Forum « je suis du langage »


  • Pourrions-nous reprendre cette conversation sur les expressions imagées qui font référence à un monde obsolète et par conséquent perdent sens, forme et force ?
  • Kesako ?
  • Ben, par exemple, dire « jeter une bouteille à la mer » n'a plus de sens parce qu'il n'existe plus de naufragés perdus sur des îles qui écrivent sur un bout de papier glissé dans une bouteille qu'ils sont vivants à tel endroit puisqu'il existe le téléphone satellite et les fusées de signalisation.
  • Moi, je voudrais parler de la transition langagière de la représentation de l'humain en livre vers la représentation de l'humain en ordinateur.
  • Je crois que j'ai du mal à me réveiller, je ne comprends rien à ce que vous dîtes !
  • Mais si, tu sais : le livre était une référence noble. Il s'agissait de « tourner la page » , « des titres de chapitre », « du grand livre de la nature », « d'apparaitre dans l'index », etc...
  • de quoi ? « montrer son majeur tout droit » ?
  • T'es déconcentré, c'est cela ?
  • Je me suis dilaté et diffracté, c'est le problème des vacances.
  • Bon, par exemple, dans les expressions que tu viens d'utiliser, tu ne fais pas référence à ta personne en tant que livre.
  • Je me suis rarement identifié à un livre
  • Oui, mais il ne fait pas référence à un ordinateur non plus !
  • Mais cela voudrait dire quoi de se représenter soi-même comme un ordinateur ?
  • Ben, je ne sais pas, le corps serait le hardware et l'esprit le software. Par exemple.
  • Genre «  j'ai de bonnes dispositions car j'ai une mémoire vive de 6 Go. »
  • Tu te rends bien compte que ce n'est pas possible, les technologies se modifient tellement vite ! Le livre en tant qu'objet et résultat d'un travail est resté stable au moins jusqu'à la fin du XXe siècle. Je veux dire le métier d'imprimeur depuis Gutenberg jusqu'à l'impression offset était resté quasi stable.
  • Il y avait des expressions liées aux lettres en plomb, non ?
  • Ben, déjà tu devais composer la page, c'était physique et concret.
  • C'est vrai que l'expression « viens me formater ma petite disquette » est une expression déjà perimée !
  • Et cela voulait dire quoi ?
  • Je ne sais pas, je viens de l'inventer...
  • Je voudrais que nous soyons sérieux sur cette conversation concernant les figures obsolètes qui trouent le langage. Par exemple, aux Etats-Unis, ils crèvent de l'usage du mot « race ».
  • Ouais, j'ai lu un article quelque part dans un média où était évoqué un sondage récent où une question demandait aux sondés d'évaluer la situation des relations raciales, et une majorité de personnes avaient répondu la trouver tendue !
  • Et alors ?
  • Ben, une majorité devrait trouver la question débile puisqu'il n'existe qu'une seule race humaine !
  • Oui, mais l'humain a toujours eu de graves problèmes relationnels avec lui-même !
  • Oui, donc là nous sommes exactement dans des zones où il est possible de s'enliser un peu beaucoup avec le langage : donc les sciences ont établi à la fin du Xxe Siècle qu'il n'existait qu'une seule race humaine. Les noirs, les jaunes, les rouges, les blancs, les verts et jaunes fluos sont tous des humains issus de la même race. Il a existé d'autres races, mais il n'y en a plus qu'une seule depuis des millions ou des milliers d'années et récemment, les paléoanthropologues se sont rendus compte que de toutes les façons, les « races » humaines n'étaient, même quand elles existaient, pas des catégories étanches et que les « races » pouvaient se méler... Donc cela c'est grosso modo l'état de nos connaissances au début du XXIe siècle.
  • Mais alors pourquoi est-ce que le terme de race est utilisé aux Etats-unis et sert même de catégorie administrative ?
  • Nous savons au XXIe siècle qu'il n'existe qu'une seule race humaine mais nous avons pu croire différemment dans les siècles précédents ! Et donc nous avons pu produire des situations, des récits, des expressions à partir de cette fausse croyance, situations, expressions et récits qui subsitent par trace dans le langage et les organisations.
  • Ben, l'humain n'est pas que du biologique, il est aussi le produit d'histoires et d'Histoire. Les humains sont aussi le produit culturel de leur société.
