Martine fait ses courses.
Martine était en train de ranger dans son sac à dos
les produits qu'elle venait d'acheter au supermarché discount du
village à côté du sien. L'opération était un peu compliquée car
Martine avait profité de la période des soldes pour s'acheter un
nouveau sac de randonnée bien pour son dos puisque disposant de
sangles de fixation à la taille et à la poitrine mais dont l'espace
contenant était moindre. Martine avait alors élaboré
expérimentalement une application mentale de rangement efficient des
produits dans son sac qui s'avérait efficace quoiqu'en rodage.
Martine très concentrée sur son affaire, rangeant ce paquet de
sucre avant les bananes, entendit un client affirmer au patron du
magasin qui était en caisse : « il me semble bien vous avoir
donné un billet de 20. » Le patron ne se souvenait pas et
Martine sentit les deux hommes se tourner vers elle à la recherche
d'un tiers ayant vu pour les renseigner. Martine était en pleine
ébullition d'une partie de son cerveau qui scannait les formes
et consistances des articles de ses courses, partie de son cerveau où
ne doit pas se trouver le langage car elle ne parvenait même pas à
atteindre une phrase telle « désolé messieurs, mais je n'ai
pas vu la scène, je ne peux pas vous aider. » qui l'aurait
rendu plus civilisée. Martine devant la béance en lieu de ce
qu'elle aurait pu dire, fit l'autruche, continuant ses opérations
mentales qui auraient pu se traduire par « ..Oh mon dieu
ce céleri rave que je n'avais pas vu... » Comme il n'y avait
plus de client à attendre de passer en caisse, le patron dit qu'il
allait vérifier. Il partit dans l'arrière boutique quelques minutes
et, alors que Martine sortait pour la quatrième fois de son sac les
yaourts et la baguette de pain pliée en quatre tout en comprenant en
un éclair les enjeux de la génétique agroalimentaire à créer des
céleris rave hybrides et carrés, le patron revint avec assurance en expliquant
que « non,c'était bien un billet de dix. Si vous
voulez, je vous montre les images. ». Le client dit simplement
« ah, parce que vous avez des caméras ! » et
disparut. Entre temps, une vieille dame était arrivée et attendait
son tour à la caisse. Le patron commença alors à raconter
que, « déjà, l'autre jour, » alors qu'il y
avait plein de monde en caisse, un type lui avait fait le même coup,
rapidement la foule des clients avait pris cause pour le type car,
« comme chacun sait, expliquait le patron du supermarché
discount, tous les commerçants sont des voleurs, donc c'était
forcément moi le méchant, bref, sous la pression, j'ai fini par
donner au type le reste de la monnaie mais plus tard lorsque j'ai
regardé les images de la vidéo-surveillance, j'ai pu voir que le
type m'avait bien donné un billet de dix. » « Moi,
au bar, expliqua la vieille, je garde le billet dans la main
et je ne le range qu'une fois que le type a rangé sa monnaie.
Les types mentent avec un aplomb et peuvent être violents ! ».
Martine s'entendit dire « Ah, mais alors c'est bien ces
caméras ! » « Ben, ouais, dit le patron
du supermarché discount, au moins avec les images, on dispose
d'un témoin fiable. » Martine se souvenait d'un autre jour
où, dans ce même supermarché, deux employés regardant les images
de la vidéo-surveillance nouvellement installée dans le magasin, images qui apparaissaient sur une
partie des écrans de leurs caisses se demandaient où était leur
collègue qui aurait dû être en rayon à ranger. Martine n'avait
d'ailleurs pas revu la dite « collègue » mais il était
possible que cela ne soit qu'une coïncidence.
Tout en sortant du supermarché, son sac à dos dans le
dos et un paquet de douze rouleaux de papier toilette deux plis sous
le bras, Martine essayait de se souvenir des arguments déployés par
ceux et celles qui étaient contre la collecte des informations des
passagers d'avion en Europe. « En quoi ma liberté
individuelle serait menacée si le fait que je vais prendre l'avions
tel jour à telle heure pour telle destination est connu des forces de
police ? Est-ce parce que les opposants à la constitution d'un
tel fichier ont quelque chose à cacher ? Est-ce qu'ils ont
besoin de croire qu'ils pourront mentir sans être contredit par qui
que ce soit pour se croire exister ? » Puis Martine crut se
souvenir que l'argument clef tournait plus ou moins autour du fait
que toutes ces technologies et ces fichiers sont très bien tant que
les institutions sont démocratiques et les personnes qui les font
vivre conscientes de la sensibilité des données mais que tout peut
tourner aigre et vinaigre dès lors que des personnes à esprit
totalitaire et fasciste ou simplement écervelées s'emparent de tels
outils. « S'agirait peut-être alors de faire en sorte que
de telles personnes ne puissent jamais y avoir accès, se
disait Martine, considérant le problème dans l'autre sens. Martine
se souvint alors de la fin de l'histoire racontée par le patron du
supermarché discount : l'escroc soutenu par la foule dans sa
revendication d'une monnaie sur un billet de vingt euros et non de
dix euros s'était repointé dans le magasin quelques jours plus tard
et le patron lui avait expliqué avoir regardé les images de la
vidéo-surveillance et y avoir vu que le billet donné était bien de
dix euros et non de vingt ainsi que ce client l'avait prétendu
devant la foule. « De toute façon, vous pouvez modifier les
images ! » lui avait rétorqué le type pour éviter
de le rembourser. « Ils ont vraiment réponse à tout, ces
salauds là ! », avait commenté la vieille, dans sa
grande sagesse.
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