Dans les années 80 (suite)


Dans les années 80, nous allions travailler l’ été dans un grand magasin à Genève pour nous faire quelque argent de poche et vivre des situations et des expériences. Nous logions au foyer de la jeune fille internationale à moins que le foyer international de la jeune fille. Puis, B. amie de notre sœur, nous avait proposé de venir habiter avec elle dans un des nouveaux squats qu’elle avait intégré et où le couple de ses colocataires partaient en vacances.
Les squatteurs genevois étaient organisés et expérimentés, leurs actions étaient politiques, beaucoup de logement étaient vides à Genève, leur idée était de faire constater que l’état des logements, de les occuper, des les habiter, éventuellement de les réhabiliter, de payer des loyers modérés afin de faire la démonstration de la possibilité de faire vivre toute une population dans ses logements requis traditionnellement pour la spéculation immobilière et ce sans problèmes sociaux ou de voisinages. Ils pouvaient alors obtenir des baux de confiance où en échange de loyer modeste et de prendre soin des immeubles, les squatteurs pouvaient habiter les locaux tant que les propriétaires n’avaient de projet immobilier. Les débuts des squatts étaient une période de bras de fer juridique. Les squatteurs pouvait rencontrer une solidarité de locataires proches ou internes aux immeubles en leur évitant leur prochaine expulsion.
Cependant, comme chacun sait, cependant, la réalité est bigarrée et complexe, et rien n’est tout blanc. Les alternatifs n’échappaient pas aux règles, atermoiements et paradoxe de toute « organisation » sociale. Ainsi, le garçon du couple qui partaient en vacances et me sous-louait leur chambre avait insisté pour me présenter à une réunion du comité l’organisation du squatt afin d’expliquer ma présence au cours du mois suivant dans l’un des immeubles squattés, ce que puisque curieuse des organisations alternatives, j’avais fait volontiers. Ce dont je me souviens pourtant de cette réunion est ceci : il fût question d’un ancien habitant du squatt qui s’était fait virer et qui leur avait écrit une lettre pour leur dire ce qu’il pensait d’eux. La lettre fût lue à haute voix. L’homme devait avoir une trentaine d’années, il avait été dépendant aux drogues dures, suivait un programme à la méthadone. Lorsque les organisateurs du squatt s’en était rendu compte, ils lui avaient demandé de se trouver un autre logement afin de ne pas donner de crédit au propriétaire qui cherchait tous les vices de formes et les vices des squatteurs pour les faire virer manu militari. L’homme leur avait fait remarqué qu’il n’était plus toxicomane, qu’il suivait un programme à la méthadone et également de réintégration sociale. Nenni, nenni, trop risqué, trop exposé. L’homme leur expliquait dans son courrier qu’il pensait que ces squatteurs étaient exactement comme ceux qu’ils croyaient combattre, voire même pire puisqu’ils se pensaient différent. Le garçon qui avait quand même eu le courage de lire cette lettre à haute voix, se sentait gêné, expliqua à haute voix qu’ils avaient trouvé une tente, une place de camping et avait proposé à l’homme à la méthadone de lui payer un mois d’emplacement, ce que l’homme à la méthadone avait décliné. Une personne dit alors que c’est comme cela, qu’il ne fallait pas culpabiliser. Quant à moi, j’avais une envie de dégueuler extrêmement profonde qui commençait à m’assaillir et à la sortie de la réunion, je m’étais sentie sale et dégueulasse et ne suis plus jamais retournée à ces réunions, bien que bénéficiant des œuvres de ce comité puisque résidant dans le squatt, ne fût-ce que passagèrement.
Puis au cours du mois suivant, il y eut beaucoup de passages dans l’appartement de B. : ma frangine et sa bande de parigots, des québécois, peut-être même un argentin. Un des membres du comité de l’organisation du squatt qui avait une mentalité de petit chef équivalente à celle de ceux que je pouvais croiser officiellement parmi les chefs-vendeurs du grand magasin où je gagnais quelque argent de poche afin de vivre quelques situations, bref ce garçon avait besoin de fliquer, de demander aux personnes qui entraient dans le squatt ce qu’elles faisaient là, pourquoi il n’avait pas été informé, etc… La paranoïa de ce membre du comité était aussi, bien sûr, justifiée, bien sûr, par le bras-de-fer juridique qui se jouait pour la pérenisation du squatt, cependant il était difficile de faire le tri dans l’attitude de ce garçon entre sa propre jouissance à faire le flic et son réel discernement quant aux risques. Donc, ce membre du comité de l’organisation du squatt avait essayé de briefer B. qui avait du lui répondre que tant qu’elle ne mettait pas le feu à l’immeuble elle ne voyait pas trop ce qu’il pouvait lui demander au sujet de ce qui se passait chez elle. Les différents milieux sociaux quoique différents en apparence se ressemblent plus qu’il ne pourrait être cru, la différence serait de proportion, d’infimes dosages statistiquement tenu pour négligeables …
Ma frangine m’avait déjà expliqué à sa façon le paradoxe des squatteurs genevois. Elle était sortie avec un mec qui vivait dans un des squats derrière la gare. Le chéri de ma sœur était musicos, français, d’une trentaine d’année et marginal. Le paradoxe de ces squats, selon ma frangine,  était la mixité sociale entre des marginaux, des familles modestes, d’étudiants à la recherche d’un logement et d’ étudiants de bonne famille se disant de gauche radicale. D’après ma sœur, ces personnes-là ne pouvait se mélanger que superficiellement, entre les marginaux par choix de vie, les parents soucieux des conditions données à leurs enfants et les étudiants allant prendre des bains et nettoyer leur linge chez leurs parents, il ne pouvait y avoir de relation profonde. Cependant, sous de discours de réalités sociologiques bien classées, se trouvaient des réalités, des expériences, des personnalités, des parcours, des instants  divers, des confrontations complexes.  Ma frangine m’avait aussi raconté l’expérience d’un squatt qui avait fait l’expérience d’une vie communautaire d’extrême gauche où rapidement plus d’un avait pété les plombs d’avoir à tous manger ensemble, d’avoir à dire où ils étaient s’ils arrivaient en retard, bref, d’avoir à revivre dans leur chair la possible dérive totalitaire des idéaux communistes appliqués à la lettre.
Pourtant ce que nous apprîmes par la suite était que déjà se dessinait le monde préfabriqué où quelques individualités sociales mises en scène par les médias au prix de la somme des résignations apparentes des autres et qu’ainsi les projets culturels alternatif deviendraient surtout des projets d’animation culturelle et sociale parfaitement intégrés au plan urbain de containement social ou de construction de pyramides. Pourtant ce que nous apprîmes par la suite de la suite fût bien plus paradoxal et inattendu que ce que nous avions bien pu imaginer même dans nos pires rêves ou meilleurs cauchemar. Complètement  unexpected ! Bienvenue.

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