LES ANNEES 90. (FICTIONs)



Je me souviens c’était au milieu des années 90, Stanislas NORDEY, jeune metteur en scène de théâtre médiatisé et de talent avait lancé une pétition où des personnes déclaraient qu’elles abriteraient chez elle une personne sans papiers (à l’époque les sans papiers étaient encore qualifié d’immigrés en situation irrégulière) et ce au mépris d’une loi qui venait de ou devait paraître. La pétition avait parue dans les journaux et ensuite il y avait eu une série de la même pétition mais issue d’autres groupes. Stanislas Nordey avait fait signer ses proches en cercle et du coup d’autres personnes n’avaient peut-être pas été contentes de ne pas apparaître comme à l’avant scène d’une supposée avant-garde politique engagée ou peut-être désiraient montrer qu’un grand nombre de personnes pensaient de même, et sans doute les deux motivations étaient mêlées à la fois… Ainsi, s’étaient vu fleurir la pétition des gens de cinéma, la pétition des gens de la photographie. Bien sûr, la pétition des « gens de la danse » ne manqua pas de nous parvenir. G la signa, moi également et une connaissance qui sévissait dans l’administration de compagnie nous avait demandé d’inscrire son nom. J’avais faxé les documents après avoir recueilli des signatures, il devait y avoir un autre bureau d’administrateurs de compagnies ou autres projets dans l’immeuble. Cela avait été super pénible, le numéro de fax était toujours occupé, il avait fallu s’y reprendre à deux ou trois fois et bien sûr une feuille n’était pas passée. Le lendemain, ou le surlendemain, la connaissance m’avait retéléphoné parce que son nom n’apparaissait pas dans la liste qu’avait publié le journal Libération. Que le mien n’apparaisse pas non plus ne lui avait sans doute pas sauté aux yeux. Je lui expliquais qu’une des feuilles n’était pas passée et que j’avais eu la flemme de repasser deux heures à envoyer ce putain de fax. J’avais senti quelque chose comme un regret, non pas le regret de ne pas accueillir pour de vrai un sans papier (une personne immigrée en situation irrégulière) à loger chez elle et à l’aider concrètement, non plus simplement un regret de ne pas apparaître dans l’histoire des personnes qui avait déclarées être prêtes à accueillir un sans papier (une personne immigrée en situation irrégulière), de ne pas avoir son nom imprimé dans le journal comme l’une de ces personnes qui participent à ces luttes « politiques », de ne pas apparaître dans l’œil médiatique. L’architecte qui nous sous-louait une pièce et la photocopieuse parce que ses affaires marchaient mal et les nôtres commençaient me l’avait bien dit le matin même : « s’il y a une pétition des architectes, je ne la signerai pas car moi, si il y a un clandestin à loger, je ne le logerai pas parce que j’ai déjà assez d’emmerdes comme çà avec mes chantiers toute la journée, que chez moi, c’est petit et que lorsque je rentre, je veux pouvoir oublier, et ne plus m’occuper de rien, pas la peine d’en rajouter. » Je savais bien qu’il y avait de la raison dans ce discours, les trois quarts des personnes ayant signées cette pétition ne l’avait pas fait pour s’inscrire sur une liste de personnes prêtes à loger des clandestins en difficultés communiquée auprès des associations qui s’occupent des personnes immigrées en situation irrégulière qualifiées communément à l’heure où nous écrivons des sans papiers…les signataires des pétitions l’avaient signées dans une logique médiatique pour faire du bruit, « pour réveiller les consciences », « pour faire bouger les choses », « pour empêcher la loi de paraître » selon les expressions en circulation etc … notre mémoire peut jouer des tours mais elle a tendance à statuer que s’il était possible de croire à la sincérité de la première pétition, le mimétisme des pétitions suivant la première questionnait leur motivation quant à leur signification politique . Je n’ai pas de souvenir d’avoir lu dans la presse la pétition des éboueurs, la pétition des infirmières, la pétition des cadres commerciaux, etc… cette série de pétitions affichait le corporatisme des milieux dit culturels, leur relatif cloisonnement et leur absence de culture politique de l’action englués qu’ils étaient dans des rapports de tutelle avec les pouvoirs publics et du déplacement de la scène de la représentation vers la scène médiatique et par conséquent de la réduction drastique de la scène de l’action politique. Ainsi, si notre mémoire ne nous abuse, la loi a été abrogée ou abandonnée et le problème des personnes en situation irrégulière est devenu le problème des sans papiers c’est-à-dire politiquement non résolu. Il restait sans doute à qualifier les sans papiers d’immigrés économiques pour que politiquement les attitudes de droite se différencient des attitudes de gauche. Parler d’immigration économique c’est obliger à débattre de l’ordre économique mondiale et c’était bien ce débat là que les personnes de droite qui se targuent par volonté de bonne conscience d’être de gauche cherchaient à enterrer, peut-être pour ne pas découvrir qu’ils s’en foutaient complétement.

Je ne sais si ta mémoire nous joue des tours, mais il me semble bien que c’était exactement lors des ces jours des pétitions qu’a eu lieu l’inauguration des galeries du XIIIe arrondissement mises à disposition par la femme de Jacques TOUBON qui était maire du XIIIe arrondissement de Paris et dont la plupart des jeunes galeristes bénéficiaires sont aujourd’hui millionnaires. Je n’arrive pas à me souvenir pourquoi tu n’y avais pas été.

Je me souviens de ces danseurs de danse contemporaines qui avaient commencé à revendiquer des salaires supérieures aux autres danseurs au sein d’un même spectacle sous l’argument réel qu’ils dansaient plus puisqu’un duo entier. L’argument était juste, cependant pour qui connaît l’histoire de la danse et l’affirmation de la danse moderne contre la hiérarchie du corps de ballet classique et de sa police politique du corps dansant, l’argument sonnait étrangement. C’était peut-être plus simplement les prémisses de la normalisation des acteurs des milieux dits culturels selon le jargon consacré. Il resterait à mesurer les ravages effectuées de la pensée bourgeoise dans les milieux dit culturels dès lors que « travailler » dans les milieux artiiiistiques était devenu socialement valorisant.

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