les années 80 : le stage à FR3 Nice-Biot.
Dans les années 80, je faisais un
stage à FR3 Nice-Biot (cf. les épisodes précédents). Le premier
jour de mon stage, le rédacteur en chef m'avait expliqué qu'il
avait un représentant important de la CGT dans son équipe de
journalistes et que celui-ci lui avait clairement fait comprendre
qu'il était hors de question qu'une stagiaire non rémunérée et
non issue d'une école de journalisme puisse mettre la main à la
pâte dans la confection des sujets télédiffusés et donc le
rédacteur en chef m'expliquait que je devrais me contenter d'être
là sans « pouvoir rien faire ». Je lui expliquais que
mon stage se déroulait dans le cadre d'un cours de sociologie des
médias et que par conséquent, je n'avais pas pensé que je ferais
autre chose que de l'observation. Là, je pourrais écrire que le mec
m'a regardé bizarrement pour donner un semblant de dramaturgie ou de
fun de téléfilm américain mais en fait je ne m'en souviens plus et
d'ailleurs il est fort possible que je n'ai rien dit ou que j'ai
feint de trouver cela dommage. Mais il est vrai que je n'avais pas
prévu de confectionner de sujets journalistiques parce que j'avais
bien retenu la leçon de la nécessité de l'écart de la position
sociologique qui tente d'être une science. Disons que j'avais trouvé
réjouissant de trouver une matière universitaire qui prône le
retrait nécessaire à l'observation. Bref, sans doute le rédacteur
en chef feignait-il aussi d'être désolé. Puisque de toute façon,
tout le monde en avait déjà marre et tentait de faire face jour
après jour, en évitant soigneusement les choses trop impliquantes.
Je crois d'ailleurs que, comme d'habitude, je ne m'étais attendu à
rien de spécial et que je n'avais rien prévu ou imaginé à
l'avance. Par réflexe de survie. Ou de non-vie. Ainsi, chaque
matin, j'assistais à la conférence de la rédaction, peut-être que
le rédacteur en chef m'assignait à une équipe, peut-être que cela
se faisait informellement, que certains se proposaient de m'emmener
parce qu'ils allaient ici ou là, etc... Chaque équipe était
constitué d'un journaliste classique et d'un caméraman qui pouvait
aussi être journaliste reporter d'images. Tous pensaient et disaient
que leurs boulots étaient menacés, craignaient tels les pilotes
d'avions d'être obligés de se retrouver seuls pour faire les
reportages, ce n'était pas que faire « tout le boulot tout
seul » les effrayait, c'était que « cela n'aurait plus
de sens de le faire tout seul ». n'aurait pas le même sens.
Dans le même temps, les mecs ( il n'y avait qu'une seule nana
journaliste qui sortait de l'école de journalisme de Marseille, une
nana pour présenter la météo, nana qui avait été peut-être miss
côte d'Azur, si je me souviens bien, une nana pour la documentation,
peut-être une autre pour le montage, une pour la comptabilité... je
ne retrouve plus mon rapport de stage qui me permettrait de vérifier
ces détails, il me semble l'avoir vu pour la dernière fois ;
saturé de pisse de chat après avoir séjourné dans un carton qui
fût le lieu d'une guerre d'urine entre les chats mâles que j'avais
sous ma garde, guerre dont les enjeux m'échappe puisque mon odorat
ne percevrait que le 39e de ce qu'en perçoit un chat, bref je
présuppose que je n'ai pas du juger mon rapport de stage à FR3 nice
Biot comme un document important à conserver malgré une imbibation
forte d'urine de chat contrairement par exemple à la photocopie de
mon permis de conduire retenu en otage par le ministère de
l'intérieur au nom de ma soit-disant maladie mentale) donc les mecs
creusaient leurs tombes tout seuls : un des grands jeux de
chaque matinée était de réussir à se faire inviter pour le
déjeuner de midi. Mais il est sûr que le regard sur le monde et a
fortiori depuis des médias locaux ne peut être le même pour une
personne de vingt et quelques années ou de plus quarante ou
cinquante années. Ceci dit, je n'ai aucun souvenir de payer quoique
ce soit le midi lorsque j'étais avec eux, j'ai souvenir qu'ils
payaient toujours ou me faisaient offrir ma bouffe parce qu'eux
étaient payés et défrayés et moi, stagiaire et cinglée.
