Josette, espionne rousse du réel.


Josette était ce samedi sur le marché de Dinard afin de se trouver du lait cru, des œufs et des légumes tout en jetant un œil sur les bouquins bradés des bouquinistes et les habits déstokés des soldeurs quand elle entendit une femme dire à une autre que « sa fille était en licence pro de médiatrice culturelle ». Une sorte de haut le cœur avec vision d'un avenir noir et autoritaire submergea Josette qui dut respirer et réentendre la musique des marchands alpaguant le chaland avec leurs mensonges gros comme des camions « allez, on y va, les filles, tous les pulls à dix euros pièce, à ce prix-là avec cette qualité, c'est donné ! » pour retrouver pied. Josette n'avait aucune idée de ce que proposait le contenu de cette formation de « médiateur culturel » mais elle éprouvait pour le moins un mauvais pressentiment. Elle avait vu à l'oeuvre ce qui se nommait désormais couramment un « médiateur » dans les expositions d'art (Cf. un épisode précédent) soit une jeune fille gueulant sur deux autres imbéciles en leur expliquant ce qu'elles devaient voir dans ce qu'elles regardaient et josette y avait vu la négation de ce qu'est l'art soit une aberration protéiforme advenant dans le réel qui parfois peut trouver place dans la réalité sociale afin d' y être vue et de réfléchir sur sa surface des formes ou des spectres concernant le spectateur qui regarde. Une expérience personelle. Pour ce que Josette en avait compris le « médiateur » est formé à tuer la puissance de l'art, le médiateur c'est la grille derrière laquelle se trouvent les animaux du zoo. Avec ces médiateurs, plus personne ne pourra se faire irradier par les œuvres tel, caricaturalement, cet Antonin ARTAUD traversant au pas de charge une des premières expositions réunissant les oeuvres de VAN GOGH à Paris puis écrivant dans la fièvre reclus chez lui son ouvrage sur le suicidé la société. Une œuvre peut mettre du temps à parler à quelqu'un … et sans doute, encore plus problématique, avec de tels médiateurs, ce sont les oeuvres elles-mêmes qui disparaitront des espaces d'exposition pour laisser place à des ertzaz lisses, convenus et convenables, univoques ...
Bien sûr, dans les années 80, Josette avait été attirée par ces métiers qui se trouvaient « à côté » des oeuvres et des artistes, mais à l'époque il n'existait pas de formation spécifique à ces métiers, les uns et les autres pour ce qu'elle en avait compris se formaient sur le tas ; ce qui plaisait à Josette. Alain CROMBECQUE avait été attaché de presse comme Claude CHABROL ou Bertrand TAVERNIER, Jack LANG s'était improvisé directeur de festival à Nancy, Agnès VARDA avait été rattachée au service photo du service de presse du Festival d'Avignon. Josette, elle-même, avait rencontré l'un de ses personnages haut en couleurs quoique relativement confus à l'oral qui avait été peu ou prou chef du service de presse du festival d'art lyrique d'Aix-en-provence et s'occupait également des documents du service de presse de la Biennale de danse de Lyon, peut-être son nom était-il Michel LEUCAT, à ne pas confondre avec Michèle LUQUET qui s'occupait, elle, des bals et de la mémoire vidéo des spectacles montrés, blabla, etc.. bref, des personnes ayant suivi une haute formation en lettres classiques voire modernes depuis laquelle ils regardaient ce que ces messieurs dames, metteurs en scène ou chorégraphes, leur offraient à voir sur les scènes de théâtre, de danse ou d'opéra. De la même façon qu'un Serge DANEY, depuis sa formation philosophique, regardait et commentait ce qu'il voyait sur les écrans de cinéma puis les écrans de télé. Des spectateurs consentants et éclairés. Mais dejà dans les années 80, les choses commencent à changer, l'argent de l'État deversé modifi5ait la donne, la conquête de l'Ouest était terminée. Un des anciens directeurs de « la Route du Rhum » qui est une compétition de bateaux et de marins sur la mer mais aussi un spectacle pour les badauds sur les quais, un des anciens directeurs de « La route du rhum » le résumera, lors d'un procès, en une expression sybilline évoquant l' « époque à la gestion romantique pour ce genre d'événements », gestion financière mais aussi gestion du personnel qui engendrait une faune bigarée où se cotoyaient escrocs et saints sans grand problème de cohabitation … Ce monde-là a, selon Josette, agonisé dans les années 90 pendant lesquelles les industries culturelles ont pris la main. Bien sûr, Josette comprend le monde à son échelle d'individu dans son parcours singulier de personne et ce serait aux historiens de raconter l'objectivité des faits, la réalité des chiffres d'affaires et des masses salariales, blabla, et peut-être que le monde de l'art n'est que cela, un territoire où se retrouvent moribonds et poules sans tête continuant à courir, quelque soit le contexte économique et social, quelque soit l'époque, peut-être que le monde des arts n'a toujours été que cela, un combat entre des œuvres et des non œuvres, entre des êtres et des non-êtres, combat sans cesse réactualisé dans ses formes et ses territoires mais Josette avait des doutes sur l'époque contemporaine. Il ne semblait plus évident pour la majorité d'entre nous parmi les autres qu'une œuvre d'art est un diamant, une boule à facettes qui dépasse complétement et son époque et son auteur et surtout les intentions de ce dernier… comme le rappelle avec justesse la doctrine de la propriété littéraire et artistique «  les idées sont de libres parcours » et ce sont les mises en formes qui font les œuvres. Ce sont les formes qui font les œuvres. Et il n'est pas question là d'élites ou de sous-humains, de genres ou de sous-genres, il est question de réception et d'émission. Chaque être humain voit et fait depuis ce qu'il est, a fait, vécu,vu, lu, entendu. Il est possible de leurrer le regard de quelqu'un mais une œuvre d'art dans son immobilité en se représentant régulièrement à quelqu'un peut aider à lever des voiles, à déjouer discours ou mauvais sort jeté. Une œuvre de cinématographe tel le film blow up à la différence d'une pièce de théâtre n'est pas réinterprétée par un tiers lorsqu'elle se représente aux yeux d'un spectateur en 2017. C'est formellement le même film donné à voir, offert à l'interprétation en 1966 qu'en 2017, comme le sont les œuvres de peinture, ou les textes de littérature. « J'ai mis longtemps à aimer ce film que je n'ai pas revu récemment. disait Josette, J'ai du le voir enfant et je ne l'avais pas aimé. Pourtant, il y a quelque chose d'étrange dans le film qui fait que même si quelque chose rebute, il n'est pas pour autant que nous allons cesser de le regarder. C'est parce que « blow up » est passé plusieurs fois à la télé où j 'ai pu le voir par hasard que j'ai appris à l'aimer. Un tel chemin serait-il possible aujourd'hui ? J'ai des doutes ... » Le film, d'après Josette, parlait précisément du problème de la représentation, de ce qui est donné à voir, de ce que l'on croit voir, de ce que l'on aurait pu voir, du délai de la naissance des images qui coïncidait à l'époque avec la technique de la photographie argentique, du problème du témoin, de quoi faire avec le savoir, mais pas que.. c'est une grande forêt. Pour Josette, le film se termine sur une note optimiste du désir de croire à un monde possible et partagé avec d'autres, une illusion coconstruite dirait- « on » en 2017. Mais chacun peut y voir autre chose ... par contre vouloir condamner l'oeuvre « Blow up » afin de la rendre invisible au nom d'une perversité qu'elle véhiculerait semblait pour josette une profonde régression dans la pensée des êtres humains, une « panique morale » comme dirait certains ou certaines, panique de mauvaise aloi pour les êtres humains. Refus de l'équivoque.

