Puisque tu as lu le Libé de ce week-end, est-ce que tu peux
m'expliquer la phrase prononcée par une professeure d'université à
Chicago « Les femmes n'obtiendront pas l'égalité
salariale en continuant à subir l'affront de devoir céder la
propriété de leur propre corps à des hommes de pouvoir. » ?
Oui, alors euh … Je ne comprends pas vraiment ce que vient fiche
la problématique de « l'égalité salariale » là-dedans
qui reste un problème pour moi secondaire puisque s'inscrivant dans
un système économique de toutes les façons inégalitaires ….
les hommes de pouvoir qui violent des femmes ne le font pas pour
faire la nique à « l'égalité salariale » mais pour
faire la nique à l'égalité entre les êtres humains, soit « je
te viole parce que tu n'es pas un être humain comme moi et que tu
dois être à mon service », c'est beaucoup plus grave qu'une
simple différence de salaire.
Ben, justement c'est exactement le problème dont parle avec
justesse la IACUB. Tant que les femmes se considèrent comme des
marchandises, la société ne peut pas avancer vers l'égalité
hommes-femmes. Bon, elle le dit beaucoup mieux que cela.
Je ne comprends pas.
Ce que je comprends c'est que le problème de l'inégalité des
salaires est hétérogène aux inégalités entre hommes et femmes.
Je ne comprends toujours pas.
Ben, si tu veux, la répartition des rémunérations est de toutes
les façons injuste, ce n'est pas comme si la seule injustice
concernait la différence entre les hommes et les femmes. Par
exemple, les personnes qui bossent à la télé gagnent beaucoup
trop d'argent, elles ont ainsi tendance à se prendre au sérieux
alors que d'un certain point de vue, elles n'apportent pas grand
chose à l'humanité et produisent beaucoup trop de CO2
contrairement aux agriculteurs bio ou équivalent par exemple...
Moi, je ne suis pas d'accord avec la IACUB, les mecs aussi peuvent
jouer à être des marchandises à acheter, c'est d'ailleurs un peu
le problème de nos sociétés traversées par une crise écologique
sans précédent : tout le monde parmi les chacuns et les
chacunes jouent à être la marchandise à acheter et personne ne
joue à la nature qui produit gratuitement tout un tas de trucs sans
pesticides !
Dans tous les cas, moi, si j'ai envie de faire l'amour avec un
homme, je ne considère pas que je lui cède la propriété de mon
corps.
Tu proposes quoi alors ? un viager ?
Arrête de te fiche de moi. Je ne comprends pas cette représentation
où la femme parce que pénétrée disparaitrait. Pour reprendre tes
métaphores à deux balles, quand tu rentres dans une maison,
celle-ci ne s'écroule pas sur toi !
Il peut même arriver que ce soit celui qui pénètre qui
disparaisse ..
Mais dans tous ces cas-là, nous sommes dans des trucs faux, des
arnaques de part et d'autre. Comme nous sommes gavés de
représentations, on peut croire longtemps qu'on a fait l'amour
alors que l'on ne l'a toujours pas fait, on peut croire qu'on avait
du désir alors que précisément c'était « on » qui en
avait et « on », on ne sait pas qui c'est …
moi, je dirais pour parodier BECKETT : « Qui baise ? Qui
baise qui ? Peu importe qui baise... »
je ne suis pas d'accord.
Alors je ne sais pas si cela rejoint vos préoccupations, mais dans
le même journal, il y a un type critique de cinématographe
américain, Todd Mac Carthy, qui raconte qu'il a aimé le pouvoir du
cinéma à explorer et éclairer la sexualité et les comportements
humains mais qu'il faut pouvoir aujourd'hui considérer toutes ces
oeuvres d'un autre point de vue. Or pour moi, le problème n'est pas
celui-là, le problème est que cette exploration était toujours
faite du point de vue du corps masculin. Les femmes ne produisaient
pas de films.
Ouais, enfin, c'étaient bien elles qui avaient raconté des
histoires aux réalisateurs ou aux producteurs quand ils étaient
gamins afin de les endormir, alors l'un dans l'autre …
Mais, tu voulais dire quoi ? Que quoiqu'il en soit, la façon
dont les femmes vivaient leurs corps et le monde a été écrasée
par les représentations que les hommes en ont donné pendant près
d'un siècle dans les images animées, c'est cela ?
Je ne sais pas. Peut-être.
Ben, en littérature, c'est un peu pareil, y a pas vraiment de
femmes qui ont écrit des trucs à la façon de MONTAIGNE ou de
ROUSSEAU. Bon, t'as bien La SEVIGNé qui parle à sa fille ...mais à
part, elle …
En poésie, la Louise LABBé est une farce de Clément MAROT et ses
potes !
