Les mythologiques : Jean et Renée LECUYER.




A la fin des années 60, nos parents habitaient à Villars sur Ollon. Notre père enseignait la littérature française et la philosophie dans un pensionnat suisse dirigé par un couple dont le mari avait fait ses études comme notre père ou Jacques CHESSEX au collègeSaint-Michel fondé en 1582 par des jésuites à Fribourg et dont la femme venait d'une riche famille italienne. Ils avaient racheté et l'ancien sanatorium et l'ancienne pension de jeunes filles où la femme avait étudié et voulaient faire un pensionnat moderne . « Moderne » était souvent un terme qui était employé pour dire d'abord « mixte ». Ceci bien sûr pour ce que nous en savons et avons compris . Mais il se peut que nous nous trompions.
Nos parents était logés. Après un appartement dans un grand chalet situé dans le village d'à côté soit Chesières, nos parent se sont vu proposer un chalet dans Villars même à la condition de le libérer l'été car y séjournait l'encadrement des groupes d'étudiants, le plus souvent américains, qui venaient pour des camps d'été. Le premier été, nos parents sont allés dans la ferme de la mère de notre père. S'y trouvaient également en vacances les deux jeunes sœurs de notre père qui avaient toutes deux des enfants à peu près du même âge et qui, d'après notre mère, étaient alors en rivalité et n'arrêtaient pas de s'engueuler ; notre Père ayant de son côté été embauché pour les travaux de la ferme comme au temps de sa jeunesse, nos parents ont pensé qu'il devait être possible de faire mieux comme vacances. Notre mère s'est souvenue qu'elle avait hérité de son père des terrains à Saint-Lunaire en France, et a donc demandé à sa mère vivant à Rennes des informations. Ensuite soit la mère de notre mère, soit nos parents ont trouvé une simple location à Saint-Enogat pas très loin de la maison de Juliette DROUET où était reçu notamment Victor HUGO et qui surplombe la plage où Lawrence d'Arabie faisait des patés de sable et moi mes premiers pas . Notre père est alors allé à la mairie de saint-Lunaire regarder les plans du cadastre et a trouvé les terrains. Il y avait un terrain dans le lieu-dit « la ville even » et un autre dans le lieu dit « la croix Mignon ». Les terrains étaient en friche. A la Croix Mignon, notre père a sympathisé avec les voisins jouxtant le terrain, ils lui ont prêté des outils pour défricher, et peut-être notre père a-t'il acheté des outils qu'il pouvait laisser chez eux. C'était un couple d'ouvriers agricoles qui travaillaient ponctuellement dans une ferme située dans le lieu-dit la Ville-au-Coq. La femme était gitane et plus âgée, peut-être de dix ans que l'homme :Notre mère disait qu'elle faisait « la maman » de l'homme plus que sa « femme ». Elle portait toujours sur la tête des foulards avec des petits écussons dorés accrochés. Elle avait le cheveu éparse et était presque chauve et ma sœur et moi n'aimions pas lui faire la bise car elle avait de la barbe. Elle avait un fils ou des petits fils qui venaient de temps en temps la voir : c'étaient eux « ses » hommes, il fallait la voir nous les présenter. Dans mon souvenir, ils vivaient en caravane en banlieue parisienne. Notre mère disait que ces gens-là sont le Quart-Monde et j'avais compris que le Quart Monde ce sont les personnes qui sont encore plus pauvres que le Tiers-monde. L'homme tel un chiffonnier ramassait toujours un tas de trucs dans sa carriole et, derrière leur maison, il y avait un gros amas d'un tas de machins dont notamment la carcasse d'une traction avant. Il faut rappeler qu'à l'époque les « ordures » étaient réunis et brûlés à ciel ouvert dans un dépotoir soit un simple terrain situé à l'entrée du village et sans aucune structure administrative ou clôture matérielle. La gestion des déchets était une question résolue plus ou moins au petit bonheur la chance. Jean Lécuyer , donc, allait souvent faire un tour au dépotoir pour y découvrir des merveilles qu'il entassait ensuite derrière sa maison où il habitait avec Renée.
Après avoir défriché le terrain de la Croix-Mignon, nos parents y sont revenus les années suivantes faire du camping. Ils ont aussi demandé à pouvoir en disposer légalement et la mère de ma mère ayant tellement peur de faire un impair a préféré couper en deux chaque terrain plutôt que de faire deux lots séparés. Ce qu'ont toujours regretté nos parents. Trouvant ridicule que chaque sœur hérite de deux petits bouts de terrain agricole plutôt que d'un grand terrain agricole chacune. Et surtout, nos parents aimaient leur autonomie.
Notre mère disait souvent qu' « au début, les gens les prenaient pour des fous ». Ils récupéraient et sans doute payaient 50 à 100 litres d'eau par jour dans des bidons et notre père avait creusé au fond du terrain une fosse à purin pour y jeter les excréments. Nous allions prendre des douches peut-être une fois par semaine dans les bains-douches de la plage de Dinard et notre père nous attendait au café. Puis nous rentrions en bus qui était bondé et notre père laissait toujours sa place à une vieille dame, ce qui avait le don de nous exaspérer ma sœur et moi puisqu'ainsi il était impossible de voyager à côté de notre père et de nous retrouver toujours avec une vieille inconnue à côté de nous. Puis nos parents ont fait installer l'eau.Puis ils ont construit un abri de jardin avec un évier et un chauffe-eau. Puis ils ont agrandi l'abri de jardin et ont installé une salle de bains.
