Josette, espionne rousse du réel (is back).
Josette entendit une de ses compatriotes (du pays de la Roussie)
évoquer à la radio un homme politique français et critiquer ses
discours au motif que «cet homme ne lit pas de roman »
et par conséquent son vocabulaire et ses expressions s'en
ressentiraient et resteraient assez limités et plats (cf.là). Josette trouva
pour le moins l'argument curieux, non pas qu'elle voulut défendre le
dit homme politique qui selon Josette ne s'était pas encore rendu
compte qu'il avait du sable jusqu'au cou, mais plutôt qu'elle venait
d'une tradition où les affaires dites sérieuses se situent
nécessairement hors des champs de la littérature ou du cinéma qui
relèvent des pratiques de la séduction et de la manipulation. Il
est bien sûr possible de les pratiquer avec sérieux ou de les
étudier avec sérieux mais il ne serait pas sérieux de les inclure
sans précaution telles des forces positives dans les champs sociaux
d'interaction entre les individus. Cependant, Josette était
consciente que l'époque était en la matière trouble et que si elle
entendait encore les « arrête ton cinéma ! »
entendus dans son enfance, tout n'étant que vanités, elle voyait et
entendait bien, que de nos jours, dans les années 2010, les enfants
et adolescents étaient priés de faire du cinéma et de l'expression
créative. Mais pour Josette, cela n'était qu'un leurre : en
effet, les dogmes gestionnaires qui régissaient nos sociétés
techniques étaient d'accord sur le fait qu'en dehors d'eux, tout le
reste n'est que littérature, « bruit » du dessous. Ou
pour le dire autrement, que la littérature, les romans et les essais
sont comptabilisés et bien rangés dans les productions des
industries culturelles.
Josette se souvint alors avoir survolé un article dans le journal au
sujet d'une « nouveauté littéraire » un thriller sur
une gymnaste de haut niveau. Josette avait été choquée par le fait
que l'auteur affirmait ne pas être du tout sportive sans que cela ne
semblait lui poser le moindre problème pour écrire au sujet de
sportifs. Josette semblait entr'apercevoir là la vieille haine des
anciens clercs pour leur corps qui prenait la plume et poursuivait
son vieux travail de sabotage. Josette avait de la peine à
comprendre comment il est possible de parler et a fortiori d'écrire
au sujet d'une chose qui n'a pas été expérimentée du dedans. « Tu
parles bien de Q !, lui avait rétorqué Georges. « Ben,
oui, j'ai un Q,, lui avait répondu Josette.
Josette relut l'interview : « Pourquoi une gymnaste
pour personnage principal ? Je ne suis pas du tout
sportive, mais les athlètes me fascinent, cette force qu'ils ont
dans leur corps, ce qu'ils sont capables de faire » Josette
faisait partie de ceux et celles pour qui la fascination n'est pas un
sentiment positif mais le résultat d'une illusion, à fortiori, dans
l'espace littéraire : ainsi que l'a signalé Maurice BLANCHOT
ce qui menace les écritures en latence, à faire ou à venir, c'est
la fascination qu'exercent les astres morts. Pour Josette, la
fascination ne peut donc être un aiguillon à l'écriture.
Toutefois, Josette était consciente que, depuis les années 2000
voire 90, l'exercice de l'interview de l'écrivain ou écrivaine ne
faisait plus partie d'une recherche commune et d'un échange pour le
bien commun sur l'écriture et les écrits ou sur leurs contenus et
idées véhiculées par, mais faisait partie d'un plan bien établi
et carré de promotion des ventes du produit-livre où personne ne se
mettrait en danger, surtout pas l'auteur qui prônerait sa sainte
parole frelatée d'auteur du haut de son piédestal. « ...Mais
la gymnastique m'a paru parfaite pour ce livre, qui interroge la
famille et la façon dont le pouvoir et l'amour fonctionnent en son
sein. » Josette percevait là les bonnes grosses ficelles
de la façon académique mais elle était aussi consciente que ce
discours pouvait être une construction à posteriori censée donner
le change sur le mtyhe de l'auteur omniscient qui sait ce qu'il fait
quand il écrit. « J'ai commencé à réfléchir au contrôle
psychologique et aux luttes que ces gymnastes affrontent, toutes les
manigances. Et puis il y a l'impact de ce sport sur des corps en
plein développement. Pour beaucoup de ces filles, dans une certaine
mesure, il interrompt l'adolescence ou menace de l'interrompre, et
cette perspective me fascinait. Votre corps est à la fois votre
meilleur atout et votre pire ennemi. Mais peut-être ressentons-nous
tous çà, quelque part. » « Ah quand même !
se disait Josette, et oui, nous avons tous un corps et la
pratique sportive peut-être un moyen de le connaître, de faire
avec, de le comprendre, de le combattre, de l'apprivoiser, de le
faire émerger. C'est de cela qu'il faudrait parler de
l'intérieur. Bien sûr, comme pour toutes pratiques, il y a
pratique et pratique, mauvaise pratique et bonne pratique et tout le
continuum qui va de l'une à l'autre» « Moi je crois
que nous avons plusieurs corps dans notre corps, plusieurs
possibilités, avait dit Georges. » Josette pensa alors à
la résurrection des chairs chrétiennes et au corps de Jésus-Christ
que nous mangeons lors de l'eucharistie. Puis elle pensa à toutes
les métaphores où surgit le corps : le corps des écrits, le
corps des textes, le corps de la langue, le corps de métier. « Je
connais mal l'imaginaire et le langage des informaticiens, se
dit-elle, ont-ils aussi tant de corps qui trainent dans leur flux
HTML ? ». « Tu veux dire des corps morts ou des
corps vivants ?, lui demanda Georges, cesse donc de tout
triturer et viens te promener ! Il fait beau, nous pourrons nous
baigner. »
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