Les aventures de Martine : Jean-Joseph Goux et Claude Roy sont dans un bateau,



Martine avait trouvé un bon ouvrage dans la bibliothèque de feu son père. Du feu son père. L'ouvrage s'intitulait « les iconoclastes » , avait été publié en 1978 aux éditions du seuil dans la collection « l'ordre philosophique » dirigée par Paul Ricoeur et François Wahl, et réunissait différentes conférences et articles de monsieur Jean Joseph GOUX, monsieur dont il n'était donné nulle part dans l'ouvrage quelque vague profil biographique mais dont il était précisé avoir publié un autre ouvrage « Marx, Freud : Economie et Symbolique ».
« En 1978, j'avais dix ans »,  s'était dit Martine, qui s'était laissé séduire par le titre et la couverture reproduisant un tableau peint par Kandinsky. Martine venait de finir un livre écrit par Stephen King et trouvé dans un dépot-vente de livres et avait besoin de retrouver un peu de la terre ferme de pensée structurée, même si dérobant le sol sous vos pieds, elle avait besoin d'un texte qui parle à son intellect après avoir ingurgité un texte qui n'avait cessé de le shunter et le leurrer. Elle avait besoin d'un texte qui redonne de l'épaisseur à son intellect. Ou pour le dire sous une autre forme, (merci Protée !) Martine souhaitait après avoir lu l'ouvrage d'un gamin sadique passer à celui d'un homme adulte ne désespérant pas de la possibilité de l'existence de communautés humaines basées sur la raison malgré voire même avec la folle du logis. Environ. Bref, l'avantage d'une compilation d'articles est qu'il est possible de lire les chapitres dans le désordre sans nuire au cheminement de la pensée. Martine lit ainsi le chapitre 5 intitulé: « les étalons figuratifs, l'or, le phallus »
« ... Si les idées de richesse et de possession, dit Ernest Jones, s'attachent obstinément à l'idée de monnaie et d'or, il y a à cela des raisons inconscientes. Comme Freud et Ferenczi, il les cherche dans le registre de l'analité : « les pièces d'or sont les symboles inconscients des excréments » Cette attitude superstitieuse vis-à-vis des pièces d'or ne conduit à rien moins qu'à une « erreur économique » . Celle qui consiste à vouloir maintenir à tout prix l'étalon-or c'est-à-dire à ne vouloir considérer comme richesse véritable que l'or, sans admettre que des jetons quelconques pourraient fort bien être des emblèmes de valeur. Ce n'est pas tant l'Interprétation analytique qui nous retient que la logique des attendus économiques qui sous-tend la déduction de Jones. Il s'appuie en partie, pour affirmer ce qu'il affirme, sur le savoir des économistes : « les économistes savent que l'idée de richesse signifie tout simplement « un gage de travail futur » et que n'importe quel jeton pourrait servir d'emblème à ce gage qui n'a nullement besoin d'être représenté par un « étalon-or » » En d'autres termes, la valeur matérialisée dans l'étalon et la référence à l'étalon ne sont plus nécessaires, dès l'instant où la cause de la valeur est connue. Les jetons n'ont nullement besoin d'une couverture palpable ; car ils ne sont pas les substituts d'un bien réel encaissé quelque part, qui les garantit dans leur valeur par une convertibilité toujours possible, mais les symboles directs d'une certaine quantité de travail (ou un gage de travail futur). Ils sont les signifiants d''une réalité abstraite et toute virtuelle, et non les remplaçants provisoires et commodes d'un bien réel qui à tout moment pourrait être exhibé et présenté, montré et donné en personne, mettant fin par cet échange à la vicariance éphémère qu'ils étaient chargés d'assurer.
Cette opération de virtualisation, dont Jones attribue le savoir aux économistes, nous intéresse à plus d'un titre. Elle garantit le signe immotivé non par une encaisse matérielle que réglerait l'étalonnage en or, mais par une couverture non visible, potentielle, réalité plus abstraite que l'étalon et strictement infigurable. Au lieu de renvoyer le signe à la chose valeureuse, elle le renvoie directement à la substance générale des valeurs, à la cause qui produit la valeur. Cette logique de la substitution virtuelle, qui permet de justifier théoriquement l'abandon de l'étalon-or, Jones s'en réclame avec ardeur et conviction. Il pense que l'on peut et doit dépasser ainsi définitivement ce qui n'est qu'une « superstition fondée sur le symbolisme » . Jusqu'ici, ces propositions ne font pas problème. Il est même intéressant de constater la détermination presque militante concernant une question d'économie politique qu'on pourrait étrangère à la psychanalyse : combien de sacrifices, s'écrie Jones, éviterait à tous les pays la fin de cette erreur économique fondée sur une attitude superstitieuse ! Et plus de huit années après cette prise de position très précoce ( 1915) qui rejoint étrangement celle de Keynes, il se félicite rétrospectivement, au vu des dernierse événements sociaux, de la justesse de sa prédiction. »


