Josette, l'espionne rousse du réel : la journée de recrutement.
Josette
avait reçu un courrier de l'agence Pôle Emploi dire faire suite à
sa candidature à un poste de caissière dans un grand magasin de
bricolage et la convier à une journée de présentation et de
recrutement deux mois plus tard. Josette se méfiait, elle avait déjà
reçu des courriers lui disant faire suite à des rendez-vous qui
n'avaient pas eu lieu et Josette qui ne souhaitait entrer en
connivence de mensonges avec Pôle Emploi le leur avait fait
remarquer et avait eu droit à son lot d'emmerdes. Elle avait
toutefois renoncé à saisir un tribunal administratif pour faire
avouer ses mensonges à l'administration. Pôle Emploi est censé
s'occuper des chômeurs mais bien souvent ils occupent les chômeurs
avec des trucs et des machins. Josette était ainsi aussi allée
suite à une convocation à une réunion d'information pour une
formation sur le métier de réceptionniste. Josette avait peu à peu
compris que la réunion avait été l'occasion pour une jeune
« formatrice » de s'entraîner à parler en public, de
tenter de trouver des « clients » pour un organisme de
formation en quasi faillite, et pour les conseillers Pôle Emploi de
reprendre contact avec des chômeurs dont ils ne s'occupent pas afin
de remplir des fiches d'informations à leurs sujets . Mais cela
ne dérangeait pas Josette, chacun fait comment il le peut dans ce
monde de dingues ; Comme le disent si bien les beaux
esprits : « le problème n'est ni les chômeurs, ni
ceux payés pour s'en occuper, le problème c'est le chômage » .
A moins que la division du travail. Bref, en dix années de chômage,
entre un mois de plonge dans un restaurant et dix heures de cours de
mathématiques modernes, il était fort possible que josette eut
répondu à une offre de caissière dans un grand magasin de
bricolage. Josette se souvenait d'ailleurs avoir discuté plus d'une
année auparavant avec le propriétaire de l'ancienne quincaillerie à
l'entrée du village jouxtant le sien lorsqu'il avait liquidé son
affaire. Il prenait sa retraite et n'avait pas trouvé de repreneur
précisément en raison du projet d'installation de ce grand magasin
de bricolage, cela lui avait été un peu difficile à accepter
puisque la quincaillerie lui venait de son père qui la tenait de son
père qui lui-même la tenait peut-être de son père. Depuis, la
bâtisse de l'ancienne quincaillerie avait été rasée et
s'affichait un panneau vantant un projet de résidence en appartement
ciblant de futurs retraités urbains cherchant un point de chute.
Josette avait également lu dans les journaux locaux qu'un autre
grand moyen magasin de bricolage avait contesté l'attribution du
permis de construire du dit grand magasin. Josette qui régulièrement
s'y rendait pour acheter de la colle papier peint avait compris que
le grand moyen magasin de bricolage avait juste manoeuvré pour
gagner du temps, organiser au mieux sa liquidation, le départ des
salariés et vendre la marchandise qu'il ne renouvelait plus au
meilleur prix.Josette apprendrait d'ailleurs que le grand moyen
magasin et le grand magasin s'affrontant relevaient en fait du même
grand groupe. « A quoi bon savoir tout cela ?, se disait
Josette en lisant le courrier qui lui avait été adressée. Le
courrier précisait que l'emploi de caissière se déroulerait sur
une plage horaire allant de 9h00 à 21h00 avec un temps de travail
hebdomadaire de trente cinq heures annualisés, et devait s'y trouver
d'autres conditions pour exercer le poste comme energie,
disponibilité et écoute. Bref, si Josette était d'accord avec ses
conditions de travail, elle devait renvoyer un coupon comme pour les
invitations aux premières de théâtre en cochant la case « Oui,
je viendrais » et ce dans la semaine. Josette trouvait cela
hautement ridicule mais les dispositifs chargés de faire accepter à
chacun son exploitation économique sont de plus en plus sophistiqués
quoique de plus en plus grossiers. Et puis Josette cherchait du
boulot. Elle remplit le formulaire etle renvoya en écopli.
Deux
mois passèrent.
