonné ouvrage, Catimini, rédigèrent des testaments, vrai faux serment ; diamants, rubis, rébus, aventures suspendues, sarcasmes et négligeant.
Et les Sirènes, sans crier gare, décidèrent, nulle bagarre, que les Marins ne les intéressaient plus. Elles plongèrent dès lors dans un puits dont nul ne sait où il finit.
Des pluies d'orages décimèrent les embarquées, survient alors le mot fin d'une faustienne épopée.
De cette présente conférence dont le refus en consista longtemps le principal sujet, ne vous est livré ici que le tendre début, vous êtes épargné d'éventuels énoncés, quelconques, absconques conclusions, reste cependant la question : « alors dîtes-moi, êtes -vous en fin devenus des Hommes ? » »


Louise se souvenait bien avoir écrit ce poème mais il lui semblait aujourd'hui totalement étranger. Elle se rappela avoir entendu à la radio, un jour, un musicien raconter avoir questionné Pierre BOULEZ sur ses écrits et que celui-ci lui aurait répondu être bien incapable de lui répondre, qu'il avait écrit ces textes mais qu'il était un musicien. Louise en avait déduit qu'il devrait être possible d'interroger un musicien sur sa musique ou sur la musique mais pas sur des propos ou des écrits qui ne seraient qu'une traduction à un instant t de sa conception ou de son idée de la musique ou de sa musique.
« Mes poèmes n'étant pas publiés, je n'ai pas à faire face à ce genre de soucis ou de problèmes ! » se dit-elle. Louise éclata alors de rire et partit faire un jogging.

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