Nous étions en 1989, c'était
l'été, le mur de Berlin n'était pas encore tombé ou alors en
janvier. Par contre, Touvier venait d'être arrêté et chacun avait
sa petite histoire et anecdote. Grosso modo, tout le monde, depuis
des années, savait qu'il vivait à tel endroit puis s'était caché
dans tel couvent ou tel monastère et c'était ainsi la soudaine
volonté de l'arrêter qui avait surpris tout le monde. Blablabla.
Blabla. Ainsi donc, un matin, je me retrouve dans l'atelier de Sosko
à Nice. Les journalistes font un reportage et Sosko raconte et
cabotine. Pour ce que j'en avais compris, Sosko était une sorte de
sculpteur officiel de la ville de Nice, une sorte d'Arno Breckner et
je ne souviens plus si Jacques Medecin était encore maire ou si il
avait déjà fui à Punta del Este. Bref, pendant que les
journalistes faisaient des plans d'images-mouvement, l'assistant de
Sosko est venu me raconter qu'il avait été aussi l'assistant de
César et que son problème était de n'avoir jamais réussi à se
centrer sur un travail précis, « je pouvais tout faire alors
je ne faisais rien personnellement et ainsi j'ai aidé les autres »,
me disait-il substantiellement et cela m'avait frappé telle de la
foudre. Peut-être avait-il été aussi assistant d'Arman, je ne sais
plus mais je crois bien que c'est à cette occasion que j'en ai
entendu parler pour la première fois. Puis, peut-être le même
jour, ou un autre, nous sommes allés à la Fondation Maëght pour
une exposition sur les dernières œuvres des peintres et il me
semble qu'il y avait aussi une exposition de Lucian Freud et
peut-être Bacon en même temps mais il est possible que je me
trompe. L'exposition sur les dernières œuvres des peintres tentait
de se demander si les dernières œuvres constituent un
aboutissement, un constat d'échec, un virage, un dépassement,
etc....et concluait qu'il n'y avait pas de règles générales et que
c'était différent pour chaque peintre. Puis, c'est peut-être en
cette fin d'après-midi là, que je suis allée saluer le frère du
mari de la sœur de ma mère à la table de mixage du son (et non de
montage comme je l'ai écrit précédemment, cf les épisodes
précédents) et qu'il m'a alors montré un collage qu'il avait fait
de tous les ratages d'un journaliste qui avait beaucoup de mal à
enregistrer les textes de ses sujets et qui, au bout de la quatrième
prise, où son texte avait débordé sur l'interview, où il avait
mangé une phrase, où il avait soudain était pris de paralysie
faciale l'empêchant d'articuler, etc... se mettait à hurler un tas
d'obscénités. J'ai du en regarder une demi-heure, c'était assez
fascinant comme un traité pratique d'illustration en creux de
l'esthétique du ratage éclairant la vanité humaine à vouloir
raconter, montrer, expliquer, maîtriser et il y en avait encore
plusieurs heures. Puis après, j'ai pris le petit train pour rentrer
à Cannes où je logeais chez la mère du père de C qui avait été
institutrice et épouse d'un homme peut-être kabyle, important et
oublié de la révolution des algériens contre l'occupation de leur
pays. Le mari de la sœur de ma mère et son frère étaient eux
rentrés en France en 1962 avec leur mère après avoir quitté
l'Algérie qu'ils avaient cru être leurs pays puisque sans doute
leurs grand parents y vivaient déjà. Et je n'ai jamais compris
pourquoi « on » les appelle des « pieds noirs ».
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