La maison des voisins, les Lécuyer, soit Jean et Renée, était assez sommaire et n'avait pas de salle de bains. Il y avait à l'étage deux chambres, et au rez-de-chaussée une grande cuisine, des commodités soit des toilettes et une pièce où le type découpait des vieux journaux pour en faire des carrés de papier toilettes et avait installé son atelier car le type s'était soudain mis à peindre : de la peinture à l'huile et au couteau. Il peignait sur des assiettes ou des bouts de bois. Il a beaucoup reproduit la Vieille Eglise de Saint-Lunaire, la pointe du Décollé, puis il avait vu les reproductions de Monet que nos parents avaient installés dans leur abri de jardin et il en avait copié. Nos parents ont suspendu deux de ses assiettes dans le salon aménagé dans l'abri de jardin et la mère de notre mère lui en a acheté. Ils avaient un grand jardin potager qui jouxtait notre terrain et un poulailler où il nous avait une fois montré des poussins venant de naître. Ils donnaient souvent des légumes à nos parents qui leur donnaient aussi par ailleurs de l'argent et l'almanach Vermot que notre mère achetait chaque année en même temps que l'almanach du Pèlerin destiné à la mère de notre père. Jean Lécuyer nous avait donné un jour un lapin que nous avions nourri ma sœur et moi et qu'ensuite Jean Lécuyer avait tué et préparé pour notre mère. Et dans mon souvenir, à table, ma sœur et moi n'arrêtions pas de pleurer Jeannot lapin alors que nos parents nous trouvaient bien trop sentimentales puisque jeannot lapin était très bon. Il y avait aussi dans leur jardin un grand cerisier où nous étions allées cueillir des cerises un jour avec F. ma copine d'internat qui avait trouvé que ce mec, soit jean lécuyer, n'était pas net. C'est vrai que parfois, nous pouvions nous apercevoir qu'il était dans la haie à nous regarder avec un air plutôt hagard sans qu'il soit possible de savoir depuis combien de temps il était là mais le censeur de l'internat faisait cela aussi.
Un jour, ma sœur et moi avions réussi à entraîner notre père a joué avec nous. Nous avions des matelas pour dormir qui, la journée, étaient rangé à la verticale et ma sœur et moi jouions à nous mettre sur les tranches des matelas et faire comme si nous étions dans un avion à larguer des bombes soit les matelas, le but du jeu étant de tenir le plus longtemps avec le moins de matelas. Et de ne tomber qu'avec le dernier matelas. Donc un jour, nous avions réussi à entraîner notre père à jouer avec nous à ce jeu débile et nous rions tous comme des débiles quand tout à coup, nous avons entendu une voix fébrile « y a quelqu'un ? Y a quelqu'un ? » Notre père a rajusté sa mèche et ai allé voir : Jean Lécuyer lui demandait s'il avait besoin de lui ou je ne sais quoi. Notre père a parlé un peu avec lui puis jean Lécuyer parti, il nous a dit ensuite qu'il fallait arrêter de jouer et quand nous lui avons demandé ce que voulait Lécuyer, notre père a dit une chose puis en se marrant quelque chose comme « peut-être qu'il a du croire que j'abusais de mes filles et voulait savoir s'il pouvait participer à la fête . » et je me souviens parfaitement me « détacher » de la scène et me demander pourquoi est-ce qu'il disait des imbécillités pareilles.
Puis Jean Lécuyer est mort. Une autre voisine a raconté à ma mère et à mon père qu'alors René est partie tout de suite avec ses enfants ou petits enfants venus la chercher. C'est la voisine qui s'est occupée de laver le corps et elle a dit à mes parents que c'était vraiment horrible parce qu'il était vraiment sale. C'est la mairie qui s'était occupée de l'enterrement et qui avait fait rechercher sa famille à lui pour hériter de la maison. La voisine avait aussi nettoyé peut-être avec d'autres tout le fatras de trucs et de machins qu'il avait accumulé. Il y avait aussi un immense tas du magazine « Détective ». C'est à ce moment-là que mes parents ont appris que Jean avait été condamné en région parisienne pour attouchements sexuels sur des mineurs, que lui-même avait du être abusé dans son enfance, qu'à sa sortie de prison, il avait rencontré Renée et qu'ils s'étaient installé là dans cette maison dont il avait peut-être hérité .
Jean Lécuyer a été enterré dans le cimetière qui jouxtait notre terrain de la Croix Mignon, cimetière dans lequel nous allions jouer, ma sœur et moi, lorsque nous étions petites, à redresser les pots de fleurs tombés et traquer les lézards. Après la mort de Jean Lecuyer, ma sœur et moi, nous nous amusions à nous faire peur en disant à l'autre « oh regarde, c'est le fantôme de Lécuyer qui arrive du cimetière ! ».
Aujourd'hui, encore, je ne sais jamais trop quoi penser de cette histoire.

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