Le
jour J, Josette se rendit au rendez-vous. Après une heure et demi de
marche (en hiver, Josette n'utilise pas son vélo) Josette arriva au
théâtre d'un village voisin où, entre l'accueil de maxime le
forestier et les représentations de l'école de danse du coin, se
situait la première journée de recrutement du grand magasin de
bricolage. A l'entrée, se trouvait deux groupes de deux personnes,
l'un à droite, l'un à gauche, et Josette, peut-être paranoîaque
après une heure et demie de marche seule dans la nuit d'un matin de
février, flaira le dispositif « psychologique » (pour
rester poli). Elle s'arrêta net avec une tête interrogative et une
des minettes tenant les listes de noms dit « cela n'a pas
d'importance, c'est par ordre alphabétique » mais comme
Josette ne bougeait pas, une autre reprit « aller à l'un ou
l'autre groupe n'a pas d'importance » une autre personne
arrivant et se dirigeant vers un groupe, Josette alla vers l'autre .
Josette remarqua qu'elle était non pas en bas de la liste
alphabétique mais en bas d'une liste située sous la liste. Puis
Josette s'aventura dans l'entrée du théâtre et commença à sentir
les intrusions psychiques. A l'entrée de la salle, se trouvaient
trois personnes qu'elle salua et jugea être du staff du grand
magasin. Entrée dans la salle, elle s'assit à cour à mi hauteur.
L'allée centrale était presque pleine. Il devait y avoir environ
deux cent personnes. Une des trois personnes vint dire aux personnes
qui ne s'étaient pas assises dans les rangs du centre de se déplacer
et comme chacun se regardait en se demandant pourquoi, la personne
répondit qu'ainsi nous entendrons mieux. Josette était prête à
répondre que ce style de théâtre a été conçu contre les
théâtres à l'italienne pour que depuis chaque place l'acoustique
soit bonne ; mais Josette savait bien qu'il ne s'agissait que
d'affirmer une autorité. Josette et les autres s’exécutèrent en
râlant et s'installèrent ici et là et tout en haut où se
trouvaient certaines nénettes à qui il ne manquait que le fouet
pour compléter la panoplie de la wannabeamistress. Josette était
déjà épuisée par la connerie ambiante mais elle continuait à
croire qu'il devrait être possible de trouver un travail et gagner
un peu d'argent dans ce cadre.
Puis la réunion démarra, un
type brancha un ordinateur qui projetait son écran sur le grand
écran de la salle. Il parla de lui dans un micro et commença à
expliquer qu'il était célibataire et sans enfant : toute la salle a
commencé à rire et le mec a commencé à paniquer. Quelqu'un dans
la salle lui a demandé s'il lançait un appel. Le mec dans une
grimace de peur a dit que « non pas du tout, qu'il était très
bien avec qui il était »mais il a ensuite continué son speech
dans le même registre soit celui de la séduction ; le
capitalisme avancé n'en connaîtrait pas d'autres pour fonctionner.
Le type avait commencé comme vendeur dans cette même chaîne de
grand magasin de bricolage à peut-être Laval puis avait grimpé
dans la hiérarchie, puis avait déménagé dans une autre ville où
« il s'était éloigné de papa et maman » puis avait
continué à grimper et là il était devenu chef ou sous-chef des
ressources humaines. Josette écoutait d'une oreille, et pour ne pas
s'endormir avait sorti son carnet de croquis et dessinait la scène
et les gens du public. Il s'y trouvait surtout des femmes jeunes
entre vingt et trente-cinq ans, pour la plupart blondes et
maquillées. Josette avait déjà eu l'occasion de remarquer que le
réel est souvent beaucoup plus stéréotypé que les clichés s'y
rapportant. Le type montrait des écrans présentant le groupe dans
lequel s'inscrivait le futur magasin, la philosophie du groupe, le
poids du groupe, blabla. Une jeune femme traversa la salle pour
sortir puis revint quelques minutes plus tard. Elle fit cela trois
fois quasiment de suite et Josette se disait que c'est assez rare
d'aller trois fois aux toilettes de façon aussi rapprochée. Les
personnes de Pôle Emploi observaient la scène et la salle depuis le
bas coté de la salle. Puis une minette prit la parole, elle avait
travaillé dix ans chez Séphora en région parisienne comme