En lisant cela, Martine se souvenait d'une période de sa vie où au chômage et en fin de droits, elle avait un peu tardé à régler les affaires courantes comme mettre fin à son contrat de téléphonie mobile, son contrat de connexion à internet (c'était une époque avant que les dites box ne gérent tout), au contrat d'assurance de sa voiture, etc.. bref à trouver des solutions à la disparition d'une source de revenu mensuel. Elle avait tardé en espérant un deus ex-macchina, en espérant trouver un job in extremis. Ce doit être le propre de ceux et celles à qui il n'a jamais été fait croire à l'existence du pére Noël, ils y croient diffusément comme d'une possibilité à ne pas négliger. Bref, sa banque commença à rejeter les prélèvements, à lui compter des agios, etc.. bref le cercle infernal. Les personnes en faillite personnelle sont un business rentable pour les banques. Les sommes n'étaient pas énorme mais additionnées les unes aux autres et les faits se répétant, elles allaient bon train tel un fleuve allant vers la mer. Puis ou avant, sa grand-mère était morte et elle devait toucher une somme d'argent qui aurait du lui permettre de calmer la banque, de payer ses traites, etc... mais le notaire de sa grand-mère pour des raisons incompréhensibles (pour des raisons que Martine n'avait pas compris ou n'avait même pas cherché à comprendre) ne lui adressait nul courrier officiel malgré ses quarante courriers et dix coups de fil afin de faire face aux quarante courriers et soixante-dix coup de fils qu'elle recevait elle-même. Bref, dans l'esprit de Martine, l'argent n'existant pas réellement, tout cela n'était pas très grave, elle payerait ce qu'elle doit quand elle en aurait mais seul le tribunal de Police lui réclamant des contraventions en souffrance avait admis ce raisonnement et ne payait pas des humains transformés en chien hurlant ou en chienne gluante pour réclamer leur argent. Martine avait cru que tout le monde savait que tout le système de l'argent est bidon. Tout le système de l'argent est bidon … à condition d'en avoir, lui avait fait remarqué plusieurs fois son père et Martine expérimentait cette connaissance là de la saloperie mondiale et internationale. En effet, elle comprit concrètement ce que signifiait des phrases comme « exploitation des masses laborieuses ». Son opérateur de téléphonie mobile de l'époque commença à lui envoyer des factures dues du double de la somme qu'elle devait et son opérateur d'internet de même. Elle fit remarquer à chacun cette erreur et si l'opérateur d'internet ,qui ensuite fit faillite, acquiesça, genre o « n a juste essayé de t'enQler, t'avais pas l'air de faire tes comptes » mais l'opérateur de téléphonie mobile estimait que cet argent je le leur devais pour de vrai puisque l'argent peut être placé à 15% l'an et je ne sais plus quel raisonnement tordu qui de toute façon n'essayait même pas d'être présentable : le raisonnement était « vous faites partie de ceux qui payent et ferment leurs gueules, vous êtes dans le trou et donc du simple au triple, c'est tout comme » Ce n'est plus « ne tirez pas sur l'ambulance ! » mais « quel est le nom de celui ou celle qui est dans l'ambulance pour qu'on lui envoie nos factures et impayés ! » Une version économique du bouc-émissaire. Nous étions largement avant la crise dite de 2008, personne n'avait encore parlé dans les médias des subprimes, Emmanuel Carrerre n'avait pas écrit « d'autres vies que la mienne » : l'époque était terriblement « indécente » non pas à montrer son Q mais à montrer des paquets de billets et du doigt ceux et celles qui n'en gagnaient pas. Le fric, la frime, le fun ! Du point de vue de martine, les années 80 à côté des années 00 ressemblaient à une kermesse gratuite!Martine croit se souvenir que pour se faire respecter, il fallait vouloir hurler et manier le fouet. Ou se barbouiller de rouge à lèvres et tordre le Q. Et Martine n'avait plus envie de jouer cette comédie. Martine expérimentait la face B des sociétés modernes et technocratiques, là où les uns et les autres essayaient de pouvoir déchaîner leur haine et leur discours culpabilisant sur ceux et celles qui sont dans le trou ou juste fatigués. Martine comprit alors qu'il n'était pas que tout le système économique était basée sur la connerie mais que tout le système économique était basée sur la saloperie. Était organisé autour de la saloperie. Le meurtre d'Abel perpétuellement réitéré comme fondement social. « Ouais, mais cette fois-ci, s'était dit Martine, ce sera comme dans les films des frères Coen, Abel se relevera sans cesse meme quasi moribond.  Et Caîn aura peur, non pas d'un œil mais de se prendre un coup et d'avoir à faire le mort la place d'Abel. Ouais, cette fois-ci, ce serait le salaud qui meure qui fera ciment social » . Sauf que dans le monde moderne et technocratique, l'assassin et l'assassinat sont devenus abstraits.
« Pourtant quelque chose dans ce beau parti pris nous retient et nous alerte. Dans le même article, Ernest Jones fait une référence assez longue à l'existence de « cultes phalliques ». Ce n'est pas très loin. C'est même exactement le paragraphe suivant. L'affaire de l'étalon-or est donc coincée entre l'amulette, qui serait un symbole du génital masculin, et un développement sur le culte phallique. Jones rappelle d'abord que, dans les religions primitives, ce culte -« l'adoration du phallus patriarcal » -, pour différentes raisons qu'il énumère, « occupe une place centrale ». Or, immédiatement, il s'élève énergiquement contre une objection essentielle faite au sens pénien attribué à ces cultes : on a suggéré souvent que ce culte n'aurait rien à voir avec l'« objet concret qu'est le phallus » mais se rapporterait à une idée beaucoup plus abstraite, celle de « puissance créatrice » et de « génération ». Non, dit Jones. Pour le psychanalyste, l'idée abstraite et le symbole, loin de présenter un rapport de cause à effet, sont l'un et l'autre les effets d'une seule et même cause : « le phallus concret » Le symbole ne saurait être ici le signifiant d'une réalité non tangible, il renvoie nécessairement à un objet réel qui en contient tout le sens, et qui est la seule cause de ce sens.
Or qui ne voit que par-delà toutes les différences qu'on voudra entre la symbologie économique et la symbologie signifiante (par-delà l'insuffisance notoire de la retraduction qui est critiquée par Jones) c'est malgré tout par une opération comparable que l'étalon matérialisé est dépassé vers la réalité plus abstraite qui constitue la valeur en général ( et donc sa valeur à lui), et que l'objet phallique serai dépassé vers une détermination plus « abstraite » (pour n'en être pas moins réelle) dont il se ferait seulement le signifiant-support privilégié (de même que l'or se faisait le support privilégié de la valeur économique) ? Du point de vue de l'opération symbologique qui est en cause, ces deux mouvements sont parfaitement semblables. Pourtant on voit Jones approuver ardemment le premier dans le cas de l'étalon-or, mais critiquer énergiquement le second dans el cas du phallus. »


