Ma première publication, les années 70.
Dans les années 70, je remontais
une route main dans la main avec notre père, roi du monde bien que
personne ne le sache à part moi, vers la salle communale où allait
se dérouler la fête de fin d'année de ce pensionnat suisse
installé dans un ancien sanatorium, pensionnat où notre père
enseignait la philosophie et la littérature française et où
moi-m^me avait étudié les mathématiques, la géographie,
l'histoire, le français, les sciences naturelles et physiques ainsi
que la langue de shakespeare selon le programme officiel de la
première année d'études de collège qui selon la logique de
l'éducation nationale française se nomme la sixième. En 1978, je
remontais une route main dans la main avec mon père, sans douter un
seul instant que j'étais une princesse de la forêt bien que
personne ne le sache, quand nous croisâmes des élèves de notre
père qui l'interpellèrent « monsieur, monsieur, il y a une faute
de français dans le texte de votre fille ! » Ils tenaient
ouvert à leur main le yearbook de l'école où cette année-là ma
prof de français qui enseignait également les mathématiques avait
proposé de publier une de mes rédactions qu'elle avait beaucoup
aimé. Le yearbook est, comme son nom l'indique, le livre de l'année
scolaire écoulée et rassemble les photos des élèves et des profs
de l'école ainsi que les moments forts de l'année et des sorties,
le tout assorti de commentaires et légendes plus ou moins spirituel.
Le livre est vendu en fin d'année et chacun y fait inscrire à ses
amis des dédicaces. Chacun sait que facebook n'est qu'une extension
de ces pratiques. Que ma prof de français qui enseignait aussi les
mathématiques ait proposé une de mes rédactions pour publication
et que celle-ci fut accepté reste un mystère bénin puisque ce
n'était pas une habitude dans les yearbooks. Le texte était le
suivant :
« Le chêne.
Ô toi, le chêne, roi de la
forêt, toi qui vois les années s'écouler, tu restes là muet et
immobile. Tu voudrais nous raconter les époques et les mystères de
l'humanité mais tu as l'ordre de te taire.
Tu as choisi le vert comme
couleur car semble-t-il c'est la couleur de l'espérance.
Quand vient l'hiver, quand tes
feuilles s'envolent vers l'infini, tu te sens vieux ainsi les
vieilles gens quand leur enfant les a quittés. Alors pour compenser
cette tristesse la nature t'envoie un manteau tout blanc. Mais la
saison que tu préfères est certainement le printemps lorsque les
bourgeons capricieux éclatent sous l'ardeur du soleil, quand les
oiseaux viennent se poser sur tes branches et qu'ils te chantent leur
répertoire, là tu es heureux.
Mais quand les bûcherons
arrivent dans ton royaume avec leurs scies et leurs haches, tes
racines tremblent et tes feuilles frissonent. Tu voudrais prendre
tous les arbres et les cacher sous tes branches.
Cependant, un beau jour, la mort
viendra t'avertir qu'il serait temps de venir l'accompagner, alors
sur la pointe de tes racines, pour ne reveiller personne, tu
quitteras la forêt après avoir désigné ton héritier.
Manuelle Yerly
née le 20/04/1968, classe de
sixième. »
- Monsieur, Monsieur, il y a une faute de français dans le texte de votre fille.
- Je ne sais pas, je ne l'ai pas lu.
Puis, nous avons continué notre
chemin.
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