Dans les années 90.

Dans les années 90. Nous ne savons plus si nous regardions une photo parue dans le journal Libération d’une représentation du ballet Le Lac des Cygnes qui se jouaient à cette époque à l’Opéra Bastille ou si O et F avait vu la représentation ou si les deux à la fois, en tout cas, la conversation portaient sur le fait que O n’avait pu ou ne pouvait s’empêcher de trouver « sublime » un moment du ballet où toutes les danseuses en tutu dans une ligne parfaite mouvaient jambes tête et bras dans le même temps et la même forme tout en sachant pertinemment que cette beauté-là est atroce. Peut-être que F s’étonnait que ce « genre de trucs » puisse encore « faire de l’effet » à O et dans notre mémoire pour F ce « genre de trucs » n’a jamais été ni beau ni « subliment atroce » mais tout simplement affreux, juste ce dont véritablement nous ne voulons à aucun prix. Une année auparavant à moins que deux ou cinquante mois plus tard, nous regardions une représentation d’un spectacle de Merce Cunningham au Théâtre de la Ville où l’habile renard avait placé juste quatre ou cinq secondes de ce type de réalité fascisante où le chaos aléatoire des ses peut-être vingt ou trente danseurs s’ordonnait en une masse soudaine nous faisant face et exécutant quelques pas très simples vers nous exactement sur le rythme de la musique déployant toute sa puissance toxique de fascination puis tout était reparti en tous sens et désordres au hasard et coïncidences fortuites entre danses et musique. Dans notre souvenir, l’habile renard s’était placé au centre de la scène avec son habituel déambulatoire-barre de danse et il y avait dans ces trois ou quatre secondes ou peut-être une ou deux minutes comme un défi du chorégraphe, général d’une armée dont il organisait savamment et patiemment la déroute afin de faire surgir les véritables danses et poésies captées aléatoirement également par le public et les chacuns et chacunes assis sur des sièges-point de vue différents quant à la scène, il nous avait montré l’espace d’un instant cette puissance toxique de la masse organisée, juste l’air de nous dire « je sais bien que c’est cela que vous êtes venus chercher mais moi, je veux vous apprendre à regarder cela soit les puissances infimes, éphémères et infinies et constamment renouvelées des mouvements, des formes et des sons au bon gré des hasards dont les ordres ou les désordres nous, vous échapperont de toute façon. Je vous ai offert trois quatre secondes du même spectacle pour tous, je sais le faire mais ce n’est pas cela que vous devez chercher. » Puis, dans les années 2010, alors que nous nous étions promenées au hasard de vieilles routes et chemins mal défrichés ou indiqués, que nous avions vu des personnes ramasser des pommes de terre à la main, des moutons, des chèvres et des chevaux paître dans des prairies, que nous avions entendu les bruits furtifs des lapins de garenne et autres hérissons ou oiseaux se dissimulant dans les buissons et les ronces, entendu au loin se mêler la rumeur de la mer et des zones industrielles et de ses routes, nous étions arrivées pas à pas dans une zone pavillonaire où certains se faisaient bronzer alors que d’autres tondaient leur gazon puis dans une zone de décor touristique avec bar à la mode et marchands de produits régionaux, arrivé vers le bord de la plage où sévissaient restaurants, cafés, marchands de crêpes, de glaces et de frites, nous entendions de plus en plus les hurlements d’une sono mondiale puis nous vîmes peut-être une quarantaine de personnes installées dans des transats bien alignés dans la même direction et sous les hauts parleurs d’une sono bien forte dégueulant aux oreilles des mouettes la musique des Beatles et ce dans le cadre d’une « animation culturelle » déployée à l’occasion d’un festival de cinéma se tenant dans cette station balnéaire créé par des anglais. Nous ne pûmes nous empêcher de faire le lien avec les vieux clichés des terrasses des sanatoriums et de commencer à rédiger quatre ou cinq textes fantaisistes sur les cures de désintoxications des spectateurs malades du cinéma lorsqu’alors nous étant éloignés à grand pas de cette scène tristement surréaliste par une digue nous vîmes peut-être une quinzaine de personnes ratisser des bancs de sable émergeant par cette marée basse et regorgeant de coquillages et crustacés et leur ballet que nul n’avait prémédité ou orchestré, si ce n’est que leur ancêtres s’étaient battus pour avoir du temps libre et des congés payés et avaient mis leur argent en commun afin que ceux et celles qui tomberaient malades puissent être soignés décemment , bref leur ballet impromptu déployait sous les cris des enfants escaladant les rochers ou dirigeant des chantiers pharaoniques de constructions de châteaux de sable, une douceur quiétante. Puis nous arrivâmes sur une plage où se trouvaient, en raison de l’époque automnale mal définie par les magazines de mode sur la tenue et les comportement à adopter sur les plages, des personnes en maillot, d’autres toutes habillées alors que certaines en combinaison de plongée sur des serviettes éponges, des nattes d’osier ou à même le sable le tout dans un désordre qu’il pourrait être qualifié de postmoderne à moins que d’ante l’existence des prescripteurs. Puis nous poursuivîmes notre chemin le long de la mer, et par delà les rochers, nous vîmes un homme tout nu nous saluer et plonger dans la mer et ne pûmes nous empêcher d’y voir là la tenue hype du futur.

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