Lucy, fille publique (un inédit de peut-être 2003 de la somme Georges, maurice, lucy et les autres)

Lucy fille publique.
Lucy se trouva fort dépourvu dès lors que son désir fût mis à nu.

- Tu sais, dit Lucy à Georges, j’ai lu dans le journal que le désir est la contractualisation du leurre qui permet à l’imaginaire de faire commerce avec le réel ; si nous en sommes là, c’est bien la mort du désir, non ?
- Peut-être que c’est tout simplement que le désir devient honnête dans sa comédie.
- Ah, bon ?

Lucy parcourait des ouvrages publiés avant le passage de la comète : « le çà ignore la négation, la contradiction, le sentiment de durée et la notion du temps, bien entendu, il ne connaît pas davantage les jugements de valeur, le bien et le mal, la morale. Le moi et le Surmoi, auxquelles incombent l’organisation et le maintien de la vie psychique. «

Pourquoi avoir pris ce village en photo, il n’avait rien de spécial ? Demandait le journaliste à la radio.

Lucy rêvait que la personne interrogé lui réponde : « eh, bien justement, je l’ai pris en photo parce qu’il n’y avait rien de spécial et je suis fatigué par les questions du pourquoi et du comment. Mais quelle connerie, la guerre, avait écrit Prévert.

Lucy se posait des questions quant à sa santé mentale et psychique.

Ainsi, Lucy se rend à la bibliothèque, elle présente ses excuses parce qu’elle a oublié sa carte de lecteur. Là, une jeune fille lui explique avec un sérieux de savant que ce n’est pas un problème parce qu’ils rangent les fiches de lecture selon ce système-ci, et donc les questions de dates figurant sur les fiches seront peut-être gérés selon ce système-là, blablablabla. Lucy se demande quand exactement les personnes ne savent plus recevoir, ni entendre des excuses simplement et en quoi ces informations techniques seraient-elles intéressantes pour un simple lecteur de bibliothèque. La question lui était déjà venue lorsqu’un agent de l’ANPE lui avait expliqué les systèmes informatiques de l’ANPE avec un sérieux de commission européenne ouvrant une réflexion sur la guerre en IRAK. Il avait aussi longuement développé les possibilités de facilité de contrat pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Il semblait évident à Lucy que de visu elle avait plus de vingt cinq ans.
Un autre jour, toujours à la bibliothèque, une autre bibliothécaire lui expliquera qu’elle peut prendre cinq « nouveautés » en livres et dérapera de ses limites concernant les usages en ajoutant : « et donc, vous prendrez ses deux livres ci. » Lucy se demandait à quel moment le fascisme ordinaire était devenu banal, blague à la mode. Elle imaginait les procès de RIOM : «  écoutez, vous n’avez rien compris, c’était une blague, on s’est juste trompé de dosage dans les gaz hilarants. »

Un autre jour, son ordinateur étant en panne, Lucy le dépose dans un magasin d’informatique. Là un vendeur avec un air de dominateur de supermarché commence à lui expliquer avec moult détails des questions techniques dans un jargon de spécialistes et lui donne avec un sérieux de maréchal en pleine crise ministérielle des informations techniques dont elle n’a cure et qui pour lesquelles elle n’a que faire. N’existait-il pas une tradition de service rendu à la personne, ou la personne qui ne sait pas confie à celui qui sait  et celui qui sait ne parle de ce qu’il sait que si la personne en fait la demande ? Lorsqu’elle travaillait dans une banque d’affaires internationale et influente, elle s’était dit qu’il était compréhensible que des personnes qui brassent des millions pas jour éprouve la sensation de dominer le monde et que çà leur monte à la tête, toutefois cela ne les excusait nullement. Enflure, vanités. Que cette même sensation ou attitude se retrouve dans un magasin d’informatique dans le fin fond de la Bretagne laissait sceptique. La démocratie et-elle seulement le droit accordé à chacun d’être un crétin ? ou est-ce simplement que parler ne veut plus rien dire ?

