Joseph et Louis, épisode trois : Jean-Joseph GOUX, cette substitution n'est pas commandée par la liste.
Joseph et Louis
lisait « les iconoclastes » de Jean-Joseph GOUX, ouvrage
que leur avait prêté Martine qui n'avait pas réussi à le lire
jusqu'au bout, au motif que cela lui donnait trop de maux de tête.
En effet, le résumé de l'ouvrage y figurant au dos laissait
entr'apercevoir un projet ambitieux :
« L'iconoclasme biblique,
qui refuse toute tentative fétichiste au profit de la sévère
discipline du temple vide, contraste si rigoureusement avec la
fantastique prolifération chrétienne des images, qu'on peut
entendre du côté du judaïsme, jusque dans sa postérité théorique
la plus infidèle un rapport différent à ce qui s'imagine.
Et de fait, l'antique soupçon
portant sur toute représentation est reconduit souterrainement dans
le gest par lequel Marx dénonce et démonte la « camera
oscura » de l'idéologie et ar lequel Freud découvre les
leurres de l'imaginaire.
Dans ce livre où se croisent des
filières venant de la psychanalyse, de l'esthétique, de la
sémiotique, de l'économie, de l'histoire de la philosophie, on
reconnaîtra autour de nous, que ce soit à travers la peinture
abstraite, l'utopie, le fétichisme, le problème économique de
l'étalon ou de la différence des sexes, la même insistance sur
l'infigurable.
Mais il
apparaîtra aussi que l'iconoclasme, cet antique rapport négatif à
l'image, prend aujourd'hui un sens nouveau, peut-être vertigineux,
de resurgir au sein d'une culture scientifico-technique qui, loin
d'être une terre d'Egypte avec ses dieux, ses hiéroglyphes et ses
sphinx, réduit plutôt le symbole à une opération insensée. »
Voilà tout à
fait le genre de livre qui convient pour lire au coin du feu pendant
les veillées d'hiver, se disaient Joseph et Louis qui avaient pris
l'habitude de penser ensemble et simultanément de la même façon.
De loin, il était presque possible de les confondre en une seule
personne.
Après une petite
discussion entre eux sur comment commencer l'ouvrage, joseph voulait
commencer la lecture depuis le début, et Louis au hasard et en
aléatoire, ils avaient choisi, selon les modalités grosso modo du
Yi-King, d'écouter la radio jusqu'à ce le mot soit « début »
soit « hasard » soit prononcé dans le flux afin de
trancher entre les deux possibilités. Joseph avait accepté cette
modalité bien qu'il la trouvait consubstantielle au mode de lecture
que désirait Louis. Le mot « hasard » ayant été
prononcé avant « début », Ils lisèrent alors le
chapitre six intitulé « Téléscripteur W.B » :
« ce qui
me frappe chez W.B, est qu'il détruit l'illusion d'une langue
naturelle. Il touche la programmation des sujets sociaux par
l'information politique, biologique, policière, nerveuse.Pas
d'esprit, de rêve, d'imagination. Pas de facultés « mentales » ;
des injections, des branchements ; des bandes et des boites.
Sujet-synaptique. Sujet transducteur entre vivant et machine. Entre
intérieur et extérieur. Car l'hallucinogène autant que la bande
magnétique fait éclater la certitude d'une différence dans la
muqueuse. L'image télévisée balayante n'est pas plus externe que
les phosphorescences éclatées et fluides. La chimie moléculaire
qui engramme et combine notre axiomatique de fœtus n'est pas plus
naturelle que la perturbation neuronique apportée par la dose, ou
que l'entrée en phase de l'infralangage musical avec la pulsion du
vivant. La machine n'est pas « ce qui se substitue à
l'homme », mais ce qui accroît et dérange es capacités
sensorielles et le processus de conscience. C'est sur la base de
cette fiction sociale que l'écriture de W.B. Recombine la politique,
la technologie et la sexualité. Moment, je dirais, historique, où
la technologie mécanique et énergétique – entrant dans la
topologie cernée par la thermodynamique – est supplantée par une
technologie différente ; où les concepts d'information, de
codage, de décodage, de message, de canal, d'émetteur, de récepteur
prennent le pas sur ceux de puissance motrice et d'énergie
calorique. De Sadi Carnot à Norbert Wiener. Alors machine à penser
ou pharmocologie mystique, la question des rapports entre « l'homme »
et « la machine » s'intensifie jusqu'au mythe et à la
mystification, jusqu'à la fiction, pour atteindre un point
d'éclatement et de réversion où, sous sa forme séculaire, elle ne
peut plus rien comprendre.
La
critique-Burroughs éclate comme contre-théorie de l'information.
