Josette, l'espionne rousse du réel.
Josette était attablée au
Mac Donald de Pleurtuit où elle profitait du service WI FI gratuit
proposé. Un groupe d'environ dix personnes arriva. La seule femme
était très tendue. Ils s'installèrent. Josette comprit peu à peu
et peu ou prou qu'il s'agissait d'un couple qui vendait une voiture
peut-être utilitaire à un vieux monsieur qui était entouré de sa
tribu soit deux fils dans la force de l'âge, son plus jeune fils ou
son premier petit fils et deux de ses petites filles, les femmes du
clan devaient être restées comme il se doit à la maison.
Les membres de la tribu enveloppaient le couple et la femme cherchait
des yeux de l'aide dans la salle. Josette reconnut alors la femme
qui, peut-être une demi-heure auparavant, était assise à une table
devant la sienne et discutait de façon très directive avec un homme
sans que Josette ne prétasse attention au contenu de leurs
conversations. Ce devait être un samedi, jour où il est fréquent
de voir des femmes, transformées en chef de guerre pour faire les
courses en supermarché, donner des ordres stricts et précis à des
hommes qui, en congé, se plaisent à jouer les gamins dans les
rayons et les magasins tout en obéissant au doigt et à l’œil à
leurs femmes comme si c'étaient leurs mères. Mais ce jour-là, il
ne s'agissait pas de cela. La femme était en colère parce que le
vieux monsieur avait négocié au téléphone un prix ou un service
différent de celui fixé dans l'annonce. Son mari avait accepté
mais elle, elle ne trouvait pas cela normal. Peu ou prou. Le vieux
monsieur parlait d'une voix faible mais sûre, chantante comme un
oud. Il expliquait qu'il avait demandé si cela était possible et
comme il lui avait été dit oui, alors il était là avec les siens,
si on lui avait dit que cela n'avait pas été possible, ils ne
seraient pas là, tous, en ce jour, avec eux, etc, blabla... Peu à
peu, la femme s'adoucit et l'affaire fut conclut. Le vieil homme et
ses fils commencèrent à badiner avec la femme. Elle expliquait
qu'elle et son compagnon formait une famille recomposée, chacun
avait eu deux enfants mais ils n'avaient pas eu d'enfants ensemble.
Puis le vieux commença à raconter son histoire, il était
arménien... Josette n'entendait pas tout. Josette n'écoutait pas
tout. La voix du vieux monsieur et celles de ses fils chantaient
comme de la musique arabe ou indienne et la femme peu à peu commença
à franchement se détendre et rire alors que les petites filles
avaient les yeux brillants. Josette ne connaissait pas la culture
arménienne mais elle pensa à des musiciens arabes assis dont la
musique envahirait peu à peu le corps et le ventre d' une femme qui
se laisserait alors être dansés . Elle pensa aussi à des
guitaristes andalous électrisant le corps des danseuses de flamenco
qui vont alors affronter jusqu'à l'épuisement les danseurs
masculins. Pendant ce temps, le compagnon de la dame parlait avec le
jeune garçon et il avait plutôt l'air d'un gamin échangeant des
images Panini ou prêt à jouer à une course de petites voitures
tout en racontant comment il a vu une fille nue à travers la serrure
d'une porte. Et sa femme continuait de rire toute enveloppée de
paroles et de musiques inaudibles. Et les petites filles avaient les
yeux perçants.
Puis Josette fut absorbée
par autre chose et ne vit pas l'issue de la scène. Ce n'est que plus
tard, en se remémorant tout cela, qu'elle pensa à la phrase
« C'était beau mais c'était triste. » Comme un
aveu d'échec pour les femmes cherchant leur liberté. Puisqu'il
semblait à Josette que la clef de la musique enchanteresse jouée
par les paroles des hommes était précisément celle qui enfermait
leurs épouses dans leurs maisons. Mais il était possible que
Josette se trompa. Le réel peut se moquer d'une espionne rousse du
réel qui avait un temps certain voulu cesser d'être une espionne.
Rousse. Du réel.
Quelques jours plus tard,
Josette lut dans un journal un article relatant des affrontements
dans le Haut Karabakh à la frontière entre l'Arménie et
l'Azerbaïdjan. Elle restait perplexe quand elle sentit bouger l'être
psychotique.
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