Lucy commençait à éprouver la nausée que les personnes parlent à côté.


Lucy se demandait : ne suis –je pas fatiguée de la condition d’auto-maso ?
Lucy contemplait les massacres ordinaires et les massacrés qui se sentait tentés par la condition de bourreau.

Lucy trébuchait désormais peut-être en fin sur cette masse sombre et claire. Lucy lisait l’œuvre relatant la vie et l’oeuvre d’un groupe de camarades débutant et déboutant ; Serait-ce dès trente-cinq ans, l’âge des bilans ? La démarche lui semblait bien prématurée. N’était-ce qu’une ruse de l’esprit, parodie des VRP d’eux-mêmes sans voir à y toucher, les saint nitouches seraient-ils désormais le nouveau fléau pour ces femmes qui tentent de se libérer. Pas assez faustien, aurait dit FREUD d’un de ses « maîtres » inachevés. Lucy notait des phrase qui résonnait à son esprit : « avoir l’éternité comme interlocuteur et réussir à s’en moquer »

Dans un café, Lucy demande un café ; La serveuse, sur le ton d’un cheval de trait, lui explique que Lucy se trouve dans le secteur G5 et qu’elle, serveuse, ne s’occupe que du secteur G4 et par là-même va lui détailler toutes les dénominations techniques des espaces du café. Lucy, épuisée, lui demande si celle-ci, la personne dans la serveuse, voudrait bien cependant avoir l’amabilité de lui servir un café. La femme se transforme et acquiesce ; Lucy se demande à quel moment les patrons ont fait de leur employés des robots : s’ils ne parlent plus la langue, comment pourraient-ils revendiquer leurs droits d’être humains ?

Dans un autre café, un serveur expliquera à Lucy avec un ton menaçant qu’il ne la servira que si elle se met à la table d’à côté. Lucy lui demande si il se sent bien. Lucy a peut-être perdu le sens de l’humour car elle est fatiguée. Se promener seule dans l’espace public est devenu un exercice de haute voltige. Lucy ne boira pas de café ce jour-là dans ce café là. Lucy ne veut pas savoir et en ce faisant elle acquiert un savoir plus pénible à véhiculer. Cependant elle ne veut pas renoncer, il est important de ne pas toujours rester couché. Elle s’accroche à un passé qu’elle sait être son avenir.

Lucy lisait Baudrillard et ne se souciait pas de voir MATTRIX.
Lucy se demandait à quel moment, elle s’était dissoute dans la tapisserie. Lucy se sentait carreau dans un monde de piques et d’avoir visité tel un coucou les nids. « poubelle affective » avait dit Georges. « C’est un destin et il y en a de plus gais. La vie est un tissu de mensonges, viens avec moi et nous vendrons du frais pour les faux, des faux pour l’ivraie et des beaux à la taie. » Lui avait dit Georges en rêve.

Lucy lisait des ouvrages publiés bien avant le passage de la comète : « si nous voulons comprendre ce qu’est le changement et saisir comment il est possible, nous devons distinguer trois principes qui permettent d’en rendre compte, la matière, la forme et la privation. Il y a ce qui change qui est la matière, le principe interne du changement qui et la forme et la privation qui n’est pas simple négation mais négation déterminée. »

Les entreprises privées se servaient de la question de l’impasse personnelle du désir pour envahir les espaces de leur intérêt politique par le masque du désir, du plaisir, du çà. La distance nécessaire à la bonne marche du commerce avait été abolie.
C’est grave, non ?
C’est comme cela, ils en ont décidé ainsi.
« Mais qui sont ces « ils » à la fin ? Nous vivons en démocratie, non ? La conscience politique, c’est aussi une réalité, une possibilité. »
Lucy se sentait seule bien que ne l’étant pas. Juste attendue au tournant.


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