Accélération cybernétique des années 60, informatique,
application militaire de la linguiste (problème des machines à
traduire), sémiotique probabiliste : Wierner, Zipf, Mandelbrot,
Shanon. Objectif : se placer en porte-à-faux fictionnel par
rapport à des énoncés positivistes-opérationnels qui définissent,
par exemple, la communication comme l'établissement d'une
correspondance univoque entre un univers spatio-temporel émetteur et
un univers spatio temporel récepteur, ou la compréhension
comme « le transfert d'informations depuis le champ phénoménal
jusqu'à un champ de symboles reliés en structures ». Aussitôt
la contre-théorie fictionnelle joue avec des propositions de
ce type pour en faire sortir la dimension politique latente,
informulable, pour en faire vibrer l'implicite terrorisme. L'écriture
de W.B. Est contemporaine d'une époque qui a voulu laver
scientifiquement le langage de tout sens préalable et prégnant,
[..] de sorte que toute message se situe quelque part entre deux
chimpanzés fictifs : celui qui puise indéfiniment le même
signe dans un répertoire de symboles, et celui qui extrait du
répertoire des symboles sans aucun lien les uns avec les autres.
L'intervention fictionnelle brise et bouffe ce savoir
opérationnel, à la fois en le mimant, le maniant, et le faisant
trébucher quelque part.
Fiction qui a donc un effet
analytique par rapport à un imaginaire historique – imaginaire de
l'époque des sociétés multinationales, de la gestion
technocratique, des méthodes d'imposition idéologique par les
« moyens de communication de masse ». C'est e retard
relatif de ce devenir-technocratique en France par rapport aux
Etats-Unis qui expliquerait que la rupture langagière ait été
là-bas immédiatement sociologisée et politisée (dans ses
signifiés), prenant la dimension offensive d'une critique des
pouvoirs informatifs, et non d'une réflexion sur le langage ou
l'écriture. Le cosmos technocratique n'a pas inventé la
manipulation, mais il fait découvrir l'essence du pouvoir étatique
comme machine, technique et dispositif de manipulation sociale. QUI
EST MACHINE DE QUI ? C'est en ces termes qu'il dénude la
question du lien social et des luttes … Irruption massive des
moyens nouveaux de production de traitement, de l’informatique
sociale. L gestion des choses et des gens devient une sémiotique
appliquée. La télé-information crée un nouveau type de vivant,
des rapports automatisés et désaffectés, bouleversant l'ancienne
scène des investissements de sens et de sexualité.
Les motifs de l'écriture de W.B.
sont congruents (mais d'une façon détraquée) avec les
déterminismes sociaux datables qui l'ont formée. L'effet de
fiction, avec son mode savoir stéréoscopique, biaisé, provient du
travail de cette pertinence falsifiée, qui remue un inconscient
sociologique, qui fait bouger une épaisseur culturelle. Les
technologies informationnelles qui ont « conditionné »
le mode d'écrire de W.B sont aussi la matière de son écriture, qui
se retourne ainsi sur ces conditions sociologiques. Ce n'est, ainsi,
qu'une apparente contradiction si W.B. dénonce mythiquement la
puissance politique des machines, en même temps qu'il conduit
jusqu'au délire réglé la dissolution orgastique du petit moi
cartésien dans les abysses des mécaniques sensorielles, rythmant
les pouvoirs musicaux
de la technologie.
Prenez le moulin et vous aurez.
Prenez le moulin à eau et vous aurez. Prenez la machine à vapeur et
vous aurez. Faites attention quand même. Mais prenez l'ordinateur,
la télécommunication, la planification économétrique et vous
aurez : le capitalisme technostructuré, le Massachussetts
Institute of Technology, la Bell Company, IBM et Nova
Express ou The ticket
de W.B. Si devant la barre du typographe, le poème épique
a disparu nécessairement, l'hypnose et la téléphonie sans fil vous
ont donné la poésie surréaliste. Mais qu'est-ce que l' « écoute »,
la « dictée de l'inconscient », le « fonctionnement
réel de la pensée », la « pensée parlée », un
« monologue de débit aussi rapide que possible », auprès
du magnétoscope, du computer électronique, de l'acide lysergique
diéthylamide, du fichier informatique, d'une « banque de
données » ? A l'écoute d'un langage interne ne peuvent
couler qu'une vibration sommaire, répétitive, un cinéma onirique,
cyclique, dynamisant quelques images fixées, dramatiques, animant un
récit encore enveloppé dans l'univers psychologisant ? Avec
les surréalistes l'écriture est automatique. Avec William
Burroughs, elle est entièrement automatisée... »
Cela faisait
longtemps que Joseph et Louis n'avait pas lu un texte aussi
intéressant et pertinent pour leur époque. « voilà, se
disait Louis, un texte exprimant au mieux nos problématiques de 2013
qui a été écrit en 1978, c'est-à-dire à une époque où nous
étions déjà censés être mort et l'un et l'autre depuis pas mal
de temps, moi plus que toi d'ailleurs.... » mais Joseph
voulait lire le premier chapitre, celui du début.
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