Note technique concernant l'article 2 de la loi EL KHOMRI.
Pour ce que
nous en avons compris et d'après nos informations, cet article
permet aux entreprises de déroger aux accords dits de branches soit,
pour résumer grossièrement, de pouvoir payer moins cher leurs
ouvriers et leurs employés que les rémunérations fixées par les
accords collectifs, par exemple de payer moins cher que le tarif
syndical une pige dans un journal, d'accorder moins de temps de repos
prévu, etc... Mais cet article de loi doit aussi se comprendre comme un
cheval de Troie, comme une termite déposée dans une cathédrale de
bois, comme une mite introduite dans une robe de laine : cet
article supprime la hiérarchie des normes du droit et savonne la
pente vers la primauté du contrat sur la loi. Or l'histoire de nos
démocraties repose sur les avancées de l’État de droit : c'est
par la loi construite peu ou prou par le corps social et les combats
d'individus et de groupes que les individus peuvent peu à peu
s'émanciper des traditions claniques et de servage. La hiérarchie
des normes du droit est un concept fondamental de ces édifices
fragiles que sont nos institutions œuvrant à la démocratie. Chacun
et chacune sait que c'est ainsi que les individus peuvent obliger les
organisations à respecter leurs intérêts (et il n'y a pas de
démocratie sans individus) : C'est par le recours à l’État
Fédéral de la confédération helvétique que les femmes du canton
d'Appenzell ont obligés les hommes à leur accorder le droit de vote
pour les affaires cantonales et communales, c'est par le recours à
la Cour européenne de justice que les prisonniers français peuvent
faire reconnaître leurs mauvaises conditions de détention, etc...
Liberté,
égalité, fraternité est un principe dynamique, constructif et
populaire. Liberté, inégalité et saloperie peut revêtir l'habit
sexy de la transgression pour séduire mais l'ivresse sera de courte
durée car il s'agit surtout masquer les tristes réalités de
« la création de la richesse » soit les conditions des
travailleurs népalais au Qatar, les conditions des travailleurs dans
les entrepôts d'AMAZON, l'absence de sécurité sociale des
entrepreneurs participant à UBER, les conditions des ouvriers
éthiopiens ou bangladeshi qui cousent et forment les habits et
chaussures des marques dite glamour de la mode occidentale, etc.. Des
personnes comme Georg SIMMEL ou René GIRARD ont su montrer que tout
groupe social tend à se construire en écrasant, excluant ou broyant
un individu, une personne ou un autre groupe. Il y a un processus
archaïque à l’œuvre dans la formation de groupe social qu'un
processus comme l’État de droit peut œuvrer à corriger. Nous
estimons que tendre vers la primauté du contrat sur la loi,
supprimer la hiérarchie des normes du droit est une grave régression
qui ne convient qu'à ceux et celles qui préfèrent les Etats
policiers ou les corporations impériales à l'histoire de
l'émancipation des individus. C'est grâce à la hiérarchie des
normes du droit que le contrat que fait signer Mephistopheles à Faust
(ou Faust à Mephistopheles) ou le contrat de prêt proposé par le
banquier dans le Marchand de Venise
sont caduques puisqu 'illégaux.
Dire que cet
article deux de loi dite EL KHOMRI, article qui tend à dissoudre le
principe de la loi, permettra de créer des emplois est un leurre.
Les entrepreneurs veulent payer moins cher leurs ouvriers non pas
pour créer des emplois mais pour gagner plus d'argent qui pourra
être ensuite réinvesti et éventuellement créer des emplois :
si je paye moins les ouvriers népalais qui bossent sur mes
chantiers, je peux avec la plus-value investir dans des clubs de foot
européens, faire fonctionner l'industrie du luxe et ainsi m'offrir
une image de marque et des invitations à diner, et les ouvriers
népalais en crevant jeunes et au travail ne me poseront pas de
problème quant à leurs retraites à payer, etc... C'est une bonne
chose de réformer le code du travail, c'est autre chose de déréguler
les rapports sociaux. Et dans ce cas, il est quasi légitime que
chacun reprenne sa part de violence pour défendre ses droits et ses
intérêts.
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