  • Le vivant n'est pas que biologique, mais bon, passons...et tentons de rester dans notre sujet. Ce que je voulais dire concernant la situation aux Etats-Unis est qu'elle est devenue presque chimérique.
  • C'est-à-dire ?
  • Par exemple, un flic tue un mec et tout de suite le discours est « le flic a tué le mec parce que le mec était noir et que le flic était raciste. » Or ce n'est pas une explication suffisante, il faut creuser un peu plus la situation. Imaginons que le flic ne soit pas raciste. Le flic dit qu'il a cru que le mec allait sortir un flingue alors qu'il cherchait ses papiers. Le flic a paniqué, ce qu'il ne devrait pas faire, et le flic a paniqué peut-être parce qu'il avait peur des noirs qu'on lui avait dit être tous des voleurs et des menteurs.
  • Ben cela, c'est être raciste, non !
  • Ben, disons que c'est plus intéressant de le considérer comme un résidu produit par le fantôme d'une société qui a été ouvertement et de façon organisée raciste.
  • Je ne comprends pas.
  • Ben, en France, tu n'as pas eu d'esclaves noirs qui ont travaillé dans les campagnes. Enfin pour ce que j'en sais.
  • Peut-être dans les bananeraies de Martinique ou de Guadeloupe... en fait, je n'en sais rien. Ce que j'avais étudié à l'école était que le trafic des esclaves avait enrichi les français et particulièrement les commerçants et les armateurs bordelais qui prenaient des esclaves en Afrique, les vendaient aux Américains et revenaient en Europe avec des denrées.
  • Le blanchiment parfait …
  • Revenons à notre policier qui tue un noir. Je crois qu'il est plus important de considérer que le flic tue l'autre mec d'abord parce qu'il a peur. La peur c'est une émotion , c'est un levier sur lequel il est possible d'agir.
  • Moi, je ne comprends pas, il n'y a pas des personnes ayant la peau couleur noir dans la police aux Etats-Unis ? En France, nous avions pu nous en rendre compte lors des attentats en janvier 2015, t'as des noirs et des arabes qui sont flics...
  • En France, je me souviens de discussions entre des personnes sur des plateaux télé qui expliquaient que le problème des flics dans les banlieues provenait à 80% du fait que t'avais pleins de jeunes flics issus des campagnes qui étaient nommés dans ces zones socialement défavorisées et peuplées par des français dont les arrières grands-parents n'étaient pas des européens, et que les jeunes mecs n'étaient pas formés pour cela, que bien souvent, ils avaient pleins de préjugés et de fantasmes et que forcément les situations clashaient.
  • J'ai toujours dit qu'il devrait y avoir des cours de philo dans la formation des flics.
  • Qu'est-ce que les flics vont en avoir à foutre de savoir ce que pensait Emmanuel KANT de l'entendement humain ou de la perception esthétique !
  • Des cours de mise en place avec les étudiants flics de dialogues socratiques ! Pas des cours d'histoire de la philosophie !
  • Ah, ouais, des sortes de déminage de l'intellect afin que celui-ci ne joue plus de tours aux mecs et aux meufs flics quand ils sont en situation sur le pont !
  • Déminage du langage ! Il est trop souvent mésestimé les qualités illusionnistes du langage. Pour le meilleur et pour le pire.
  • Ouais, enfin, pour déminer la situation dans la police française, l'option choisie était plutôt de tenter de recruter depuis les zones défavorisées. Les jeunes flics ruraux seraient alors en contact et en équipe avec des jeunes flics banlieusards qui connaissent les codes des banlieues.
  • C'est bien ce que je demande depuis tout à l'heure : s'il existe des noirs dans la police américaine, les flics pas noirs vont bosser et faire équipe avec des flics noirs et ainsi le racisme ou les préjugés racistes devraient tomber.
  • Oui, mais là tu oublies une donnée importante. Les riches préfèrent recouvrir la réalité sociale intenable de la condition des pauvres par un discours qu’ils pourront tenir sans avoir l'air ridicule sur le racisme et la mauvaise condition faite aux personnes de couleurs. Alors que le problème est d'abord et avant tout un problème de distribution des richesses.
  • Un peu comme lorsque les juifs n'avaient que le droit d'exercer que le métier de banquier jugé sale et que les rois qui leur devaient beaucoup d'argent se débrouillaient pour exciter l'antisémitisme.
  • D'où sors-tu cette histoire ?
(à suivre).

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