Josette en était là lorsqu'elle lut quelques jours plus tard dans un court article du journal LE MONDE que le gouvernement critiquait une analyse du futur proche du pouvoir d'achat des français réalisée par l'INSEE en déconstruisant la modélisation et les critères retenus pour la bâtir. Josette fût rassurée. « Voilà où se situe la bataille des représentations. Voilà où se situe une bataille de représentations. Tant que cela existe, le fascisme et l'autoritarisme s'éloigneront. »  Elle voulait y croire. « De toutes les façons, cela nous change du mauvais théâtre de boulevards voire de grand guignol que nous jouait la majorité précédente. Au moins, désormais, les techniques de mesure et de quantification des représentations statistiques sont interrogées, la dictature de l'émotion est terminée, le maquillage du réel pour remplir les critères de mesure de la réalité officielle construite par les académiques est enfin annoncé obsolète ... » Josette respirait.






Articles lus ,
Tempête dans un bouillon de statistiques, LE MONDE, 22 décembre 2017,
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/21/entre-le-gouvernement-et-l-insee-passe-d-armes-a-propos-du-pouvoir-d-achat_5232869_3234.html
Thomas CLERC, antonioni out !, Libération samedi 23 et 24 décembre 2017.
http://www.liberation.fr/debats/2017/12/22/antonioni-out_1618620
Laure MURAT, blow up, revu et inacceptable !
http://www.liberation.fr/debats/2017/12/12/blow-up-revu-et-inacceptable_1616177
[question à laure murat : est-ce que lagerfeld ne continue pas de photographier les femmes peu ou prou de la même façon que le personnage du film ? le film d'Antonioni documente-t'il des pratiques ou propose t'il une façon personnelle d'être pour un photographe de mode ?]



citations du film blow up dans ce blog
https://manuelleyerly.blogspot.fr/2015/01/gogol-forum-poils-et-au-poil.html
https://manuelleyerly.blogspot.fr/2017/12/merci-marcella-iacub-pour-sa-chronique.html




vidéo du ready-hommage au film BLOW UP  , relever le gant (2013)

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