« Bon, Ok, se disait martine, en gros, dès lors que la monnaie n'est plus convertible en une matière première alors les hommes n'ont plus le monopole de la paternité de la baise. Quelque chose comme cela. Mais bon, tout cela, nous le savions déjà, non ? C'est à dire que nous sommes en 2013 et non plus en 1978.... Moi ce qui m'intéresse, ce serait surtout que dès lors que la monnaie n'est plus convertible en une matière première réelle alors il n'y a plus de raison si ce n'est fasciste que tout le monde ne gagne pas plein d'argent et non pas seulement ceux et celles qui s'occupent de l'argent qui n'a pas de correspondant réel. Et donc si je reviens vers le flanc phallus cela donnerait, dès lors que le phallus n'est plus convertible en un pénis réel alors il n'y a plus de raison que tout le monde ne puisse en avoir un et alors il n'y a plus de raison à ce que nous ne vivions pas en démocratie sous la triade dynamique « liberté, égalité, fraternité » Ah ouais, cela marche ! Plus ou moins. Quelque chose comme la diffraction du phallus »


Puis Martine sortit se promener. Elle alla à une grande plage prés de chez elle où elle put regarder des surfeurs dans leurs combinaisons de latex se débattre avec des vagues énormes. Des rouleaux d'eau. « Faudrait que j'arrête de surfer sur des textes trop gros pour moi, se dit-elle. » Sur les bords du rivage, des personnes ne cessaient de prendre des photos des surfeurs avec des appareils et des objectifs qui semblaient très sophistiqués. Les touristes étaient de retour. Il se mit pleuvoir sérieusement et Martine rentra chez elle comme sur un nuage. Elle trouva alors sur une étagère « Enfantasques » de Claude Roy édité dans la collection mille soleils de Gallimard et illustré de collages de Claude Roy lui-même, collages qui ressemblent de loin à ceux de Marx Ernst. « Voilà, se dit Martine, exactement ce dont j'ai besoin » et elle commença à lire au hasard :
«  La clef des champs
Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre brun ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a touché la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a perdu la clef des champs ?
Le porc-épic ? Le renard roux ?
Qui a volé la clef des champs ?
Ce n'est pas moi, ce n'est pas vous.
Elle est à personne et partout
La clef des champs, la clef de tout. »


Martine s'endormit et fit de beaux rêves.

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