J'ai regretté que Louise BOURGEOIS meurt au moment où elle
commençait à aborder la question de la représentation de la
maternité parce que bon, la gentille CAMILLE qui nous parle d'elle
en fontaine de lait dans une chanson, cela ne m'intéresse pas
vraiment...
C'est parce que t'es tordu(e)...
Peut-être, de toutes les façons, je me considère « out »
désormais. Par exemple, dans le film « Blow up », à un
moment, le photographe revient à son studio après du boulot ou je
ne sais quoi et il y a deux petites starlettes qui voudraient qu'il
les photographie. Bon, le mec n'a pas envie du tout de bosser et il
se dit qu'il va s'amuser, il les chatouille un peu violemment mais
ensuite ils rient l'un avec les autresses plutôt de bon cœur
puisque le désir des starlettes était ridicule. Dire que le film
Blow up véhiculerait là « une culture du viol »
est un peu réducteur, le film Blow up interroge précisément
« la représentation », son rapport au réel, son
pouvoir et ses impuissances...
On en revient toujours à la même question, pourquoi la mère de la
jeune fille avait amené sa fille à POLANSKI sur un plateau ?
Parce qu'elle croyait qu'il était un grand artiste.
Non, parce qu'elle croyait au pouvoir de l'art et voulait que sa
fille y participe …
C'est dégueulasse ce que tu dis … La mère de la jeune fille
était aliénée par des discours majoritaires de la société dans
laquelle elle vivait et tentait d'exister tout en espérant le
meilleur pour sa fille… Si je suis ton raisonnement, les parents
des enfants de choeur qui se sont fait violer par des prètres
pédophiles seraient alors coupables …
Je ne crois pas. L'Eglise catholique véhicule une parole et une
promesse. La société de consommation ne promet rien.
Si, du confort !
C'est bien ce que je dis : rien !
Oui mais alors le cinéma ? Il véhicule quoi ?
Ben, justement du cinéma …
Mais c'est quoi « la culture du viol » ?
Ben, moi, en tant que femme, je dirais que la culture du viol c'est
cette idée que l'on t'immisce dans la tête dès que t'es enfant
selon laquelle il serait normal qu'une femme se fasse violer et donc
que tu dois faire avec, c'est-à-dire avoir des comportements qui
t'éviteront de te faire violer et que tu dois avoir peur de te
faire violer. C'est un conditionnement social. Quand j'étais
petite, dans mon souvenir, je n'ai jamais vu une fiction à la
télé, où une meuf filait un coup de poing à un mec qui essayait
de la violer, lui riait au nez en lui fichant un coup de pied dans
les couilles, ou je ne sais quoi encore... Or c'est la peur qui
excite ce genre de mecs !
Bon, essayons de nous poser les bonnes questions : Y a t'il une
si grande différence entre le désir des hommes et le désir des
femmes ?
Ben, ils n'ont pas le même corps et les mêmes attributs.
Oui, mais en disant cela, tu n'explores pas ma question, tu la clos.
Or tout outil est un potentiel d'usages.
Bon alors, réfléchissons, reprenons cette séquence de « Blow
up » dont tu nous a parlée et inversons en les genres. Je
suis une femme photographe célèbre, je rentre à mon studio et
deux éphèbes m'attendent à la porte désirant être photographiés
par moi pour booster leur carrière. Je suis fatiguée, j'en ai rien
à fiche, je ne les connais ni d'Eve ni d'Adam, je me dis que je
vais m'amuser et je joue de mon autorité d'artiste reconnue pour
les faire se déshabiller et me montrer leurs fesses et leurs sexes.
C'est cela ?
Ouais, mais tu es obligée d'admettre que si les mecs font 1m 90 et
100 kg chacun, tu feras peut-être moins la maligne...
Bah, si je suis une femme mûre, cela pourra peut-être
m'intéresser...
Tu es dans le cliché...
Oui, c'est vrai... je te l'ai dit, je suis out.
Moi, je dis « le type critique de cinématographe Todd HARRIS
est un voyeur, il dit qu'il a aimé le pouvoir du cinéma d'explorer
la sexualité humaine, il ne dit pas qu'il a aimé explorer par
lui-même la sexualité, ce n'est pas du tout la même chose ... »
Oui, il ne faut pas oublier que Alfred HITCHKOCK était sexuellement
impuissant...
Oh, là là là, c'est compliqué.
Pas vraiment en fait : la femme est un être humain au même
titre que l'homme, aussi bête et intelligente que lui, aussi
ignorante et savante que lui, aussi sensible et insensible que
lui...
Oh, là, là là c'est compliqué...
C'est bien pour cela que j'estime pour moi qu'il est tant de prendre
ma retraite.
Pourquoi, n'es-tu pas déjà retirée du monde et de ses affaires ?
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