caissière puis peut-être chef caissière, elle serait notre chef si
nous étions embauchés , et elle voulait « une équipe
motivée, des filles pimpantes et maquillées » puis elle se
rattrapa en précisant qu'elle ne demanderait pas aux hommes de se
maquiller. Sur l'écran de la salle s'affichait la description du
poste non pas de caissière mais « d'hôtesse de caisse »
qui « veille à la satisfaction du client » et Josette
fût alors à deux doigts de demander quelle était dans leur esprit
la différence entre « une hôtesse de caisse » et « une
hôtesse de bar à cocktails », mais Josette se censura,
continuant à penser qu'elle pourrait avoir le job. La nana
expliquait les différentes étapes du recrutement et quelqu'un
demanda combien de personnes seraient embauchées. La nana dit avec
un sourire énorme « neuf ». Josette en contemplant les
deux cent personnes assises se rappela le film « on achève
bien les chevaux » . Ce qui fait que Josette ne comprit
pas si neuf postes étaient proposés aux deux cent personnes
présentes ou moins de neuf postes puisqu'il y aurait aussi des
recrutements interne au groupe. Josette demanda des précisions sur
les trente cinq heures annualisés à savoir quels horaires maximum
et minimum étaient possibles par semaine et ce faisant elle comprit
qu'elle n'aurait pas le boulot. La minette répondit ultra vite un
truc style « comme la loi le permet 35heures plus ou
moins schchouet pour cent » Le salaire était un tout
petit plus élévé que le SMIC plus intéressement et prime. Les
plannings d'horaires communiqués un mois à l'avance. Une nénette
demanda s'ils feraient du « paiement sans contact » et la
future chef des hôtesses de caisse fut un peu prise au dépourvu. La
nénette expliqua que c'était quand même l'avenir, ce que la future
chef ne désapprouva pas. Une autre fille demanda des infos sur le
costume et la future « chef des hôtesses de caisse »
expliqua chercher un modèle féminin de chaussures de sécurité.
Comme une des minettes 36-15 DOMINA assises juste derrière Josette
râlait au sujet des questions stupides qui étaient posées, Josette
ne put s'empêcher de demander si le poste serait plutôt assis ou
debout. L'ex Sephora debout répondit après hésitation « debout »
et la 36-15 assise s'écrasa. Après cette longue description
« participative »du poste, ceux et celles qui n'étaient
pas intéressées pouvait s'en aller et peut-être trente personnes
le firent.
Puis , une nénette de
Pôle Emploi vint nous expliquer les principes du recrutement par
simulation. Il s'agissait de placer les demandeurs de l'emploi en
situation dans des tests qui ont été élaborés en fonction des
compétences nécessaires au poste. Cette méthode permet une
première sélection de personnes par delà leur CV qui seront
ensuite reçus en entretien avec les chargés du recrutement pour le
grand magasin. Cette méthode permet de réduire le turn over et les
erreurs de recrutement. La nana raconta cela au moins cinq fois sous
différentes formes. Aurait lieu une première série de tests
l'après-midi qui sélectionnerait les meilleurs qui passerait une
autre série de tests la semaine suivante qui sélectionnerait les
meilleurs qui passeraient les entretiens deux semaines plus tard,
etc.. Josette s'inscrit à une session de tests et sortit pour aller
manger un sandwich au centre commercial le plus proche où elle
allait faire parfois ses courses. Dans les immeubles jouxtant le
théâtre , ou centre culturel, des mémés étaient à leur balcon
ne perdant une miette de toute l'agitation. « Qu'est-ce qui se
passe ? Hurla l'une d'entre elle à Josette » « c'est
un recrutement pour telle boite, leur répondit Josette »
« Ah merci ! »,
disaient les vieilles en retournant dans leurs intérieurs.
« ll faut bien donner à
manger un peu aux vieux », se disait Josette.
Au centre commercial,Josette
s'offrit un journal et un café et lui revinrent en mémoire
l'habitude de la pause de midi après la matinée de travail dans un
bureau et avant la reprise de l'après-midi et soudain elle trouvait
cela terrifiant et horrible.
Puis Josette passa la première
session des tests.
