l'an 90: Tomas Erdoz. Ou comment offrir des fleurs ?





En l'an 90, je faisais un stage au service de presse de la Biennale internationale de danse de Lyon (cf des épisodes précédents). Une de mes attributions étaient d'offrir les fleurs à la fin de chaque première de représentation. Mon papa m'ayant toujours dit de travailler sérieusement sans se prendre au sérieux, je prenais ce travail très au sérieux : ainsi je fus la première à dire « bravo » à Trisha Brown pour « forey Forest », je m'inclinais devant Merce Cunningham tel un chevalier devant son roi, je déposais le bouquet au pied de la réincarnation de Loïe Fuller qui n'avait pas de bras, etc... Je récupérais les bouquets chez un des fleuriste de la place Bellecour où se situaient les bureaux de la Biennale, je prenais un taxi ou partageais la voiture de quelqu'un de la biennale, allait dans le théâtre où se jouait le spectacle, ensuite je devais me débrouiller à trouver quelqu'un de la compagnie afin de me présenter et d'expliquer que je viendrais à l'issue de la représentation offrir des fleurs au (à la) chorégraphe et de lui demander de m'indiquer une durée à peu près précise du spectacle et /ou me donner un indice dans le déroulement du spectacle qui m'indiquerait que nous sommes proche de la fin afin que je sorte de la salle de spectacle pour rejoindre les coulisses et offrir les fleurs. Ainsi, je passais près de vingt minutes silencieusement mon bouquet à la main avec Lucinda Childs et ses danseurs dans les coulisses de la pièce avec le film de Sol Lewitt. J'étais arrivée trop tôt et il me semblait dans le même temps impossible de ressortir, je me souviens prendre appui sur le mur pour me confondre avec lui et ne pas perturber les danseurs qui arrivait de leur traversée de scène à toute blinde, j'entendais parfois « go »,et les danseurs et danseuses se jettaient dans la lumière qui me semblait aveuglante, certains se parlaient très vite dans une expiration et en inspirant rejoigner le puissant silence et flux qui les portaient, et Lucinda était là dans son halo de dame reine blanche et me regardait... ainsi, il me semble arriver en retard presque à la fin des applaudissements pour offrir des fleurs à Stephen Petronio qui les donne à Michael Clark. Ainsi je n'offrais pas de fleurs sur scène à Daniel Larrieu parce que c'était mon jour de congé et celui du fleuriste et j'accompagnais toutefois son attache de presse hystérique chez l'autre fleuriste de la place afin de confectionner un bouquet. Fleuriste qui dans mon souvenir n'étant pas le fleuriste officiel de la biennale avait fait un bouquet des plus affreux. L' éclairagiste Françoise Michel me racontera deux ans plus tard que les uns et les autres de la compagnie de Daniel Larrieu s'étaient sentis si mal accueillie à cette biennale qu'ils avaient volé tout un tas de T-shirts, pin's et autre programmes qu'ils avaient trouvé dans un placard. Ainsi je n'offrais pas de fleurs à Marta Graham parce qu'elle n'avait pas fait le voyage jusqu'à Lyon mais je n'en offrais pas plus à qui que ce soit de la compagnie parce que le régisseur qui se nommait Ronald ou Mac Donald, je crois, m'avait expliqué que j'étais mal habillée et que mes fleurs étaient affreuses et qu'il n'était pas possible que je sois sur la scène avec des danseurs de la compagnie Graham qui viendraient d’exécuter de la Danse (« we ork for beauty ! »), je me souviens pleurer et dire « qu'il faut offrir les fleurs », puiz une nana qui était je crois répétitrice était apparue et m'avait dit qu'elle les offrirait, ensuite elle m'avait raccompagné un bout de chemin en me disant que je ne devais pas prendre ce que m'avait dit Ronald ou Mac Donald trop à cœur. Je ne me souviens plus si je connaissais déjà les histoires de ceux et celles qui avaient reçu des bourses pour aller étudier à New-York et avaient du abandonner leur justaucorps et autres oripeaux fluos pour devenir gris ou terre. La fille offrit en tout cas le bouquet auquel avait été ôté le film plastique .
Pour la compagnie Alvin Nikolaïs, je tombais sur un monsieur élégant en costume : après lui avoir fait mon speech, il me dit qu'il y avait un problème puisque la compagnie était celle d'Alvin Nikolaïs et Murray Louis et donc qu'il faudrait donc deux bouquets, j'ai dit que je n'avais qu'un bouquet mais que peut-être il était possible de convenir de quelque chose avec les chorégraphes, il m'a dit alors que nous allions attendre un peu quelqu'un de la compagnie, nous nous sommes assis sur un banc de bois, moi avec mon bouquet à la main, j'ai demandé au monsieur d'où il venait parce que je trouvais qu'il avait un accent, il m'a expliqué qu'il était hongrois et qu'il avait traversé la frontière à pied en 1956, et c'est en raison de ce détail que je l'ai associé dans mon esprit à Gurdjieff, puis j'ai du lui demander si il y était retourné récemment puisque les frontières des pays de l'Est venaient de rouvrir et dans mon souvenir il m'a répondu que « pas encore » et que « c'est compliqué ». Ensuite, il m'a dit en riant que c'est incroyable que les artistes soient souvent incapables de dire la durée de leur pièce, qu'il avait déjà remarqué cela avec des chefs d'orchestre qui n'ont aucune idée s'ils ont dirigé pendant une heure ou trois un orchestre. Je me souviens dire d'une voix grave que cela est normal et le monsieur étonné m'a alors demande pourquoi. Et là je me rappelle lui dire expliquer que le temps de la création est un autre temps, que lorsqu''ils rentrent sur scène, ils entrent dans un un autre temps. Il me semble me souvenir que le monsieur me regardait et que je regardais mes pieds. Il y a eu un silence et le monsieur a dit « bon, nous allons séparer le bouquet » Nous sommes allés dans un bureau attenant où il y avait des ciseaux et du scotch. Le monsieur a défait le film plastique et nous avons fait deux bouquets malingres que nous avons ensuite recouvert de plastique rescotché, le monsieur a dit que cela irait et j'ai dit que je leur ferai envoyer le lendemain des fleurs dans leurs loges. Ensuite je ne sais plus et je me souviens me baisser pour offrir les fleurs à AlvinNikolaïs qui est assis sur une chaise et qui porte pleins de colifichets hippies autour du cou, il est joyeux comme un gamin tendance dirty old man, puis Murray Louis qui me semble d'un autre ordre, une sorte de pretre tel celui de « Notre dame de Paris » de Hugo.
Le lendemain, il me semble que c'est une femme nommée Anne Debou et chargée de la programmation de films de danse au cinéma Opéra et ses sièges en bois qui m'a expliqué que j'avais parlé à Tomas Erdoz, que c'était un monsieur très important dans le monde de la danse, qu'il est également l'agent de Pina Bausch . Peut-être a t'elle dit « merveilleux », que Tomas Erdoz était un homme « merveilleux ».
Je l'ai revu une fois huit à neuf années plus tard dans le hall bondé du théâtre de la ville de Paris. Nous nous sommes souris.

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