Dans une salle aussi longue
qu'étroite en largeur, était installée une grande table en U
autour de laquelle étaient assises peut-être cinquante personnes ;
nous aurions presque pu nous croire à un banquet si ce n'est que ce
qui nous était raconté n'avait rien de philosophique. Une dame de
Pôle Emploi donnait des instructions, des directives et des
indications quant à ce qui allait se passer dans le test que nous
distribuait deux de ses assistantes. La dame parlait si lentement que
josette luttait contre le sommeil et les deux assistantes semblaient
si nouilles que le désir de les secouer traversa plusieurs fois
Josette. Josette se souvint toutefois que les tests étaient censés
se passer en milieu stressant pour mesurer les capacités de sang
froid des candidats. La dame expliquait que le prochain exercice
concernerait le calcul du rendu de monnaie et josette se sentit
traversée par une tempête de haine, elle resta immobile,
presqu'accrochée à la table de peur de s'envoler ou de s'enflammer,
et le calme revint. Un exercice consistait à repérer dans une liste
de suite de chiffres et lettres comme par exemple 567890F5G
distribuée sur deux colonnes identiques, les erreurs soit les lignes
où les chiffres n'étaient pas identiques. Les exercices étaient
chronométrés. Il y avait aussi des QCM relatifs à des situations
de travail et josette trouvait certaines questions mal posées comme
par exemple :
« il vient vous voir :
1) vous lui demandez s'il veut de l'aide puis continuer votre travail
2)vous discutez avec lui en restant dans votre rayon, on ne sait
jamais un client pourrait arriver 3) vous allez en pause avec lui »
et dans cette question, Josette trouvait que le « il »
n'avait pas été défini et que par conséquent il n'était pas
possible de répondre. Beaucoup des questions semblaient ainsi
grossièrement ambigues à Josette et elle comprit peu à peu que les
QCM avait aussi une dimension de test psychologique à plus ou moins
grosse ficelle. Après un exercice concernant le calcul de fonds de
caisse, ce fût alors le test de communication écrite : Grosso
modo, le patron en congé vous avez communiqué un courrier de la
direction commerciale du groupe donnant des directives de placement
de produits dans le magasin, de promotions sur les prix et d'autres
bons de cadeaux à distribuer, le tout assorti d'un calendrier et
vous deviez rédiger le courrier que vous adresseriez à votre
collègue, plus âgée était-il précisé, pour le lendemain, jour
où vous serez vous-même en congé. Josette avait rédigé d'une
façon qui lui avait lumineuse une note disant « chère
machine-truc, trouves ci-joint le courrier de la direction
commerciale du groupe avec les directives.Pour info, 1) OK 2) OK 3)
OK 4) pas fait (n'ai pas assez d'expériences et le calendrier le
permettait 5) bons d'achat arrivés et en place. Bonne journée ! »
Josette posa son stylo et s’aperçut que les filles et le garçon
dans la salle en rédigeaient des tartines. Josette se disait que
cela était sans doute du à un manque d'expérience du travail en
équipe , mais surtout Josette ne parvenait même pas à
imaginer ce que les personnes pouvaient bien écrire. Après un temps
interminable où josette put observer les assistantes de la dame de
pôle emploi s'y reprendre à quatre fois pour compter et corriger
les formulaires des exercices précédents, Josette sentit à nouveau
un vent de haine accompagné de la phrase « nous sommes en
concurrence » et là, josette parvint à dire intérieurement
« non , mais çà c'est de la blague » et la haine
disparut. Puis, l'exercice terminé, la plupart des filles dont le
garçon discutaient et échangeaient sur ce qu'ils avaient écrit
dans cette note et josette pensa aux personnes qui aiment bien après
la baise parler de la baise qui est passé(e). Heureusement, Josette
était à un bout de la table du banquet et elle parvint par un
sourire rapide et une plongée dans son sac à échapper à
l'exercice de ce style de conversation avec sa voisine de droite.
Puis, c'était la fin du test, les personnes qui seraient convoquées
pour la deuxième journée de tests seraient prévenus par téléphone
et Josette demanda si ce serait le même genre de tests, la dame de
Pôle emploi dit qu'il y aurait plus de mises en situation. Puis,
pressentant qu'il n'y aurait pas de seconde journée pour elle,
Josette repartit pour une heure et demi de marche avant de retourner
à sa maison. Jamais elle ne se sentit si heureuse de retrouver ses
chats. Il lui fallut ensuite attendre deux ou trois jours pour
retrouver toutes ses capacités physiques et mentales.
Commentaires
Enregistrer un commentaire